Parmi les fondamentaux développés hier, la grammaire a eu, dans le discours ministériel une place importante, cohérente avec celle qu'elle occupe dans les nouveaux programmes du primaire.
Or, tout comme pour la règle de trois qui lui fut fatale, cette discipline aurait apparemment besoin de faire l'objet d'une bonne révision ministérielle, notamment en ce qui concerne le fonctionnement des déterminants en français. En accusant ses adversaires d'être de ceux qui ne veulent rien changer, monsieur le Ministre a révélé qu'il confond, de façon fâcheuse, le déterminant possessif et l'article défini : ce n'est pas parce qu'on refuse SA réforme du système éducatif, que l'on refuse LA réforme de ce système...
Bien, sûr que des réformes sont indispensables : nous les réclamons vainement depuis un peu plus de trente ans. Mais, bien entendu, pas n'importe lesquelles, et sûrement pas les deux préconisées hier.

Le soutien personnalisé
De façon très cohérente avec l'esprit des réformes proposée en tous domaines par cette équipe gouvernementale, on s'attache ici à plâtrer les jambes cassées, sans s'occuper de ce qui a pu causer la fracture, et surtout sans se demander s'il y a vraiment fracture.
Tout se passe en effet, comme si l'échec scolaire était dû à des difficultés personnelles de l'élève, sorte de microbe plus ou moins génétique, qu'il s'agirait de chasser avec des antibiotiques adaptés.
Il n'est pourtant pas nécessaire d'avoir Bac +10 pour comprendre que la réalité est beaucoup plus complexe. L'échec scolaire n'a rien à voir avec une maladie : il est le résultat d'une relation inefficace entre les trois éléments concernés : le savoir, l'élève et l'enseignant. Aucun des trois n'en est responsable personnellement. C'est la relation entre les trois qu'il faut revoir.
L'objectif étant que l'élève s'approprie le savoir, la tâche de l'enseignant, c'est d'agir sur cette appropriation, de la rendre possible et de l'organiser. Si donc elle ne se fait pas, c'est l'organisation qu'il faut revoir !
Prenons une comparaison médicale (elles sont à la mode !). Lorsqu'un médecin prescrit un traitement pour faire tomber une fièvre dangereuse, et que ce traitement se révèle inefficace, que se passe-t-il ?
1- On observe que le médecin n'engueule pas le malade en général (contrairement à ce qui se passe à l'école et dans la famille).
2- Le médecin rouvre ses bouquins et consulte ses collègues... pour définir un autre traitement.
Le jour où les enseignants agiront ainsi devant une évaluation peu satisfaisante, on peut dire que l'Ecole sera sauvée !
Ce n'est donc pas en traitant l'élève que l'on résoudra le problème. C'est en traitant la manière de s'y prendre avec lui.
Traiter la manière de s'y prendre, c'est d'abord avoir compris que proposer du "soutien", comme remède, c'est transformer un résultat, toujours relatif et probablement occasionnel, en échec, et donc coller sur l'enfant une étiquette négative fort dangereuse, qui risque de lui nuire le restant de sa vie scolaire.
C'est aussi savoir que la relation duelle "adute/enfant", sorte de préceptorat, est le plus mauvais système possible : les enfants, on le sait depuis longtemps, apprennent plus des pairs, que des adultes, et les explications de leurs copains sont souvent plus faciles à comprendre pour eux que celles des profs.
La solution ne peut donc être que dans le travail de groupes, qui responsabilise en partageant la responsabilité, qui rassure et qui aide ainsi les enfants à prendre confiance en eux.
Tout ceci a fait depuis longtemps l'objet de nombreux travaux, solidement fondés, et il est véritablement désespérant de les voir ignorés et bafoués, remplacés par des propositions plus qu'anciennes, éculées, qui ont prouvé leur inefficacité il y a trente ans, aux Etats-unis entre autres.

Quant au recentrage sur les "fondamentaux", comme le moyen de favoriser l'égalité des chances, on ne peut être que navré d'entendre un Ministre affirmer une telle contrevérité. Ignorerait-il les travaux, nombreux eux aussi, sur les profils d'apprentissage ? Personne ne lui a donc dit combien ils sont divers ? Que le meilleur moyen de favoriser tout le monde, c'est de diversifier au maximum les entrées dans le savoir ? Qu'on peut entrer dans la connaissance des mathématiques par la musique, ou la danse, dans la grammaire par le jeu et la technologie, dans le français, par les autres langues, régionales ou étrangères?
Peut-on enrichir en appauvrissant ?

Quels types de réformes devrait-on prévoir ?
1- La première réforme et, de loin, la plus importante, c'est de prévoir du "soutien"... pour les enseignants. Ce sont eux qui sont dans les difficultés, beaucoup plus que les élèves. Il faudrait donc favoriser le travail de groupes des enseignants, (groupes horizontaux mais aussi verticaux : discuter avec les collègues qui avaient mes élèves l'année dernière est un bon moyen de mieux comprendre pourquoi j'ai du mal cette année), favoriser au maximum les mouvements pédagogiques, les rencontres entre enseignants de niveaux différents, multiplier les lieux d'échanges et surtout mettre le paquet sur la formation initiale et continuée des collègues.

2- Par le biais de ces actions de formation et d'aide, rendre possible l'installation de pratiques pédagogiques différentes :
* Faire travailler les élèves, dès le CP le plus souvent possible en petits groupes solidaires, à la fois rigoureux et structurés (avec rapport oral sur le travail effectué et les hypothèses de réponses trouvées, et rapport écrit), en réservant le travail individuel aux évaluations.

* Orienter le travail de classe, non sur des résultats à obtenir, mais sur des stratégies à construire pour obtenir les résultats.

* Mettre en place, dès l'école maternelle, la motivation des apprentissages, c'est-à-dire la découverte que le savoir donne du pouvoir et que le pouvoir donne la liberté, mais que seul un travail d'apprentissage permet d'acquérir le savoir qui donne le pouvoir qui donne la liberté.

* Penser toujours à rendre les choses claires pour tous les élèves : clarifier les raisons de travailler ainsi, expliquer à quoi sert ce qu'on apprend et quelle place cela occupe dans la vie adulte. Impliquer les élèves dès le début dans leur projet d'apprendre.

*Aider les collègues à construire des situations-problèmes à travailler en groupes, qui vont permettre aux élèves de se heurter à des obstacles de nature à faire évoluer leurs savoirs déjà-là, en réservant le cours de l'enseignant à des mises au point finales.

* Apprendre EN CLASSE le travail habituellement donné à faire à la maison (leçons à apprendre, exercices d'entraînement). Ne laisser à faire à la maison que de la relecture et du peaufinage, ou au contraire de la préparation au brouillon d'un travail qui se fera en classe le lendemain. Jamais de travail "au propre" à la maison, jamais non plus de travail "noté" : les conditions dans lesquelles vivent les enfants sont trop différentes pour qu'une évaluation puisse être envisagée sans une énorme injustice.

* Organiser des évaluations rigoureuses, donc non notées, car les notes n'ont aucune valeur d'information fiable. Ces dernières, dûment munies d'un barême rigoureux, mais avec quand même tous les bémols nécessaires sur leur signification relative (notamment pour les parents), devraient être réservées aux données administratives qui ne peuvent s'en passer.
En classe, les évaluations ne peuvent être que formatives, c'est-à-dire conçues comme des régulations et débouchant, non sur des classements des élèves, mais sur des décisions concernant les contenus du programme à apprendre, ainsi que sur la manière de les apprendre.
L'évaluation sommative, couramment pratiquée, et de façon excessive et inappropriée, n'a pas sa place à l'école : son seul rôle est de certifier la présence de compétences professionnelles, ou requises pour entrer dans un nouveau cycle d'études.
Ces évaluations, formatives donc, devraient avoir, bien évidemment, les quatre vertus célèbres d'une évaluation digne de ce nom :
= être rares (trop fréquentes, elles tuent l'apprentissage)
= être précises (on n'évalue pas tout à la fois et en général, dans les classes, on évalue autre chose que ce qu'on croit !)
= être prévues (en sciences humaines, la surprise est incompatible avec l'évaluation : on doit pouvoir s'y préparer)
= être joyeuses (c'est évidemment un plaisir de voir qu'on a appris quelque chose de nouveau et il est impossible qu'il n'en soit rien, si le laps de temps a été suffisant et si la notion d'évaluation n'a pas été pervertie, comme c'est le cas aujourd'hui, et si elle n'est pas devenue un instrument de pression et de sanction !).

Si, déjà, ces quelques points étaient bien clairs dans la tête de tous les collègues, et bien soutenus en haut lieu, ce ne serait déjà pas si mal, même si d'autres conditions restent évidemment à remplir pour que tous les élèves réussissent.
Complètement utopique ? Je suis certaine que non si la première des conditions évoquées ici est remplie, c'est-à-dire si ce sont les profs que l'on aide et non les élèves (pour ces derniers, il suffit de leur permettre de s'entr'aider, ce qui en plus, serait une fameuse leçon d'éducation civique, sur terrain !)
Ce qui empêche, même qu'on y réfléchisse ? Devinez !