Voici, pour lancer la réflexion, le début de cet éditorial, en forme de lettre au nouveau ministre, chapeauté d'un titre riche de connotations : "Luc Chatel : finissons-en avec les procès en sorcellerie pédagogique" .

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/06/25062009Accueil.aspx

Ce matin encore l'actualité est faite des menaces de sanction qui frappent des enseignants jouissant d'une forte réputation parmi leurs collègues. C'est Pascal Diard, militant syndical Sud et animateur du GFEN, un mouvement pédagogique très connu, qui fait l'objet d'une procédure administrative sévère. On lui reproche "un comportement pédagogiquement scandaleux". C'est aussi le tour d'Alain Refalo, un des fondateurs du mouvement de "résistance pédagogique" qui est convoqué le 9 juillet par l'inspection pédagogique. On lui reproche le refus d'obéissance, le manquement au devoir de réserve, l'incitation à la désobéissance collective et l'attaque publique contre un fonctionnaire. (Plusieurs) raisons devraient vous pousser, Monsieur le Ministre, à stopper ces procédures et toutes celles qui leur sont analogues.
* La première c'est l'inefficacité de ces sanctions. A Refalo ou B Cazals ont subi déjà tant de sanctions qu'ils se sont endurcis et surtout ils savent précisément ce qu'ils font et pourquoi ils le font.
* La deuxième raison, c'est l'effet mobilisateur de ces procédures. Il suffit de jeter un regard sur la carte des "désobéisseurs" pour voir que leur densité est proportionnelle à la présence d'un animateur du mouvement et de sanctions administratives.
* La troisième raison c'est le sentiment d'injustice profonde que ressentent les sanctionnés. Certes ils n'appliquent pas à la virgule près le dispositif Darcos ? Mais ils font autre chose avec les élèves et qui n'est pas forcément inadapté. A cause de tout cela, ces procédures tombant sur des collègues particulièrement investis sont interprétées comme les effets d'une véritable police de la pensée.


Sur la question des sanctions (et leurs corollaires, les récompenses), nombreux sont ceux qui confirment les propos de F. Jarraud. Je l'ai fait moi-même dans quelques billets de ce blog :

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2009/05/23/117-l-ecole-l-education-et-la-violence
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/10/28/96-la-recompense-ca-motive
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/09/15/91-recompense-et-motivation

C'est sur la notion même de "désobéissance", que je voudrais revenir ici.
C'est un acte largement considéré comme un délit grave dans la vie sociale et comme une faute gravissime dans la vie familiale, la marque d'une éducation manquée.
Et pourtant...

1- Premier point.
La notion d'obéissance est en contradiction formelle avec celle de "libre arbitre des individus", pourtant affirmée par la plupart des religions, notamment la religion catholique. Si l'individu est libre, cela veut dire qu'il a été pourvu d'une intelligence qui lui a permis de profiter de l'éducation reçue, et de savoir lui-même quelle direction d'action est la bonne, tout en sachant réprimer les tentations plus ou moins dangereuses de sa spontanéïté.
Si tel n'est pas le cas, c'est que l'homme n'est pas libre, et on voit mal comment d'autres hommes pourraient l'être davantage, au point d'avoir le droit d'imposer leur volonté à d'autres.
2- Second point.
Toutes choses étant fondamentalement binaires, il va de soi que l'obéissance n'a de sens que par rapport à la désobéissance. Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloges flatteurs, rappelle Figaro (celui de Beaumarchais : le préciser n'est pas inutile : il y en a un autre !).
Je n'ai vraiment à obéir que si j'ai le droit de désobéir. Dans le cas contraire, le fait d'obéir est un acte de soumission parfaitement contraire aux principes élémentaires de la morale et incompatible avec ceux de la responsabilité. Contrairement au titre du splendide poème de V. Hugo ("A l'obéissance passive", in "les Châtiments" 1853), l'obéissance n'a jamais à être passive — Notons au passage, que, pour les soldats de l'an II, elle ne l'était pas non plus, passive !!.
On obéit à un ordre auquel on n'avait pas pensé, parce que l'intelligence et la culture vous disent que cet ordre est en accord avec toutes les valeurs à défendre, donc qu'il est bon, donc qu'il faut le suivre.
Mais à partir du moment où il apparaît à l'analyse que cet ordre porte atteinte à la dignité de l'homme, alors selon le mot d'Anatole France : Il est beau qu'un soldat désobéisse à des ordres criminels.
De même lorsqu'il est démontré, logiquement, scientifiquement et historiquement, que des ordres pédagogiques sont contraires aux intérêts des enfants, notamment de ceux qui n'ont que l'école pour conquérir leur dignité et leur liberté, il est beau, nécessaire, parfaitement moral et conforme aux devoirs civiques, de désobéir à ces ordres.

Ceci dit, il faut rappeler que, face à un adversaire puissant et d'une mauvaise foi évidente, la formule : "A mauvaise foi, mauvaise foi et demi" s'impose.
Galilée a su affirmer que la terre était immobile et déclarant in petto "Et pourtant, elle tourne", et Montaigne précisait qu'il comptait bien "défendre ses idées, jusqu'au bûcher exclusivement".
Tout acte de résistance a toujours exigé que le maximum de précautions soit prises, ne serait-ce que pour avoir des chances d'être efficace, tout simplement.
Il est vrai qu'il faut souvent le courage et le sacrifice de quelques premiers désobéisseurs, pour réveiller les consciences : on doit remercier — et défendre, toutes griffes dehors — les A. Réfalo et autres B. Cazals, de leur audace courageuse, grâce à laquelle nous sommes nombreux aujourd'hui à en parler.
Mais, on peut aussi se rappeler qu'en 1989, les désobéisseurs à la loi d'orientation, — dont je ne suis pas sûre qu'ils l'aient fait pour des raisons d'éthique —, ont su parfaitement ne pas l'appliquer, sans bruit et sans risques. Ils ont pu ainsi préparer sa destruction tranquille, en silence, sans que personne ne puisse même s'en apercevoir.
On aurait pu, peut-être, en faire autant, tout de suite, pour les "nouveaux" programmes... Il est vrai qu'il eût fallu s'entendre, réfléchir à la meilleure stratégie et y travailler tous ensemble... (no comment...)

Aujourd'hui, la situation étant ce qu'elle est, il semble que s'imposent les priorités suivantes :
1- Tout faire pour défendre les "accusés" (après le "délit de solidarité" (!!!!!), le "délit d'opinion" n'est pas loin et on, sait ce que ça veut dire.), et tout faire pour que cesse cette "sanctionnite aiguë", infiniment plus grave que le virus H1N1.
2- Ne jamais oublier qu'un texte officiel pédagogique, étant par nature, d'abord "politique", voire "politicien", conserve la part d'ambiguïté indispensable pour attirer les électeurs. Et comme on sait que ce qui n'est point explicitement interdit reste légalement autorisé, un tel type de texte laisse des "vides juridiques"; où il est toujours possible de s'engouffrer... à condition de connaître le texte par cœur, "au rasoir" selon la vigoureuse formule des comédiens.
3- Se fourbir un argumentaire en béton, afin de pouvoir justifier, devant les supérieurs hiérarchiques, les pratiques qui paraîtraient blâmables aux yeux des fonctionnaires trop zélés.
Dans ma longue carrière je n'ai jamais vu un inspecteur s'opposer à une pratique que son auteur savait justifier par des arguments rigoureux...
C'est aussi pourquoi, je pense qu'il y a tout un travail essentiel à faire en classe — et à tous niveaux —, sur l'argumentation, comme je l'ai dit naguère dans ce blog :

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2009/04/01/113-expliquer-et-argumenter-c-est-a-enseigner-aussi-a-l-ecole

La rentrée sera rude : il y a des choses qu'il ne faut pas laisser faire.
Sur ce point, Daniel Calin
http://dcalin.fr/
nous fait connaître d'autres actions, dont ce blog, qui me semble important à parcourir :
http://resistancepedagogique.blog4ever.com/blog/index-252147.html