Depuis toujours, deux choses, au moins, ne vont pas bien à l'école :
1- Elle n’est jamais parvenue à gérer convenablement son temps.
2- Elle n'est jamais parvenue non plus, même si, par moments, elle en a eu l’intention, à prendre en compte l’élève en tant que personne.
Pour reprendre la célèbre formule d'Y. Chevallard, elle a beaucoup de mal à comprendre que "l'enseignement est un jeu à deux", et qu'on ne peut jouer que si le partenaire veut bien : en fait, l’organisation du temps a toujours été conçue pour les adultes et leur confort.
Et ce ne sont pas les nouveaux vieux programmes qui vont arranger les choses :
* d’une part, ils prévoient que tout apprentissage doit se faire vite.
* d’autre part, l’élève en tant que personne est totalement absent de ces programmes.
Cela signifie que ceci est inséparable de cela, et si les "solutions" apportées à la question du temps à l'école sont si peu satisfaisantes, c'est parce que la question est plombée par le refus de prendre en compte les données pédagogiques et psychologiques.
Examinons la chose d'un peu près.

Le Pouvoir clame, à qui veut l’entendre, que les apprentissages doivent se faire vite et le discours ambiant, c’est à peu près :
« moins on perd de temps à apprendre, plus vite on sait »… et j’ajoute… donc plus vite on peut être productif !
Or, la remarque de C. Freinet s'impose, qui rappelait joliment que, même si l'on est très pressé, il est inutile et dangereux de tirer sur les fleurs pour qu'elles poussent plus vite.
Et puis, on sait depuis longtemps qu’un enfant, comme un adulte, n’apprend pas de façon régulière : il n’existe ni enfants rapides dans les apprentissages, ni enfants lents… Les vitesses sont, non seulement différentes d’un enfant à l’autre, mais aussi d’un moment à l’autre, d’un domaine à l’autre avec des besoins de repos et même de régressions : il est nécessaire d’oublier pour mieux savoir.
C’était le sens de la loi d’orientation de 89 et de la création des cycles. La durée d’une année est insuffisante pour que tous les enfants atteignent des objectifs donnés : il faut au moins trois ans, — et encore, à condition que ces trois ans ne fassent qu’un, sans évaluation sommative au milieu, sans redoublement ni passages anticipés. Au pire, en cas, d’absence prolongée pour cause de maladie, par exemple, le cycle peut s’allonger d’une année, afin que les objectifs du cycle puissent être atteints, ce qui est parfaitement possible, si une ambiance de confiance et de solidarité entre pairs est installée dans la classe et dans l’école.

Vouloir que les apprentissages se fassent rapidement a de graves conséquences, qui se déplient en cascade.
D'abord cela entraîne une conception passive et réceptive de l’élève qui n’a plus d'autre devoir que d'écouter, avaler, et restituer sous forme de récitation ce qu’on lui a ingurgité.
Inutile de se préoccuper de ce qu’il va faire de ses savoirs, comment il les réinvestit, etc. Il suffit de les contrôler, comme on mesure la hauteur du liquide que l’on a versé dans un récipient… D'où la manie des évaluations, aujourd’hui, qui conduit souvent à évaluer ce qu’on a pas eu le temps d’apprendre…
Un enfant n’est pas un récipient, et enseigner n’est pas remplir.

Ensuite : si on l'associe aux besoins économiques de la société, la nécessité de mettre en place des apprentissages rapides, s’éclaire d’une redoutable cohérence toute politique. Pour que ces apprentissages soient rapides, il est nécessaire qu’ils soient simplifiés, et que l’école évite avec soin tout ce qui peut prendre du temps (la recherche, l’activité des élèves, la réflexion, le tâtonnement, le travail d’équipes, etc.). Le savoir conscient, théorisé, maîtrisé, disparaît des apports de l’école, seuls subsistent des «récitations» sans utilité ni efficacité, et donc sans danger pour la société.

Le savoir donne du pouvoir — le seul véritable dans une société de droit. Il n’est sans doute pas prudent, aux yeux de ceux qui l'ont, que ce pouvoir tombe en n’importe quelles autres mains.
l Comme on sait que les « bons » élèves de nos classes réussissent, non, grâce à nous, à peine par l’école, mais par la chance qu’ils ont eue de naître au bon endroit, on accepte sans état d’âme de voir l’école, appauvrie, devenir incapable d’apporter à tous ce que la famille apporte à quelques-uns ; le savoir diffusé restera chez ceux qui le méritent, et la société ne courra aucun risque d’être modifiée.

Tout ceci permet de comprendre la nouvelle mode officielle de ne plus parler de savoirs ou de connaissances, mais de «compétences», en donnant à ce terme un sens que récusent tous ceux qui ont travaillé sur cette question.
Une compétence, pour ces derniers, c’est la réunion, dans un champs de connaissances donné, des savoirs conceptuels ET opératoires relatifs à ce champ. Il faut les deux aspects du savoir. Ce n'est pas ce qui ressort des programmes : dès qu'on les lit un peu en profondeur, on s’aperçoit que, pour eux, ces compétences ne sont en fait que des savoir-faire : pas ou très peu de théories, des acquis qui ressemblent fort à ce qu’on appelle « conditionnement », joliment baptisé ici « adaptation aux besoins de la société ».
Quand on déshumanise la société, on déshumanise aussi l’école. Mais aucun être humain ne supporte d’être déshumanisé : c’est probablement une des causes essentielles des phénomènes de violences qui semblent de plus en plus nombreux dans les établissements scolaires, sans épargner l’école primaire…

On ne peut que songer avec effroi au roman, d’A.Huxley…

Concrètement, que faudrait-il faire ?

C'est d'abord l'organisation de la journée qu'il faudrait revoir.
On pense d'emblée aux travaux plus que précieux de chercheurs comme H. Montagner, qui sut si bien secouer le cocotier des idées reçues, à commencer par celle qui prétend que le matin serait la période la plus propice au travail intellectuel des enfants. C’est évidemment faux, surtout à notre époque. Le matin ils sont mal réveillés, couchés trop tard et partis sans avoir eu le temps de petit-déjeuner. Ils ont au contraire besoin d’un « réveil musculaire », comme on disait à la radio dans ma jeunesse, un temps d’activités motrices joyeuses et de chants pour se remettre à bien respirer. Et pour être en forme.
Quant à l’après-midi, si le temps de la digestion a été respecté, chacun a pu observer que le moment entre 15 et 17 heures est particulièrement propice à un travail intellectuel…
Du reste, dire comme on a pu l’entendre, que l’après-midi étant un moment où les facultés seraient plus ou moins en sommeil, il faudrait la réserver aux activités secondaires, non fondamentales, que sont l’EPS, la musique ou le dessin, est non seulement injurieux pour les professeurs de ces disciplines, mais profondément stupide.
Il n’y a pas de disciplines fondamentales, et toutes les entrées sont possibles pour les maîtriser toutes.

On ne peut toutefois s'empêcher de regretter, sous la plume de ce grand chercheur, une formule comme : "Connaître et de respecter les moments où les enfants sont plus réceptifs".
C'est une formule désolante qui illustre bien le cloisonnement qu’on se croit obligé d’installer pour ne pas marcher sur les plates-bandes des autres secteurs. Si c’est pour trouver les moments où les enfants sont plus « réceptifs » qu’il faut connaître le fonctionnement biologique des enfants, ça ne changera pas beaucoup l’efficacité de l’école !
On le sait, pourtant : en classe, les élèves n’ont rien à recevoir, ils ont à être aidés dans la construction de leur savoir.
En classe, ils ont à travailler ensemble, et non à écouter le maître, sauf quand il apporte ce qui a manqué à leur travail, — et encore, jamais pour les corriger, mais pour les enrichir…
Ils ont surtout à s’aider mutuellement, à coopérer pour réussir, à être solidaires. C’est toute la classe qui doit réussir, et c’est toute la classe qui doit aider ceux qui sont en difficulté : ce n’est pas l’enseignant. La tâche de celui-ci, c’est d’aider les élèves à aider les autres. Le jour où l’on cessera de leur demander de se taire, d’être attentif et de mémoriser, les enfants ne « décrocheront » plus. Ils seront motivés, s’ils sont impliqués dans leur aventure pédagogique, s’ils savent à quoi cela va servir et s’ils sont reconnus comme des partenaires dans les classes où ils se trouvent. Si la fameuse « clarté cognitive » dont parle J. Fijalkow est une réalité dans les classes.

Le découpage ridicule de la semaine, en petits morceaux revenant toujours sous la même forme et au même moment, devrait être aussi remis en question : il ne permet aucun travail en profondeur et ne satisfait même pas le besoin de « rituel » des enfants. Du reste, ils n’ont pas besoin de « rituel », ils ont besoin de régularité, ce qui est différent.
Qui dit régularité, dit nécessairement différences. En fait, on peut très bien faire des choses différentes d’une semaine à l’autre : et si la vie de la classe s’organise autour d’une pédagogie de projets, s’ouvrant à l’extérieur de l’école, la régularité peut s’installer autour des deux types de moments, un peu comme celle des sportifs de haut niveau. C’est-à-dire une vie où alternent matches et rencontres d’un côté et moments d’entraînement de l’autre. On notera au passage que ce qu’on appelle l’entraînement en sport ne se borne pas à des exercices, mais comporte des moments de théorisation, historique, scientifique, psychologiques physiologiques etc.etc.
La semaine de classe peut parfaitement s’organiser de la même manière : des moments où l’on travaille sur des projets sociaux, en vraie grandeur, qui ne sont en rien des moments où l’on ferait « autre chose que travailler », comme disent nos adversaires.
Non seulement, on y travaille — et souvent beaucoup ! —, mais ce sont surtout des moments indispensables aux apprentissages, car c’est là que se construit justement la fameuse motivation d’apprendre, don ton déplore qu'ils en soient dépourvus. C’est en effet, dans ces projets non scolaires, que les enfants découvrent trois choses essentielles :

* Ils prennent conscience qu’ils savent déjà pas mal de choses (on n’a envie d’apprendre que si on a conscience de savoir déjà un peu)
* Ils découvrent aussi qu’ils n’en savent tout de même pas assez et qu’il leur est nécessaire d’apprendre encore.
* Ils comprennent à quoi peut servir ce qu’ils apprennent.
Si ces trois conditions ne sont pas remplies, inutile d'attendre la motivation.
Mais surtout, avec une telle organisation, la vie entrera enfin dans les classes, et avec elle, des apprentissages durables.

Sur l’année — mais nous savons que le cycle de trois années serait bien préférable — l’organisation de l’année en cinq plages de 7 semaines entrecoupées de deux semaines de vacances, semble l’organisation la plus sage, à plusieurs conditions, qui ne sont malheureusement que très rarement remplies :

* que les programmes ne soient plus abordés chapitre par chapitre dans une linéarité dont on sait qu’elle ne favorise en rien les apprentissages. Et qu’ils fassent au contraire l’objet, en début d’année, d’une exploration de leur totalité pour chaque discipline, afin de permettre à l’élève de savoir où il va et où il en est. C’est en effet une condition essentielle pour que s’installe une sécurité affective indispensable à la réussite.
* Que ces plages de sept semaines soient meublées de contenus rigoureux, définis avec les élèves, programme en mains, à partir d’une évaluation formative — et uniquement formative ! — en fin de période précédente.

Un mot sur l’école maternelle, même si c’est là qu’on fait le moins de catastrophes (encore que, entre le goûter, le pipi, l’habillage, le déshabillage, et l’attente des parents, il reste parfois peu de temps pour stimuler par des situations-problèmes les synapses de nos petits...).
Ce qui inquiète, à son sujet, ce sont les recommandations — les obligations — des programmes, comme celle de travailler sur les sons dès l’école maternelle, proposition aberrante à cet âge, et erronée scientifiquement, tant au plan linguistique, que psychologique, ou celle de Monsieur Bentolila, — qui n’a pas peur du ridicule — d’enseigner un mot nouveau par jour, comme si c’était ainsi que le vocabulaire des enfants, (comme celui des adultes), peut s’enrichir.
Et que dire des évaluations en maternelle, quand on sait combien le fait d’évaluer, de coller une étiquette sur l’enfant, peut être perturbant et même destructeur.
Utopie, sans doute…
Je reste, en tout cas, profondément persuadée que, outre le fait que seules les utopies font avancer, c’est la direction qu’on finira forcément par prendre un jour…
L’espoir, dit-on, fait vivre…. A condition qu’on soit bien au clair avec ce qu’on espère !

N.B. J'invite aussi les lecteurs intéressés à jeter un coup d'œil sur ce texte de Christian Watthez, un collègue et ami belge, qui m'a envoyé le commentaire ci-dessous, le premier lien renvoie directement au texte et le second au site.
http://www.partagerdespratiques.be/ressources/P-rendre-le-temps-d-apprendre.pdf

http://www.partagerdespratiques.be/enfantendifficultes