Impossible à défendre, cette décision est tout le contraire de ce qu'on doit faire à l'entrée au CP. Les exercices qui seront distribués aux enseignants, sont arrivés : ils sont consternants, ennuyeux à périr, sans aucun intérêt, n'apportant à l'enseignant aucune information valable sur ses élèves.
Sans rapport, ni avec ce qu'est une évaluation, ni avec ce qu'est la lecture, ni avec ce qu'est un enfant de six ans, et pas davantage avec les savoirs qu'il a pu construire avant d'arriver à l'école. Et c'est, cerise sur le gâteau, une décision contraire à la loi !

1- Une décision contraire à la loi.
Monsieur le Ministre ignorerait-t-il que la scolarité des enfants est organisée par cycles de trois années ? Et ce, pour des raisons hautement scientifiques qu'il semble nécessaire de rappeler ici, à lui si soucieux de scientificité.
Les programmes 2016 invitent, en effet, à poursuivre l’organisation de l’école primaire telle que prévue depuis 1989, c’est-à-dire, en trois cycles. De fait, depuis cette date, sous la pression de tous ceux que cette loi agaçait, celle-ci est restée appliquée... d’assez loin.
Reprise sans réserves en 2016, mais assortie d’une légère modification, elle met l'accent sur la liaison école – collège, en intégrant la sixième dans le cycle 3 du primaire, tandis que la loi d'orientation avait préféré la liaison maternelle-primaire. Au final, cette modification est loin d'être négative, car elle présente l’avantage d’éviter un risque, non négligeable dans la version 89, celui de faire de la GS un CP1.

Ce qui justifie cette organisation en cycles, ce sont les découvertes des travaux menés, depuis les années 70, sur les manières dont les enfants apprennent — travaux, du reste, corroborés par l’expérience de quiconque a eu des enfants — à savoir que la progression du développement de ceux-ci ne s’effectue pas de façon régulière, mais par des sortes de « bonds ». À certaines périodes, les enfants font tout à coup d’énormes progrès, en divers domaines, puis traversent une période de « repos » dans leurs avancées, parfois accompagnée de régressions, pour rebondir un peu plus tard, et ainsi de suite. On note que les périodes de progrès ne sont prévisibles, ni en dates ni en durées.
Il est facile de comprendre que, sur un groupe de vingt-cinq élèves, si l’on veut qu’ils aient tous atteint un objectif visé, il faut une durée qui dépasse largement l’année, car il y a fort à parier qu'une partie d'entre eux termineront l'année en période de repos, voire de régression, pour être jugés "en retard" et entrer dans le cercle très ouvert des "dys".
C'est pour éviter cela que les cycles ont été instaurés, les travaux en question faisant apparaître que trois années sont une bonne durée pour qu'un objectif d'apprentissage soit atteint par tout un groupe — à condition qu'aucune évaluation, autre que formative, ne la perturbe avant la fin du cycle, seul moment propice pour une évaluation sommative ou certificative.

2- Une décision contraire à ce qu'est l'apprentissage de la lecture.
Ceci est d'autant plus nécessaire que le premier niveau du savoir lire et loin d'être constitué du déchiffrage oralisé des mots, dont on a toutes raisons de penser qu'il porte la responsabilité des faibles résultats obtenus en compréhension des écrits lus. Étant un mécanisme censé alléger le travail de raisonnement qu'exige la compréhension, il endort l'intelligence au contraire, comme tout mécanisme, et l'empêche d'intervenir dans l'action.
C'est que ce raisonnement, particulièrement ahurissant de stupidité, confond ici "mécanisme " et "automatisme", ce dernier étant un comportement construit et compris, parce que théorisé, que l'on a intériorisé ensuite par un travail important d'entraînement : rien à voir avec le déchiffrage oralisé, imposé sans l'ombre d'une prise de conscience, du reste impossible à cet âge. Tout ce qu'on sait de la psychologie des petits permet de dire que c'est par la compréhension qu'il faut commencer, en s'appuyant sur les écrits que les enfants connaissent.

3- Une décision contraire à la fois à ce qu'est un enfant, et à ce qu'est une évaluation.
Monsieur le Ministre semble ignorer qu'on n'évalue pas un enfant comme un objet. La technique qui consiste à comparer la situation de départ et celle d'arrivée est excellente quand il s'agit de passer d'une planche de deux mètres à une, d'un mètre cinquante. Mais pour un enfant, ça ne marche pas comme ça du tout. Il faudrait le prévenir de cette petite différence.
Un élève, même au CP, étant un être humain, une évaluation de ses progrès ne saurait être une mesure (où est l'étalon ???). Elle doit se faire avec lui, de façon participative, inclure son propre regard et être orientée sur ce qu'il a appris, jamais sur ce qu'il devrait savoir.
Quand on défend cette évaluation de "départ", en rappelant qu'il faut s'appuyer sur ce que savent les enfants, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas du tout de ce qu'ils savent du programme ! Savoir s'ils reconnaissent des lettres ou s'ils savent copier un mot, comme le font les cahiers d"items" reçus, n'a rien à voir avec les "savoirs déjà là" dont on parle. Ceux-ci sont les savoirs construits dans leur vie personnelle, dont on sait qu'il faut qu'il les retrouvent, au moins en partie, dans ce qu'ils ont à apprendre, faute de quoi l'apprentissage ne "prendra" pas.
Et cette évaluation-là, seul l'enseignant peut la mener, car elle doit se faire au cours d'échanges informels et ludiques avec l'enfant qu'il faut savoir mettre en confiance.

Pas besoin d'être agrégé de psycho, pour savoir qu'une séance d'exercices comme ceux qui sont prévus est une destruction massive de toute confiance en soi, à un moment où l'enfant est fragile, encore sous le coup de tout ce "nouveau" qui bouleverse sa vie. Lorsque le Ministre affirme avec hauteur qu'une évaluation n'a aucune raison de faire peur, il prouve à quel point il manque d'empathie pour les élèves, et combien il les ignore et les traite effectivement comme des objets.
C'est pourquoi, je dis que cette décision est abominable, une espèce de crime contre l'humanité enfantine, un sacrifice hideux sur l'autel de la fausse science, celle dont un grand rappelait qu'elle est "la ruine de l'âme".
Ne laissons pas faire, je vous le demande !