Ils sont rudement bien, les Suisses ! Et l'on se prend tout à coup une terrible envie de s'expatrier !
Sans aller jusque là, cette nouvelle a, pour nous en France, au moins un côté positif : elle invite à redire une fois de plus combien la notion de classement est ridicule et dangereuse en matière de sciences humaines, et notamment de pédagogie.

On m'objectera que classer et ranger est indispensable pour un nombre incalculable de situations : il faut avoir classé pour pouvoir choisir, retrouver, utiliser... C'est aussi nécessaire pour comprendre et retenir. C'est du reste un besoin qui apparaît très tôt : beaucoup d'enfants s'amusent à classer leurs jouets, et faire des collections. De tout temps on a classé les élèves, les gens, les races et les mérites ; et jusqu'à la morale, qui posa le classement fondamental : le bien et le mal, qu'il faut séparer comme l'ivraie, du bon grain.

Tout cela est vrai ; mais on oublie alors que l'action de classer en implique une autre, redoutable, celle de choisir le critère du classement. C'est là que le bât blesse.
Chacun d'entre nous a connu l'éternel dilemme du rangement des ouvrages de la bibliothèque : quel critère choisir ? "Classer" et "ranger" n'admettent que rarement le même critère.
Or, justement, les différences ont des "visibilités" diverses. Celle qui sépare l'ivraie du bon grain est visible ; en fait, les séparer consiste à mettre chacun des deux à une place différente : c'est bien un "rangement". Pour le bien et le mal, elle est d'une tout autre nature : pour les distinguer on a créé des "catégories" abstraites, posées a-priori, pour caractériser les actions observées : c'est un classement, dont le critère est un jugement, évidemment subjectif et arbitraire.
D'où une réelle perversité à assimiler ces deux types de différences.

C'est cette autre nature des critères de classement qui pose problème, quand les éléments à classer sont des êtres humains ou des objets les concernant, comme les établissements d'éducation. Et là, on se heurte à une cascade de critères enchâssés les uns dans les autres, où il est difficile de voir clair.
Par exemple, pour les établissements d'éducation, ce sont les résultats obtenus par leurs élèves, qui servent de critère.
Mais ces résultats ont été obtenus comment ?
Par des notes : on prend les moyennes des notes obtenues par leurs élèves.
Mais ces notes ont été définies comment ? Selon quels critères, justement ?
On le sait : quiconque a corrigé des copies d'examen sait à quel point les notes, qu'il met, tiennent de la loterie — même si un "barème" a été prévu. Dans neuf cas sur dix, relues le lendemain, elles auraient été différentes. Tous les travaux de docimologie l'ont abondamment prouvé.

Si l'on creuse un peu, on découvre aussi que, pour les établissements, les excellentes moyennes obtenues viennent d'abord et surtout du fait qu'ils se sont prudemment débarrassés de tout élève risquant d'avoir des notes mauvaises — lesquels élèves alors se sont fait recaler dans d'autres établissements, dont ils ont ainsi automatiquement fait baisser les moyennes... On comprend que la crédibilité de leurs résultats puisse frôler le zéro absolu, qu'ils pourchassent pourtant avec énergie.

Pour les professeurs, il est vrai qu'on a tous le souvenir de certains professeurs, qui nous ont paru être bien meilleurs que leurs collègues.
Peut-on en déduire qu'un classement des professeurs est possible ? Évidemment non ! Rappelez-vous : les autres élèves n'avaient pas le même classement ! Encore un critère subjectif, donc non valable !!

Quant aux élèves, selon les sujets, scolaires et non scolaires, chacun d'eux a un lieu d'excellence où il mérite au moins un podium. Et l'on sait que le rôle de l'enseignant n'est pas de trouver quel est le meilleur élève de la classe, mais quel est le meilleur de chacun de ces élèves.
De plus, l'objectif étant qu'ils progressent, aucun d'entre eux n'a à être meilleur que les autres, mais tous ont à être meilleur qu'hier.

On le voit : en ce qui concerne les êtres humains, les critères de classement, quels qu'ils soient, appartenance à une race, une ethnie, une religion, une manière d'être, de travailler, de manger ou de se distraire, une couleur de peau ou de cheveux, sont tous ridicules, et souvent scandaleux : les catégorisations sont absurdes et les individus s'en échappent toujours.
La notion de "mérite" est une notion vide, un moyen de manipuler les êtres, un instrument de coercition et de soumission.

Tiens, au fait, et si, sur ce sujet, on copiait les Suisses, qui sont contre la culture du classement ?