Les programmes, comme tout ce qui concerne l'école, ont pour tâche d'aider le collègues à atteindre des objectifs évidents, éclairant la cohérence de chacune des décisions qui seront prises. Mais quand la cohérence n'est pas évidente, il est vrai que le flou est un confortable refuge, quand on ne tient pas à expliciter ces choses délicates. Aussi est-il bien moins risqué de parler de ce qui a précédé
L'essentiel n'est-il pas, pourtant, tout ce qui va suivre, qui, seul, peut renseigner les collègues sur leur tâche nouvelle ? Ce que disent ces programmes prétendus nouveaux : ils sont comme on va le voir, assez bons dans leur projet, et désastreux dans leur rédaction.
Par exemple, dès les premières lignes du texte, on trouve cette absurdité, affirmée de façon péremptoire, et dangereuse de surcroît :
"Au cycle 3, la lecture vise toujours l’automatisation du déchiffrage, notamment pour les élèves les plus fragiles."
Une phrase qui pose deux contre-vérités, maintes fois dénoncées sur ce blog :
* que le déchiffrage serait nécessairement la première étape de l'activité de lecture, et de son apprentissage, ce qui est faux ;
* que les enfants "fragiles" (?) ne peuvent l'éviter... Affirmation deux fois fausse : il est prouvé, depuis longtemps que le déchiffrage, qui focalise le regard sur les mots, empêche de comprendre, puisqu'il empêche l'exploration d'ensemble du texte. Il est donc faux de dire qu'il serait une aide pour des élèves "fragiles" : bien au contraire, leur "fragilité" n'en sera que plus longtemps un obstacle à toute évolution de leurs habitudes. Ce serait, ni plus ni moins, les condamner à n'être jamais lecteurs.
Pour eux, il faut, au contraire, donner d'emblée les bonnes habitudes, avec les aides nécessaires, celles du vrai lecteur, qui ne passe pas par le déchiffrage, mais commence par l'exploration du texte entier, avant d'entamer une lecture linéaire.

Tout ceci a été déjà dit et redit.
Mais ces programmes ne parlent pas que de lecture visuelle : la lecture de communication, la lecture, dite à voix haute, la grammaire et l'orthographe y sont détaillés et précisés, sans éviter, bien sûr, pas mal de contresens.
Pour ce qui est de la première, elle est comme d'habitude présentée comme un autre façon de lire, sans explications : une variante, pour changer ?
Chacun sait qu'il n'en est rien.
Si cette autre forme de lecture existe, c'est qu'elle a une fonction ! Certes, on comprend que celle-ci ne soit jamais évoquée : on n'en parle quasiment jamais en classe !

Lire à haute voix, n'est pas une variante de la lecture, c'est une autre situation de lecture, dont la fonction est de communiquer, à d'autres, le texte qu'ils n'ont pas sous les yeux, pour permettre à des personnes qui souhaitent ou ont besoin de le connaître, d'en prendre connaissance tout de même. Or, cette fonction n'est jamais rappelée aux élèves, ni mise en œuvre, ouvertement, dans les moments de lecture.
C'est pourquoi il importe que, les moments de lecture à voix haute soient organisés de manière fonctionnelle : par exemple, quand un élève, ou le maître lit à haute voix un texte, il est essentiel que tous les autres élèves ferment leur livre pour pouvoir écouter... On ne fait pas trente-six choses en même temps !
Il est tout aussi essentiel que celui qui lit ne reste pas à sa place où il tourne le dos aux trois quarts de ses camarades : tout lecteur à haute voix doit venir se placer au bureau, pour bien voir tous ses camarades, car c'est à eux qu'il s'adresse. Cela rendra possible l'installation d'un petit débat à la fin de la prestation, sur les qualités de celle-ci et comment elle pourrait être améliorée.
Rappelons également un détail, jamais mentionné dans ces programmes, qui est que la lecture à voix haute, état une lecture de communication, doit se faire en regardant très souvent les auditeurs : sinon, ceux-ci n'écoutent pas...
Cela demande, évidemment un apprentissage, loin d'être facile : il faut en effet, pour pouvoir regarder parfois les auditeurs, être capable de mémoriser les mot à dire pendant ce regard. C'est la principale difficulté de cette activité.
C'est pourquoi je trouve déplorable que l'on continue de faire lire à haute voix, en gardant le nez dans le texte.

Sur l'écriture, je regrette que ne soit aucunement évoqué le fait, évident, que dans un délai fort court, tout ce qui s'écrit, même en classe, le sera sur clavier. C'est déjà le cas dans les grandes classes : cela va arriver très vite dans les petites. Il importerait que la gestion de cette question se pose rapidement dans les textes officiels, où pourtant il n'en est nullement question.
N'oublions pas que tous les enfants ont maintenant un portable, qu'ils savent manœuvrer mieux que leurs parents...
Une fois de plus le texte officiel tient à "dater", avec un retard, certes habituel, mais que l'on ne peut que déplorer.
Par exemple, et sans craindre le ridicule, il va jusqu'à affirmer que "la maîtrise de l’écriture cursive reste essentielle". Il suffit d'ouvrir un peu les yeux et les oreilles pour comprendre qu'il n'en est rien, que l'école va rapidement être dépassée par une réalité qui va lui nuire, et qu'elle sera, plus vite qu'elle ne le croit, mais trop tard, contrainte de modifier son point de vue.
L'écriture manuelle restera pour les "brouillons", et le courrier très personnel auquel chacun reste affectivement, très attaché... Et encore, peut-être pas pour longtemps...
En revanche, pour ce qui est de la création écrite, le portable ne la facilitera pas beaucoup, et elle conservera l'essentiel des habitudes sur ce Essentielle dans la poursuite des études. De plus, elle repose sur des notions importantes, comme celles de "correction", de réécriture, le premier jet de l'écriture étant rarement conservé. C'est donc cette création écrite, et ses nombreuses réécritures, qui devra être privilégiée, et travaillée en profondeur.

Ecrire n'est pas seulement un acte de création, c'est aussi, et d'abord, un moyen de communication à distance. Pour les auteurs, l'écriture n'est vue que sous l'angle de la création, angle important mais qui n'est pas le seul : écrire est aussi le seul moyen de communication avec des partenaires absents, même si les technologies nouvelles proposent aujourd'hui une grande diversité de moyens nouveaux.
Quoi qu'il en soit, et quelle que soit la diversité des canaux utilisés, communiquer par écrit ne consiste pas à transcrire ce qu'on dirait oralement : l'écrit est compris par les yeux et non par les oreilles. Dès que l'on doit écrire un message, que l'on pensait pouvoir dire oralement, on le transforme automatiquement pour qu'il soit ainsi compris.
La correspondance scolaire, mise au point par Célestien Freinet, semble avoir été bien oubliée par les auteurs de ces programmes, qui ont la mémoire très courte et souvent bien vide...
Où l'on voit que l'oubli (l'ignorance ?) du passé, qui caractérise notre époque, inculte s'il en est, est une chose bien triste.

Communiquer à distance inclut donc le fait de produire un "écrit", c'est-à-dire une manière particulière de dire ce qu'on à dire, en choisissant les mots qui apportent toutes les précisions nécessaires à la compréhension du futur lecteur, précisions indispensables ici, alors qu'à l'oral, elles seraient évidentes.
Elles exigent aussi, comme toujours dans une situation de communication, que le message produit soit compréhensible pour le destinataire, donc adapté à ce qu'on sait de lui. S'ensuivent des problèmes de choix de vocabulaire, qui n'ont parfois rien d'évident, et qui sont très formateurs.
On a trop souvent l'habitude de dire aux élèves qu'il faut adapter l'écriture au sujet traité — ce qui est évident, — mais, en communication, c'est aussi au destinataire, qu'il faut l'adapter, en utilisant le type de discours qui est le sien, si on le connaît, ou, si on ne le connait pas, choisir une façon de dire aussi générale que possible.

Le chapitre sur la grammaire (pauvre grammaire si mal traitée, et si maltraitée !) est, comme d'habitude, une suite de notations non commentées, révélant, s'il en était besoin, l'océan d'ignorance des auteurs sur la question.
Aussi est-il nécessaire de revenir sur ce sujet.

J'aimerais que nos lecteurs nous posent des questions sur ce thème, qui m'est cher.
A suivre, donc !
Et bonnes vacances à tous, fructueuses, en attendant nos retrouvailles le 1er septembre...