Bien avant la réforme des "rythmes scolaires" (qui ne présentait aucune urgence et dont on voit les conséquences aujourd'hui), c'est par l'évaluation — et les programmes — qu'il fallait lancer la refondation de l'école. Et en tout premier lieu par l'évaluation des enseignants : c'est elle qui pouvait entraîner une transformation profonde de l'évaluation des élèves. Et quand on change la manière d'évaluer, on change obligatoirement la manière d'enseigner. Les premiers à lancer ce travail de renouveau devaient donc être ceux qui ont la charge d'évaluer les enseignants, les IEN.
Or, depuis cinquante ans, de nombreux travaux sur ce sujet permettent de poser deux affirmations essentielles :
1- A l'école, l'évaluation ne peut avoir d'autre but que d'améliorer le travail d'apprentissage. Aucune évaluation sommative (= certificative) ne peut être envisagée, tant que les apprentissages ne sont pas terminés. Autrement dit, seule l'évaluation formative a sa place dans les classes.
2- Une évaluation formative est un travail collectif et s'élabore dans une relation enseignant-élèves. L'évaluation des élèves ne peut être que participative. A fortiori, celle des enseignants.

Certains Inspecteurs auraient-ils oublié ces données ? Ou les aurait-on formés en dehors des valeurs de la démocratie ?

Voici le récit de Pierre.

" Madame l’IEN annonce d’emblée qu’à la suite d’une inspection « menée » le 30 septembre, elle décide de baisser l’appréciation adverbiale d’une professeure d’école, de « Très satisfaisant » à « Passable », sans joindre un rapport circonstancié et sans attendre la validation de son rapport par le Directeur Académique. L’appréciation adverbiale est mécaniquement liée à une note, cette décision sans appel signifie par conséquent une baisse de note. Cette baisse étant considérable dans la grille de notation, elle s’apparente à une sanction. Outre le mépris affiché pour les inspecteurs notateurs précédents qui étaient très satisfaits, outre l’absence de dialogue avec une recherche sereine des causes d’un éventuel et grave désinvestissement professionnel de l’enseignante, cette décision est contestable sur le fond et sur la forme. Quand un enseignant affiche une telle chute qualitative dans sa pratique, une saine gestion de la ressource humaine impose de dialoguer plutôt que de sévir autoritairement. La décision brutale de Madame L’IEN indique en elle-même qu’il ne peut s’agir d’un contrat de progrès mais d’un acte répressif et menaçant. Elle est parfaitement contestable.
Madame l’IEN fixe ensuite le contenu du « contrat de progrès » qui mérite un regard critique sur des conceptions de l’inspection, au-delà du cas particulier, et sur la formation actuelle des IEN.
Il convient d’abord de s’interroger sur la notion de contrat. La conception de l’IEN apparaît fort curieuse. Un contrat lie deux parties, il fait donc l’objet d’un dialogue, d’une concertation, d’une mobilisation de l’intelligence des deux parties, d’un accord conclusif entre les deux parties. Ce n’est absolument pas le cas de ce prétendu contrat qui n’est qu’une liste d’injonctions autoritaires, non hiérarchisées, non catégorisées, non référées aux enjeux du système éducatif en pleine refondation, sans cohérence avec les grands objectifs des politiques éducatives nationales. Certaines injonctions apparaissent comme des marottes d’inspecteur caricaturées du 19ème siècle. D’autres relèvent d’a-priori personnels de l’IEN, qui méritent, pour le moins, une analyse et un débat contradictoire, à moins de considérer que les enseignants de cette circonscription ne sont que des exécutants soumis au fait de la princesse et d’une pensée unique imposée. La forme et le contenu de ce pseudo contrat sont donc parfaitement contestables.
Ce pseudo contrat impose de :

1. réajuster l’emploi du temps
2. repenser la didactique des activités d’écriture
3. améliorer votre graphie personnelle pour offrir un modèle de référence aux élèves
4. rendre effective une différenciation pédagogique
5. réaménager les affichages en mathématiques
6. formaliser des fiches de séquence dans les domaines fondamentaux

(NDLR ; Nous avons numéroté les injonctions pour faciliter l’exploitation du document, en respectant l’ordre de la liste. Le mot « ordre » est inapproprié, car la liste est en fait aléatoire, au fil de l’humeur, non hiérarchisée, non référée à des catégories logiques liées à une pensée cohérente.)

Les injonctions 1, 2, 3, 5 et 6 ne constituent aucunement des facteurs d’amélioration de la réussite scolaire. Aucune ne justifie une baisse aussi considérable de l’appréciation et donc de la note. Aucun pédagogue sérieux n’oserait affirmer qu’il s’agit de problèmes déterminants par rapport aux problèmes fondamentaux des apprentissages, de la construction des outils mentaux et de compétences, de l’acquisition de savoirs, de la préparation d’une école pour le 21ème siècle.
Des inspecteurs auraient pu formuler oralement de telles recommandations il y a une centaine d’années s’ils n’avaient pas été attachés à traiter sérieusement de la réussite scolaire. Ajoutons que la fiche de séquence exigée, uniquement dans les domaines fondamentaux, appelle de nombreuses objections à notre époque.
Les domaines non fondamentaux seraient-ils négligeables ?
Les outils sont-ils fabriqués pour l’IEN ou pour une pratique de classe intelligente et fondée sur une expérience reconnue par les IEN précédents ?
Les affichages en classe sont-ils le meilleur moyen d’accéder aux outils nécessaires pour résoudre des problèmes en maths ou dans d’autres disciplines ?
Les murs sont-ils assez grands et accessibles à la vue de tous pour être utilisés par tous ?
La didactique des activités (sic…et non des apprentissages) d’écriture est-elle unique et admise par la communauté scientifique spécialisée, si elle existe encore à l’heure du numérique que Madame l’IEN sait imposer par ailleurs aux enseignants ?

Un humoriste se régalerait à illustrer ces injonctions.
L’injonction 4 est la seule des 6 injonctions qui puisse impacter la réussite scolaire. Il s’agit de la différenciation pédagogique. Il est évident qu’elle ne peut en aucun cas être un prétexte à sanction et à baisse de note. Car personne ne peut prétendre qu’il détient la solution aujourd’hui, alors que l’on est encore sous l’emprise de l’enseignement collectif frontal, confirmé par les autres injonctions, quand on exige des outils type « fiche de séquence » qui sont adaptés à ces pratiques anciennes mais pas du tout à la différenciation.
Ce problème nécessite débat, réflexion collective, formation continue… La différenciation pédagogique ne peut se construire que dans une relation professionnelle respectant les personnes et leur histoire, dans une coopération honnête entre acteurs et experts, dans un esprit de recherche-action.
Elle ne peut pas se construire dans un climat de défiance, d’autoritarisme, de rapport de pouvoir et de domination. Elle ne peut se concevoir que dans un climat de confiance… ce qui n’existe pas, à l’évidence, dans cette circonscription.

Notons qu’au temps de la refondation, les pratiques caporalistes de l’inspectrice mériteraient une forte médiatisation et une action syndicale déterminée, le syndicat majoritaire des inspecteurs admettant lui-même qu’il n’y aura pas de refondation de l’école sans refondation de l’inspection. Ajoutons qu’il serait urgent de mettre un terme aux dérives autoritaristes et technocratiques déshumanisantes qui ont été encouragées durant ces dernières années. "
Pierre Frakowiak.

Merci, Pierre, et surtout qu'on se le dise !!