Aidons nos élèves à devenir des êtres humains.
Par Eveline, mardi 8 avril 2025 à 10:42 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #587 :: rss
Cette invitation n'est pas de moi. Et elle ne date pas d'hier : celui qui l'a écrite — un certain Haim Ginott — nous a quittés en 1973. Et puis, elle a été oubliée : aucun conseil de ce type n'a été lu dans la presse, scolaire ou publique, depuis cette lointaine époque. Alors, il est peut-être temps de la remettre au goût du jour.
C'est pourquoi, je laisse la parole à notre ami Laurent Carle, qui, sur ce sujet propose une analyse de nature à faire réfléchir chacun d'entre nous.
C'est pourquoi, je laisse la parole à notre ami Laurent Carle, qui, sur ce sujet propose une analyse de nature à faire réfléchir chacun d'entre nous.
LA VIE EN VEILLE. L’école ne devrait pas être une longue parenthèse dans le courant du vivre personnel et collectif
"Aidez nos élèves à devenir des êtres humains" (Haim Ginott)
Décédé en 1973, Haim Ginott n’a pas pu connaitre les exactions des prêtres catholiques, révélées par leurs anciennes victimes. Eduquer sans blesser, au figuré, y a cédé la place au dressage blessant, au sens propre.
Certains élèves seraient-ils barbares de naissance ou moins humains que leurs camarades ?
Si oui, qu’est-ce qui trace la ligne de démarcation ?
Dans quelle catégorie faut-il placer certains « éducateurs » d’établissement privé ?
Y a-t-il des ratés dans le patrimoine génétique des écoliers ou des objectifs inhumains dans le système « éducatif » ?
L’enfant nait-il « pervers polymorphe » ou est-ce le système qui le pervertit ?
Donner la priorité au son de l’écrit oralisé humanise-t-il plus que la recherche muette de sens ?
La privation de sens fait-elle entrer dans la culture ?
La méthode didactique qui évite la rencontre du sens pour mieux faire sonner les lettres et les syllabes en « suivant » avec le doigt humanise-t-elle l’école, les enseignants et les élèves ?
Une école déshumanisée peut-elle rendre humain ?
Faut-il aider l’enfant à devenir plus humain ou humaniser le système scolaire pour faire de l’enfant un citoyen authentique ?
Faut-il se former pour un enseignement de la réussite ou découvrir sans œillères que la réussite à l’école se construit sur l’échec des camarades concurrents ?
Si tout le monde réussissait sans échec que deviendraient les meilleurs ?
Qu’est-ce qu’une école sans perdants et sans échec ?
Sans le talent pas de réussite, sans réussite pas de persévérance.
La réussite fait naitre le désir d’aller plus loin, plus haut et stimule l’action qui y conduit.
L’inné donne une longueur d’avance, un stade, sur l’acquis et une inventivité qui décuple la foulée du concurrent ailé.
Décidons que, déjà au berceau, les élèves sont des êtres humains.
Aujourd’hui, aidons l’école à devenir humaine et les personnels d’enseignement, des guides accompagnateurs plutôt que des patrons. Et notons que, après la courte période d’élevage maternel, l’école à la française met la vie de l’enfant en veille longue durée.
Pour réussir à ne pas produire les monstres et psychopathes redoutés par Ginott et les rescapés des camps, ne faudrait-il pas commencer par mettre les élèves en situation de coopération et d’entraide, d’interaction sociale positive plutôt que transformer la scolarité en sport de compétition individuel et surtout, ne faudrait-il pas cesser de leur mentir en leur enseignant que lire c’est déchiffrer les sons de l’écrit sans se soucier du message qu’il porte ?
La première source de désinformation, bien avant l’ère des réseaux « sociaux » satellisés, n’est-ce pas l’école primaire ?
Faire le bruit des lettres en suivant au jour le jour, à la lettre, les règles et les consignes de la méthode, est-ce apprendre à lire ?
L’enseignement du mensonge rend-il citoyen et humain ?
S’instruire en s’appropriant des savoirs, est-ce produire du travail, du « bon travail », et satisfaire les attentes d’un patron d’école ou vivre sa vie et grandir pour devenir adulte ?
Si l’école primaire fut créée pour instruire le peuple pourquoi empêche-t-elle les enfants d’apprendre à lire en leur imposant une fausse technique, dite « méthode », qui les éloigne de la lecture ?
La pédagogie et mes questions ne peuvent être entendues que par les pédagogues parce que, par effet mécanique, sans intention muette ou déclarée, le discours pédagogique désavoue ceux que l’esprit domestique met au service des dominants par l’entrainement des enfants à se soumettre à des règles stupides.
Dans un contexte scolaire baigné d’idéologie dominante, certains mots lancés comme le bon grain par une semeuse, ne sonnent pas dans les oreilles formatées tels qu’ils sont émis par la bouche d'une conférencière. Une fois semés dans une terre étanche et argileuse, ces mots libérés, réappropriés et redéfinis germeront et pousseront sans doute comme ivraie dans les esprits.
L’auditeur trieur s’intéressera probablement à la technique comme paravent devant la douche des têtes enfantines et réfléchira à ce qu’il pourrait en faire quotidiennement sans renoncer à sa loyauté et sans changer sa méthodologie de la sélection par l’échec, revers de la réussite, qui alimente à son insu le tri sélectif.
Pendant qu’il réfléchit à la mise en œuvre, il n’entend pas le souffle de l’esprit.
Il reçoit seulement avec émotion ce qu’il peut entendre : la charité et la bonté à pratiquer au mérite quand c’est possible.
Il n’entend pas l’humanité qui ouvre la porte de l’école et de la classe à la démocratie et la pédagogie.
La primauté de la technique enseignée et exigée sur le tâtonnement spontané de l’élève accroit la rigidité au détriment de la flexibilité créative.
Dans une école de la domination, il y a des mots qui parlent, d’autres qui ne disent rien. Je me demande si les abuseurs et bourreaux de Bétharram, présents à l’exposé, ne seraient pas aussi émus et fervents que le public tout-venant. Quoique… comme leur nom l’indique, les traditions servent de droit oral coutumier pour conserver des siècles durant le pouvoir des dominants sur les dominés et les soumettre, voire les mettre en esclavage. Dans ma région, l’ile du Levant fut un bagne pour enfants au dix-neuvième. Treize heures de travail agricole par jour, réveil à 5 heures. Des fouilles ont exhumé des squelettes d’enfant de 10 ans. Les gardiens bourreaux qui n’étaient pas nazis y commirent eux aussi des abus et des crimes légalisés. Quand on ne se pose pas de questions on peut devenir monstre sans le savoir.
Je me permets de pousser encore la réflexion au-delà. Ne faut-il pas définir les rôles des personnels d’enseignement ? Guide accompagnateur en droits ou directeur prescripteur de devoirs ?
L’école n’est pas une institution dont les acteurs seraient plus ou moins habiles, plus ou moins savants, plus ou moins érudits, plus ou moins ouverts, plus ou moins efficaces, en fonction de leur histoire, de leur talent, de leur formation et de leur culture.
C’est un système-caserne. La recherche et la créativité n’y ont pas leur place. L’uniformité et la conformité, côté adultes et côté enfants, y sont prioritaires.
A la rentrée 2024, on parlait d’uniformes d’établissement. Il fut un temps où les écoliers s’alignaient militairement au sifflet, le bras tendu, les doigts posés sur l’épaule du précédent. Aujourd’hui, des enfants lisant séparément dans des livres différents, est-ce imaginable ?
Au regard de la conformité ce serait grotesque.
Dans la presse d’ailleurs, c’est pareil. Le conformisme y fait loi. Que l’information écrite ou orale s’adresse à une assemblée, à un petit groupe ou à une seule personne, ce n’est pas à des individus que le discours arrive, c’est à un système qui réagira ensuite, ensemble et individuellement à la fois, comme gardien de la maintenance de la continuité, du temple, pour faire court.
Lorsque leur développement dépasse certains seuils critiques, les grands services institutionnels deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu’ils visent, dit Albert Jacquart. L’œil d’Albert, plus critique que celui de Bertrand Tavernier, n’était pas assez vif ou assez contextualisé pour entrevoir la véritable fonction de l’école. Les résistances au changement n’y sont pas bruyantes.
Il n’y a jamais de révolte conservatrice ouverte parce que le pouvoir de conservation s’exerce uniquement en situation, dans le temps scolaire, à l’abri des murs de la caserne ou sur le champ de mars.
Entre la lecture pour tous et le tri sélectif par l’échec, le bon soldat ne déserte pas. Disciplinés, comme un seul homme on exécute. L’inspecteur peut passer sans s’annoncer. Sans se montrer il entendra dans le couloir mugir les syllabes qui viennent jusque dans les escaliers priver de sens nos fils et nos filles.
Comment les adultes qui ne savent pas lire parce qu’enfants ils ont gobé l’abus de confiance sur mineur du syllabaire, nommé méthode de lecture, pourront-ils déceler les mensonges que leur sert la presse au service de ses propriétaires cotés au CAC 40 ?
Journalistes et enseignants me font penser à des nageurs de plongée, en scaphandre avec masque, combinaison et bouteille d’oxygène. Ils se propulsent avec l’agilité de l’anguille dans leur milieu « naturel » sans voir ce qui se passe derrière, devant, au-dessus et alentour.
Le nez dans le détail, imposé par une vision rendue étroite par la méthode, comme les spéléologues ils se déconnectent du contexte social et des évènements du monde. Ils font leur métier sans l’éclairage de l’histoire, de l’actualité et de la philosophie. La presse répand les valeurs dominantes et fabrique l’opinion. L’école enseigne les valeurs dominantes et fabrique la soumission.
Les enfants n’ont pas de droits parce qu’ils ne sont pas nés humains.
N’utilisant que leurs préjugés et l’idéologie dominante, enseignants et journalistes aveugles fonctionnent à distance de l’humanité et de l’humain proche, du prochain.
C’est pourquoi, ignorant que l’instruction est un droit et l’enseignement, un devoir, ils calent leur boussole sur le pôle contraire. Ne sachant pas qu’exister donne droit sans justificatif au savoir, ils font la police et la douane des apprentissages, puis homologuent les savoirs au programme acquis ailleurs. Les deux croient que « sans obligation, sans contrainte et sans autorité », les enfants, « qui ne seront des humains que lorsqu’ils auront fait leurs devoirs pour le mériter », n’apprendraient rien.
Ceux qui ne font pas bien leurs devoirs sont-ils moins humains que les autres ?
Cette position de domination de supérieur à inférieur est une posture raciste non conscientisée, qui s’ignore en tant que telle, qui s’entend entre les lignes et sous les mots mais qu’on ne voit pas.
Les journalistes mentent en présentant comme informations les intentions et opinions de leurs patrons, les enseignants mentent par ignorance en présentant l’enseignement dominant, le programme, comme un corpus de vérités scientifiques.
Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Pédaler sans faiblir pour rester en tête et gagner, tenter de se maintenir dans le peloton en évitant les traquenards destinés à éliminer ceux qui n’ont pas appris en famille à les éviter, ou rouler solitaire à distance, vaincu par les pièges, plombé par la honte et l’humiliation ?
Combien de journalistes, de gens du spectacle, d’enseignants, quel pourcentage de l’opinion savent que l’école trie, n’instruit pas, n’éduque pas ?
Dans la presse et dans l’école, les acteurs qui parlent vrai sont rares.
Il y en a.
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