La lettre envoyée, il y a quatre jours, à tous les recteurs et rectrices des Académies, est un pur bijou de rêverie ministérielle.
Pour "inspirer confiance aux élèves" et leur offrir un "cadre bienveillant", il y est fait appel aux "chorales et orchestres des écoles maternelles, primaires et collèges" — extrêmement nombreux, comme on sait, surtout les orchestres — ainsi qu'aux "parents musiciens", tout aussi nombreux et disponibles, pour choisir les morceaux qui seront joués, décider du moment favorable (qui doit tout de même se dérouler impérativement le lundi 4 septembre) et organiser les répétitions nécessaires.
Outre qu'on voit mal comment tout ceci, à quelques jours d'une fin d'année, pourrait être mis en place pour le jour de la rentrée, il est difficile de trouver une cohérence, même minime, entre ces "moyens" et l'objectif annoncé : "construire une école de la confiance".
De fait, on est devant une vitrine pour public manipulable, révélant à la fois, du mépris pour ces activités artistiques, incompatibles avec une telle improvisation, et une ignorance totale de ce qu'est une "école de la confiance", superbe formule, dont la mise en application requiert un travail long et rigoureux, mené en équipes solidaires, parents, enseignants, enfants, administration et supérieurs hiérarchiques.
Il serait tout de même souhaitable que les ministres réfléchissent un peu au sens des mots qu'ils emploient et aux contradictions qu'ils affichent sans s'en apercevoir : quand on clame haut et fort que lire, écrire, compter, ça suffit à l'école primaire, que peut bien signifier cette aumône musicale inattendue et mal fagotée, envoyée, le jour de la rentrée, comme un bonbon à des enfants réclamant à manger, juste avant qu'ils ne retrouvent le menu préétabli avec ses syllabes à frapper et ses exercices à trous ?

Et puis, pourquoi de la musique et pas de la danse, ou des jeux, ou un goûter ?
Une école de la confiance, est-ce compatible avec l'utilisation quotidienne de notes pour juger les enfants, dont on sait qu'en dépit de tous les désirs de justice, elles sont mises n'importe comment, sans avoir défini les critères, qui restent largement dépendants de l'humeur du moment, ce qui leur ôte toute valeur évaluative ? Est-ce compatible avec une école de la compétition, où l'entraide est un délit, l'évaluation, un jugement, et où les difficultés rencontrées par les élèves sont considérées comme un manque de travail à sanctionner ou un "dys"-fonctionnement de l'élève à soigner ?
Une école de la confiance, c'est une école où la confiance est construite ensemble, élèves et enseignants, de façon RÉCIPROQUE, une école qui aide les enfants au lieu de les soigner ou de les punir (ce qui revient presque toujours au même), une école où l'échec d'un enfant, préoccupe chacun de ses camarades et conduit l'enseignant à remettre en question sa pratique, une école où le fait d'être "bon" en gym ou en dessin est aussi important que l'être en maths, ou en orthographe, une école où l'évaluation est toujours participative, et prend en compte le regard de l'enfant sur ses propres progrès.
La confiance, ça ne s'impose pas le jour de la rentrée, par un décret ministériel, mais ça se construit, petit à petit, tous les autres jours.

Quant à offrir un recueil de fables de la Fontaine aux enfants, c'est vraiment à la fois ridicule et inapproprié. Cela révèle surtout une ignorance totale de ce qu'est La Fontaine, qui n'est en rien un auteur pour enfants : son œuvre exige plus que tout autre des connaissances historiques approfondies, car elles sont presque toutes politiques, œuvre d'un des rares "frondeurs" du régime de Louis XIV.
Quiconque a deux sous de culture sait que les morales de ses fables sont toujours ailleurs que là où il les explicite, que les fables, sous leur apparence simplette, sont des œuvres de satire politique, savamment camouflée, qui demandent une lecture au second degré. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours déconseillé de les faire lire à l'école primaire, car à cet âge, la lecture, (quand elle est possible, et, pour La Fontaine, en plus, elle ne l'est guère, car la langue leur est complètement étrangère) ne peut être qu'une lecture de premier degré : les fables semblent d'un moralisme un peu plat, considérées dès lors comme œuvres pour enfants, dont les adolescents qu'ils deviennent ensuite refusent la simplicité.
Je tiens beaucoup à ce qu'on n'abîme pas de tels chef-d'œuvre. On ne doit les leur donner à lire que lorsqu'ils sont devenus capables d'en repérer les "caves et les greniers", pour reprendre la célèbre formule de Francis Marcoin : les leur proposer trop tôt, c'est, comme disait ma grand-mère, qui avait le verbe légèrement révolutionnaire : " donner de la confiture (ou du foie gras) à un sergent de ville".
C'est surtout gâcher pour les élève un plaisir raffiné et goûteux, un plaisir culturel s'il en est, celui de découvrir et de savourer la puissance d'une vraie contestation sociale — largement valable aujourd'hui encore — dans l'histoire d'un paysan du Danube, ou dans celle d'un rat qui s'est retiré du monde, et non la plate (et fausse) morale de l'histoire de la cigale, qui aurait dû travailler au lieu de chanter...

Donnez-leur de vraies graines et non du sable, disait Alain. j'ajoute, moi : Ne les laissez pas prendre de vraies graines pour du sable.
L'école est le seul lieu où TOUS les enfants, quel que soit leur milieu familial, peuvent se forger la culture indispensable à la dignité d'un citoyen libre. N'en gâchons pas à l'avance, par des décisions infantiles et précipitées, deux de ses composantes essentielles, la musique et la littérature contestataire.

Allez ! Que vos vacances à tous soient reposantes et bénéfiques : la rentrée sera chaude !