Le mail de notre collègue, le voici :
Madame Charmeux, à combien d'enfants avez-vous appris à lire ? Je me pose la question. Je suis enseignant de CP et j'ai testé plusieurs méthodes (Lire, écrire et compagnie ainsi que Ribambelle). Maintenant, j'utilise une méthode synthétique (Borel-Maisonny) et je vous certifie que j'obtiens de bien meilleurs résultats en lecture mais aussi en orthographe. Les évaluations CE1 en témoignent.
Comment pouvez-vous expliquer que l'on puisse obtenir de bons résultats avec une méthode inefficace selon vos critères?


Petite précision personnelle : j'ai travaillé dans de très nombreuses classes, notamment maternelle et CP, à Amiens et à Toulouse durant plus de quarante ans : ceci tout simplement pour que notre correspondant cesse de se poser cette question-là dont l'intérêt réside principalement dans la petite crédibilité que cela peut conférer à mes propos ...

Lorsqu'on m'affirme que l'on a obtenu des résultats excellents avec la méthode Borel-Maisonny ou toute autre méthode, je réponds deux choses :
1- quand on apprend à nager sur un tabouret, on obtient aussi de très bons et très rapides résultats... Sur le tabouret, bien sûr.
Pas dans l'eau !
2- donc, la question est de savoir ce qu'on entend par "résultats".
Une méthode, quelle qu'elle soit, obtient les résultats pour lesquels elle est faite. Les méthodes sont faites pour apprendre à oraliser des mots et des phrases. Les méthodes syllabiques sont faites pour obtenir des lectures de syllabes. C'est donc ce qu'elle obtiennent. Si l'on considère que pouvoir lire des syllabes, c'est savoir lire, on ne peut être que content.
L'ennui, c'est que ce résultat n'a rien à voir avec le fait de savoir lire, pour plusieurs raisons.
*la langue française n'est pas une langue syllabique, et n'a aucune syllabe écrite. Voir à ce sujet :
http://www.charmeux.fr/imposersyllabique.html
* reconnaître des syllabes n'a jamais aidé personne à comprendre son courrier, l'éditorial du journal quotidien, ou les ouvrages de Marcel Proust.
* oraliser un texte n'a que peu à voir avec le fait de l'avoir compris. On sait très bien que n'importe qui peut oraliser tel ou texte texte de loi ou de philosophe (et avec le ton !), sans rien y comprendre. La lecture à haute voix n'est en rien un critère d'évaluation du savoir lire.
On ne peut parler valablement de résultats que si on les a définis en termes de comportements observables : à quoi voit-on qu'un enfant sait lire ?
En matière de lecture, seul, le fait de pouvoir utiliser le texte lu pour faire ce que l'on a à faire (trouver la réponse cherchée, pouvoir faire, ou se détendre et rêver), peut prouver la compréhension du texte en question.
Quant aux performances en orthographe, outre qu'elles ne sont sûrement pas excellentes pour tous vos élèves, rien, stritement rien ne peut prouver que cela est dû à la méthode Borel-Maisonny, qui est si loin de ce que peut être la lecture, que c'est miracle, si quelques élèves deviennent vraiment lecteurs (ou plutôt, non, cela vient essentiellement de ce que, chez eux, la lecture est vivante et bien pratiquée...).
Chacun sait bien que si, pour leur apprendre à nager, on jette 100 enfants de deux ans au milieu d'un fleuve, il y en aura toujours qui arriveront à regagner la rive... Ce n'est pas cela qui pourrait prouver l'excellence d'une telle méthode d'apprentissage de la natation...!

Une fois de plus, on peut dire avec bon sens, ou plutôt, avec un soupçon de logique, qu'une pratique d'enseignement, qui enseigne les opérations cognitives par lesquelles on comprend un écrit, a plus de chances qu'une autre d'arriver — A LONG TERME — à de "bons" résultats...
Principe de précaution toujours !!