Après avoir rencontré des "experts" (des académiciens, notamment, Hélène Carrère d'Encausse, mais aussi Alain Bentolila...), le Ministre a affirmé :
"De ces rencontres, j'ai retiré une certitude : il est urgent d’agir. Et d’abord d’agir dans deux directions, qui n’ont pas suffisamment été explorées jusqu’à présent :
*. Agir de manière précoce, dès la maternelle, car c’est à ce niveau que les enfants s’approprient le langage et découvrent l’écrit.
*. En outre, il faut travailler dès le plus jeune âge, mais aussi tout au long de la scolarité, pour que la lecture ne soit pas perçue comme une contrainte mais réellement comme un plaisir
".

Comme l'ont si bien dit Aragon et Ferrat, le poète, ici le Ministre, a toujours raison. Il est vrai que l'on ne pense pas à l'importance de l'école maternelle, et que personne, jamais ne l'a considérée comme le lieu où les petits s'approprient le langage et découvrent l'écrit. Quant à la lecture qui doit être un plaisir et non une contrainte, ce sont là des propos réellement neufs, un petit air frais dont nous avions besoin.
Ne pensons pas aux esprits chagrins qui ont rappelé qu'à l'école, la lecture est rarement celle qui donne du plaisir, ceux qui osent prétendre que lire un énoncé de problème, les questions de l'interro écrite, ou la Princesse de Clèves quand on est appelé à devenir Président de la République, il y a plus follichon dans la vie, même scolaire... Ce sont propos de mauvaise foi, sans intérêt. La lecture, ce doit être un plaisir, y compris quand il s'agit d'un exploit d'huissier ou d'une lettre de licenciement.

Le discours ministériel est un discours étayé de recherches et d'enquêtes approfondies. On en mesure le sérieux dans quelques échos d'experts :
Il me paraît d’abord nécessaire de faire un effort sur l’apprentissage méthodique du vocabulaire.
Cette forte affirmation révèle la pensée de monsieur Bentolila, trop peu écouté semble-t-il, et dont il va falloir sans tarder mettre en application les fameux 365 mots par an, appris un par un.

Arrivent alors quelques idées frôlant le génie :
Il s'agit d'installer les automatismes grâce à l’apprentissage par cœur, la répétition et la récitation (notamment pour les conjugaisons et les tables de multiplication). C’est le sens de la circulaire de rentrée

Objectivement, il est impossible de ne pas être saisi par la nouveauté d'un tel propos. La mémoire comme prévention de l'illettrisme, c'est une idée remarquable : évidemment, si les enfants connaissent par cœur toute la littérature, et peuvent la réciter, ils n'auront plus besoin de la lire. Le bénéfice est total.

Quant à l'importance du par cœur en matière de conjugaison et de tables de multiplication, comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ? Certes, des esprits compliqués ont pu, en leur temps, expliquer que ce qui a été appris par cœur n'est en général disponible que sous la forme où cela a été appris, et que la récitation, dans l'ordre, des six formes du paradigme verbal est de peu de secours en situation de communication orale ou écrite. Mais ce ne sont là que billevesées sans conséquences.
De fait, savoir réciter les formes du passé simple du verbe coudre est chose non négligeable dans les jeux télévisés et autres distractions familiales. Même constat pour les tables de multiplication : selon la célèbre formule de l'humoriste Jacques Bodoin, une table de multiplication c'est une mélodie avant tout, qu'il faut savoir chanter, les paroles restant secondaires.

Un peu plus loin dans le discours, on fait une découverte enthousiasmante :
Je souhaite que chaque élève de CM2, et pourquoi pas de CE1, reçoive, à la fin de l’année scolaire, un livre pour l’été, issu du patrimoine littéraire français. Ce sera une façon d’encourager la lecture tout au long de l’année.
Que voilà une idée extraordinaire : rétablir la distribution des prix de fin d'année !! Il ne manquait plus qu'elle, pour que la nostalgie, qui décidément, redevient ce qu'elle était, s'épanouisse à loisir. Offrir un livre à chaque enfant le dernier jour de l'année scolaire, quelle belle et noble initiative ! Merci monsieur le Ministre !
Sans doute, une question subsiste-t-elle, mais de peu d'importance : "Pourra-t-il le lire, ce livre offert ?".
En fait, on aurait tort d'être inquiet à ce sujet : comme il va de soi que chaque enfant connaîtra l'alphabet — par cœur — et qu'il saura frapper les syllabes, de chaque mot, y compris celles qui n'existent pas, la lecture sera évidemment maîtrisée.
Tous les enfants sauront effectuer les opérations mentales par lesquelles on construit du sens sur un texte écrit, puisqu'ils les auront apprises sur des éléments n'ayant aucun sens, comme des syllabes artificielles, toutes sortes d'associations de lettres, et sur de mots isolés, comme ils ne le sont jamais dans les textes. Idée vraiment fabuleuse : apprendre à comprendre sur des éléments qui ne signifient rien.. Et puis, sur les manuels de lecture, il y a des couleurs qui amusent les enfants, et des dessins bien à leur portée, qui les occupent et les dispensent de réfléchir à ce qu'ils lisent... Quant aux textes, il faut reconnaître que c'est bien trop compliqué, ça prend un temps considérable, et ça ne sert pas à grand chose : lire des mots est bien suffisant.

Bien sûr, les enfants liront à haute voix (tous ensemble ?), ce qui mettra un peu d'animation dans les classes. Les empêcheurs de syllaber en rond, qui ont osé voir une différence entre lecture des yeux — jusqu'à dire que c'est la seule lecture digne de ce nom (quelle absurdité !) — et lecture à haute voix, — qui ne serait pas de la lecture, mais une activité orale, fort difficile et qui n'aurait rien à voir avec le déchiffrage oralisé — , ne sont que des débiles irresponsables, destructeurs d'une école forte et efficace, que notre Ministre va enfin installer pour un avenir bleu ciel.

L'école est donc sauvée. Buvons et trinquons (sans jeu de mots) à la santé d'un si bon ministre.
Au moins peut-on espérer que la griserie nous empêchera de penser, voire d'agir et de résister, choses détestables face à un gouvernement de droit divin, qui, tel Dieu, sait seul ce qu'il fait, pour notre plus grand bien.
Notre bien ? Celui de nos enfants ? Vous êtes sûrs ?