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Il faut avouer qu'entre l'expérimentation "Agir pour l'école" (que découvrait Libération mardi dernier), les livres de "sons simples" et l'évaluation CP de janvier, elles ne manquent pas, les raisons de s'inquiéter pour l'avenir de nos enfants et les bagages intellectuels dont l'école de Blanquer va les doter plus tard.
Notre ministre fait plus que se tromper : il révèle — et son équipe avec lui — des ignorances, dans un domaine, celui des apprentissages de base, (ses chers "fondamentaux"), où elles sont absolument inacceptables de la part de celui qui dirige l'Éducation Nationale.

L'exemple analysé par Rémi, c'est l'item qui demande à ces petits de trouver la solution de 8+5.
"Rien de plus élémentaire", s'exclament les non-matheux, secte dont je fais partie, et qui m'aurait conduite à réagir de la même manière, si je n'avais pas appris, un jour, qu'en cinquième de collège encore, nombreux sont les enfants qui comptent sur leurs doigts pour répondre à une demande de ce type.
Et si certains d'entre vous, non matheux, me rétorquent que cela importe peu, dès l'instant où le résultat est là, je vous laisse réfléchir aux propos de Rémi.

Pour qu’un élève de CP sache fournir le résultat d’une addition telle que 8 + 5, on observe deux sortes d’approches pédagogiques :

1°) Entrainer l’élève à trouver le résultat à partir d’un comptage-numérotage sur une file numérotée. Pour 8 + 5, l’élève doit commencer par repérer la case « 8 » sur cette file avant de compter 5 cases à la suite. Il dit : « un » alors qu’il pointe la case 9 , « deux » (10), « trois » (11), « quatre » (12) et « cinq » (13). Le résultat de l’addition est le numéro de la case d’arrivée : 13. On parle de comptage-numérotage dans ce cas parce que l’enfant n’a pas besoin d’avoir conscience que chaque déplacement du doigt d’une case à la suivante correspond à l’ajout d’une nouvelle unité à la quantité 8 de départ. Il n’a pas besoin d’avoir compris qu’il a calculé 8 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1.

2°) Trouver le résultat de 8 + 5 à partir d’un raisonnement permettant de transformer le calcul de 8 + 5 en un autre calcul équivalent et plus facile, notamment ceux de type 10 + n.

La procédure de comptage s’enseigne très facilement du fait de son aspect mécanique. Certes, la réussite n’est pas assurée d’emblée parce que les élèves les plus fragiles disent « un » alors que leur doigt est sur la case 8 plutôt que d’amorcer le comptage dans la case suivante. On remarquera qu’un élève qui commet cette erreur ne sait pas qu’il est en train de compter deux fois la même unité, il ne comprend pas ce qu’il fait. Mais il n’est pas indispensable que l’enseignant attende que ses élèves comprennent : cette procédure est tellement facile à mettre en œuvre que, même sans compréhension, ils peuvent être entrainés à obtenir le bon résultat.

En revanche, enseigner les stratégies de décomposition-recomposition est un projet pédagogique d’une toute autre ambition et, en janvier au CP, on ne peut guère espérer que beaucoup d’élèves utilisent cette stratégie avec succès, du moins sans aide (usage d’un matériel, tutorat de l’enseignant). Or, un tel usage de ces relations consolide en retour leur connaissance. C’est un phénomène général : toute utilisation d’une connaissance consolide celle-ci. (...)
Pour les élèves, en effet, le choix est vite fait entre, d’une part, l’emploi d’une procédure qui fournit mécaniquement le bon résultat et, d’autre part, celui d’une stratégie qui nécessite à la fois un raisonnement et des connaissances qu’ils ne maitrisent pas toujours. Les enseignants de cycle 3 et 4 le savent : les élèves en difficulté s’enferment dans l’usage du comptage-numérotage comme moyen d’obtenir le résultat d’une addition. Les recherches en psychologie cognitive confirment que cette procédure se fossilise chez ces élèves (pour une synthèse récente, voir De Chambrier, 2018). Certains élèves, au collège, n’ont toujours pas mémorisé les résultats des additions élémentaires parce qu’ils mettent systématiquement en œuvre un comptage-numérotage.


Avouez que ça rappelle quelque chose, non ?
Les élèves (et les adultes !) qui subvocalisent en lisant et sont incapables de trouver dans une documentation ce qui répond à la question qu'ils se posent... Des individus fossilisés, enkystés dans les erreurs qu'on leur a enseignées : je connais plus d'un agrégé, (pas en maths, évidemment !), pour qui l'article de Rémi est une découverte, et même qu'il est si loin de ses connaissances en calcul (de sa ZPD, dirait Vygotski), qu'il est presque illisible : à qui les stratégies de type 10+n sont-elles familières ?

De toute évidence, ce que visent nos patrons de l'école, c'est bien le montage d'un dressage, en tout domaine : dressage aux résultats rapides qui ne s'encombrent pas de tout cet attirail de raisonnement et de compréhension, qui ralentit le travail, le rend moins rentable, pour finalement fabriquer des individus "raisonneurs" et "discutailleurs", si difficiles à faire taire.

Apparemment, ils ont oublié, non seulement d'apprendre à vérifier de quoi ils parlent, quand ils donnent des ordres, mais aussi de lire Platon, pour qui ce n'est point l'arrivée qui compte mais la route qui y a mené, d'autant plus bénéfique qu'elle est plus longue.

Ne pensez-vous pas qu'il faut agir contre cela ? L'article de Libé de mardi est désolant d'acceptation morne, faussement objective, sans analyse de fond de l'expérimentation Agir Pour l'École...
La grenouille qui nageait dans l'eau tiède, vous connaissez ?