Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Le blog de l'amie scolaire : Questions de profs.

Ce blog n'est pas un forum de débat entre partisans et adversaires de la pédagogie. Il veut être un lieu de réflexion et d'échanges pédagogiques destiné aux professionnels de l'école et à tous ceux qui s'interrogent, doutent, cherchent, souhaitent une aide à la recherche, à la pratique du métier, sans oublier les parents, bien sûr. Nous répondrons à toute question, non polémique...

lundi 10 septembre 2007

Réponse à Astro 52 : le travail de groupes et le problème des écarts

Astro a écrit :

Ce que vous dites est vrai dans la mesure où ce que les adultes appellent "échec" n'a pas en réalité causé un écart trop important pour créer des groupes cohérents. Dans votre texte, la conception du travail de groupe est un travail où on s'enrichit en cherchant ensemble et non en imitant la verticalité. Ceci est plus que recevable. Mais ça implique aussi que chacun puisse apporter quelque chose à la démarche collective. Or si l'écart est trop grand, ceux qui "suivent" vont (même inconsciemment) éclipser le camarade largué qui n'est alors plus un coéquipier mais un "boulet". Et on aura beau leur faire la morale, celui qui ne peut plus donner dans un tel système ne reçoit plus non plus !

Cette notion d'écart est extrêmement importante et l'on peut y voir une des raisons du refus, si répandu chez les collègues, de cette forme de travail.
Comme me le dit un ami au sujet de votre commentaire : "si l'on pense la transmission des savoirs à travers l'idéologie du mérite et du niveau homogène, cela crée un obstacle technique, une impasse méthodologique, mais dont on est convaincu d'abord qu'elle ne vous incombe pas et qu'elle rend impossible toute méthode active. Il faut alors changer de regard sur le rôle du prof, oublier ses références... j'ai toujours pensé que la pédagogie était destinée aux élèves et la psycho aux maîtres...."
C'est dire que l'on a vraiment du mal, même quand on le veut, à penser autrement.

En fait, il s'agit de renverser l'image que l'on a de l'organisation de la classe : l'habitude de la considérer comme une somme d'individus, qu'il faudrait aider individuellement et qui travaillent chacun pour soi, rend aveugles, à leur insu, les collègues les plus ouverts d'esprit.
Ce que j'appelle "faire de la classe un lieu démocratique", c'est considérer que chaque élève est responsable de tous les autres et que tous sont responsables de chacun. Cela veut dire, concrètement, que s'il y a un problème dans la classe, par exemple, celui que vous évoquez :

Mais que faire quand un seul élève est "isolé" très loin de tout le reste de la classe, trop loin pour créer ne serait-ce qu'une paire vraisemblable avec qui que ce soit de disponible ?

c'est à la classe de prendre en charge le problème, avec l'aide de l'enseignant, certes, mais non à lui seul. Sa tâche étant alors de mettre en place des situations qui vont aider la classe à résoudre le problème.
* Premier type de situation : provoquer, par exemple, une régulation (ce qui constitue, entre parenthèses, une excellente situation d'oral et donc également un très profitable moment d'apprentissages scolaires), avec pour mission de trouver une solution, à la mise en œuvre de laquelle l'enseignant apportera l'aide nécessaire.
Cette manière de fonctionner est possible : je l'ai vu exister dans plusieurs classes, y compris au CP !
* Mais le meilleur moyen de résoudre ce type de problème, c'est un moyen préventif.
Avant que ce malheureux enfant ne se trouve dans la situation que vous décrivez, il s'agit de donner le plus tôt possible aux élèves, l'habitude d'observer et de décrire le fonctionnement des groupes de travail.
Concrètement, cela signifie que le rapport oral qui suit toute tâche effectuée en groupes devrait toujours être en deux temps :
1- le rapport sur la tâche : "nous avions tel problème à analyser, voici les hypothèses de solution que notre groupe propose..."
2- le rapport sur la manière dont le groupe a fonctionné.

Certes, se pointe ici un risque de dérive non négligeable : si le rapport annonce, par exemple, que seule, la moitié de la tâche a pu être réalisée, et que cela est dû à un perturbateur dans le groupe, ou à des disputes qui ont fait perdre du temps, la tentation va être grande chez l'enseignant de sauter sur l'occasion de faire ici une leçon de morale... Qui va tout gâcher !!
On sait en effet que c'est l'image renvoyée telle quelle du fonctionnement du groupe, et l'absence totale de jugement de valeur, qui va permettre au groupe d'évoluer et de gérer ses problèmes et ses tensions.
Bien sûr, cette évolution ne va pas se faire du jour au lendemain : notre métier est un métier de patience et d'obstination . "On ne tire pas sur les fleurs pour les faire pousser plus vite", disait C. Freinet. Même si ceux qui nous dirigent tiennent un discours différent, c'est tout de même Freinet qui a le plus de chances d'être près de la vérité !
Apprendre à observer ce qui se passe dans un groupe, dans une classe, dans le pays, et essayer de le comprendre, sans le juger, c'est de loin la meilleure leçon d'éducation civique...
C'est pourquoi, je propose, notamment au cycle 3, avec des enfants qui n'ont pas eu l'habitude de travailler en équipes, de commencer l'année par un jeu d'observation d'un débat de groupe, extérieur à la classe — on comprend pourquoi —, (extrait d'un film ou magnétoscopé dans une tout autre classe dont les élèves ne sont pas connus.)
Pour cela, on distribue aux enfants réunis par deux, une grille d'observation, inspirée de la "Tabulation de Bales", très simplifiée, avec des missions différentes pour chaque groupe : les uns vont chronométrer les temps de prise de parole des participants, les autres, le nombre d'interventions positives, les autres le nombre d'interventions négatives, d'autres vont observer l'un des participants, ou l'animateur etc. etc.
On notera que cette situation ludique est en même temps une situation de découverte et d'apprentissage du fonctionnement des groupes, apprentissage qui fait si cruellement défaut aux adultes que nous sommes !
Ce n'est donc pas du temps de perdu pour le programme !
Chaque "paire" rend ensuite compte de ce qu'elle a trouvé, et l'enseignant installe un échange en grand groupe, qui se terminera obligatoirement par la rédaction et l'archivage de ce qui a été observé et appris.
Dans toutes les classes où ce genre de travail a pu être mis en place, on a observé une réelle évolution du comportement des enfants. Aucune valeur de preuve, certes. Mais on peut essayer : l'enjeu en vaut la chandelle, à mon avis.

J'ajoute votre phrase finale, cher Astro :

Ma position serait plutôt de leur dire "plutôt que de recopier son résultat, si tu lui demandais plutôt COMMENT il a fait pour l'obtenir ?". Mais évidemment, pour ça il faut parler à son voisin, et c'est encore une autre histoire !

Il est évident que c'est déjà un grand progrès...
Mais, s'ils avaient travaillé ensemble, au lieu d'avoir à copier, et s'ils avaient eu à rendre compte aux autres de leur travail... ne pensez-vous pas que l'efficacité serait encore plus grande ?

Réponse à BGT : de la preuve, en matière de pédagogie

BGT a écrit ceci

L'historien des techniques bondit quand il lit "Je rappellerai d'abord, cher Victor, que les RÉSULTATS en matière de sciences humaines, et principalement en pédagogie, n'ont jamais valeur de preuves". Il serait donc impossible de fonder un critère quelconque de vérité si c'était le cas.

Je pense qu'il y a un saut argumentatif entre les deux parties de votre raisonnement.
D'une part, il me semble qu'en matière de pédagogie, la notion de "vérité" n'a pas grand sens : on peut lui préférer celle d'acceptabilité. Et d'autre part, il n'était pas ici question de "vérité", mais de jugement de valeur sur l'efficacité d'une pratique.
Or, en pédagogie, jamais je ne pourrai imputer la réussite des élèves à la pratique mise en œuvre : pourquoi ?
D'abord, parce qu'une pratique a toujours l'air de réussir, quelle qu'elle soit. M. Le Bris peut affirmer que ça réussit chez lui : chez moi ce fut et c'est aussi le cas ! Et ça ne prouve rien.
Ensuite, parce que la véritable évaluation de notre travail, ce n'est point à l'issue de la leçon qu'elle se fait, mais cinq ou dix ans plus tard.

Quant à la "cohérence" évoquée cela tient de l'opinion : un logicien sait très bien que le critère de cohérence entre éléments n'est pas un critère de vérité.

Encore une fois, le problème n'a rien à voir avec la vérité. Il s'agit d'une hypothèse d'efficacité probable. Rien de plus.

Soyons sérieux, la preuve en science humaine existe même si elle ne suit pas forcément les cadres de la preuves des sciences de la vie ou des mathématiques (vous connaissez probablement les travaux sur les problèmes de l'appréciation numérique en psychologie).

Soyons effectivement sérieux : je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas de preuves possibles en pédagogie, j'ai dit que les résultats d'une pratique ne pouvaient jamais être considérés comme un preuve de l'efficacité de cette pratique, ce qui est nettement différent.

Je suis personnellement un comparatiste par nature. Je l'ai fait dans ma pratique professionnelle d'enseignant : on teste et on garde ce qui marche le mieux. Inutile de vous dire que je n'ai pas gardé ce à quoi vous vous attendez.

Primo, je ne m'attends à rien.
Secundo, vous savez très bien (ou alors vous êtes très inattentif, ce que je ne crois pas !) que ce qui a marché cette année dans ma classe a neuf chances sur dix de ne pas marcher du tout l'an prochain.

Le problème maintenant est d'établir par collégialité une norme de ce qui fonctionne et pourquoi.
Pensez par exemple que les élèves apprennent mieux en situation d'activité que par écoute d'une explication est fausse pour 90% des élèves. La pédagogie dite frontale est acclamée par les études (scientifiques pour le coup, j'en avais envoyé une à Madame Charmeux il y a quelques temps) des groupes pluridisciplinaires américains intéressés au renouveau de l'école publique d'outre-Atlantique. Les panels dépassent souvent les 10 000 sujets observés in situ et les temps d'observation les cinq ans. Bien entendu, on n'y verse dans aucun scientisme en essayant de chiffrer les gains. On affirme tout simplement qu'une manière d'enseigner est plus accessible à l'élève qu'une autre.


Ne confondez pas, cher collègue, la satisfaction des élèves et l'efficacité du travail : la plupart des étudiants et des lycéens réclament des cours magistraux : vous savez pourquoi ? Parce que ça demande beaucoup moins de travail !! Et les profs les préfèrent aussi... pour exactement la même raison.
Quand je n'ai pas eu le temps de préparer un travail réellement intelligent pour mes élèves, je fais un cours magistral : fastoche et si agréable pour notre narcissisme fondamental !

Une dernière chose amusante : ces gens, plutôt "très à gauche", ont comme modèle l'école française de la IIIe république et son ascenseur social. Une ironie de l'histoire ?

Je ne trouve pas ça amusant du tout, hélas... surtout quand je lis le numéro du Nouvel Obs sur l'illettrisme... Navrant !
Ce n'est pas entre la gauche et la droite que se place le clivage, vous le savez bien... Que ce soit ou non désolant, c'est ainsi.

QUESTIONS DE PROFS : c'est le nouveau titre du blog, qui évolue pour mieux satisfaire vos attentes.

Profondément désireux que ce blog serve à autre chose que des batailles rangées (ou non) entre partisans et adversaires de la pédagogie, nous souhaitons, mes amis et moi, faire de ce blog un lieu de ressources pour tous ceux qui se posent des questions sur l'école et, notamment, sur l'enseignement du français

Lire la suite