Ce n'est pas la première fois que ce sujet est évoqué ici : deux billets de 2009 et 2010 ont déjà tenté de distinguer des notions volontiers confondues, dans cette tradition scolaire où tout est SIMPLE à l'école : "occuper les enfants" et "les faire travailler" ; "proposer des cours" (produits sous cellophane d'études effectuées par l'enseignant et offerts prêts à l'emploi aux élèves) et "mettre ceux-ci en situation d'effectuer eux-mêmes ces études".
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2009/11/17/130-en-classe-occuper-les-enfants-ou-les-mettre-en-situation-d-apprendre
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2010/05/13/144-mieux-etudier-a-l-ecole-ou-faire-en-sorte-que-les-eleves-y-etudient-vraiment

Contrairement à ce que pense Marian, refuser qu'on puisse faire faire une ligne de "a" le jour de la rentrée ne signifie en rien refuser qu'on "travaille" ce jour-là : au contraire ! Ce que je propose EST DU TRAVAIL, — du plus important qui soit — et qui inclut parfaitement le travail "scolaire" attendu par les parents : en visitant l'école, en découvrant tout ce qui y est écrit, sur les portes des classes et sur les murs des couloirs, on a consolidé (et pour certains commencé à construire) des savoirs essentiels sur ce qu'est la lecture, à savoir, entre autres, que des "choses écrites" sont des messages qui apportent des informations à ceux qui les lisent.
On sait que la fonction langagière de l'écrit est loin d'être connue des petits, ignorance aggravée, voire confirmée, par l'usage des manuels de lecture dont les écrits n'ont strictement aucune des fonctions de l'écrit.
D'autre part, en organisant l'année, dont on a noté sur de grandes feuilles accrochées aux murs de la classe les diverses étapes, en évoquant le projet d'installer une correspondance avec d'autres écoles qui vont nous écrire et auxquelles nous allons répondre, ce sont deux des fonctions essentielles de l'écriture qui ont été éclairées...
Un des principes essentiels de l'apprentissage étant que les élèves doivent savoir AVANT de l'apprendre, à quoi sert ce qu'ils vont apprendre.
Faire faire une ligne de "a" ne peut être utile aux élèves que s'ils savent à quoi ça va leur servir. En la circonstance ce ne sera pas facile à démontrer, car, précisément, cela ne sert à rien. Et donc, je ne peux laisser "le bénéfice du doute" à un enseignant qui ignore cela. J'ai toujours pensé qu'un enseignant qui fait perdre du temps à faire faire des choses inutiles (voir franchement absurdes) sous prétexte qu'on les a toujours fait faire, ne mérite guère de confiance : on a si peu de temps pour faire tout ce qu'il y a à faire, et les enfants ont de si grands besoins !!

Question donc : qu'est-ce que le TRAVAIL en classe ?

En classe, la tâche des enfants est d'apprendre = s'approprier des savoirs. D'où, deux questions subsidiaires :
* Qu'est-ce qu'un savoir ?
* Comment peut-on se l'approprier ?

1- Qu'est-ce qu'un savoir ?
Tous ceux qui ont travaillé la question sont à peu près d'accord pour reconnaître deux grandes sortes de savoirs :
* des savoirs d'ordre théorique, notions, concept, règles ou lois, grâce auxquels on peut COMPRENDRE ce qui se passe.
* des savoirs d'ordre pratique, savoir-faire, stratégies, manières de s'y prendre, grâce auxquels on peut UTILISER ce qu'on a appris.
L'ordre ici évoqué n'a rien de canonique : il est même très souvent inverse dans la réalité de chacun. En fait, il s'agit d'une relation DIALECTIQUE, où chacun des deux enrichit l'autre. J'ai besoin d'avoir agi pour être motivé à découvrir comment ça fonctionne, et j'ai besoin de savoir comment ça fonctionne pour pouvoir agir de façon de plus en plus efficace.
La maîtrise de ces deux sortes de savoirs pour un domaine donné (le saut en hauteur, l'informatique, les équations du second degré, ou l'imparfait du subjonctif), se nomme une COMPÉTENCE.
Or, l'école s'est toujours gardée de fournir ces deux types de savoirs en même temps, posant en principe que certains savoir dits "manuels" (non sans condescendance), n'auraient nul besoin de connaissances théoriques, tandis que certains autres, plus nobles, n'auraient à voir qu'avec l'esprit, dans une abstraction admirable...
Erreur ! Il y a autant de savoirs conceptuels dans un assemblage à tenons et mortaises, que de savoirs opératoires dans la physique quantique. Et si l'on ne travaille pas conjointement les deux types de savoirs, on ne met en place aucune compétence.
Une des explications de l'échec de l'école.

2- Comment s'approprie-t-on le savoir ?
Ceux qui, comme nos dirigeants et une bonne partie de l'opinion, pensent qu'il suffit d'écouter un cours magistral précis et rigoureux, pour apprendre ce qui s'y est dit, confondent connaissance et information. Ce que je reçois, quand j'écoute une conférence ou quand je lis un ouvrage ou un article, c'est une information. C'est très utile, une information. Je dirais même que c'est indispensable : cela nourrit les savoirs. Mais ce n'est pas un savoir.
Et les étudiants en fac le savent bien : si je me contente d'avoir écouté (même en prenant des notes) ce cours si brillant, si passionnant, il ne m'en restera rien, si ce n'est que c'était un cours brillant, infiniment agréable à entendre. Pour qu'il me permette de m'approprier son contenu, il me faut, non seulement, lire et relire les notes prises, mais les réécrire de façon explicite et personnelle. Il faut que je les compare avec d'autres articles ou d'autres conférences, que j'en fasse des relectures critiques... Bref, que je travaille !
Une information, c'est le matériau brut, c'est le marbre ou les planches qui ne deviennent quelque chose, statue ou meuble, que si on le travaille. C'est pourquoi on ne peut être que convaincu qu'apprendre, c'est essentiellement construire et reconstruire ce que l'on entend, ce que l'on croit savoir, ce que l'on lit, pour se l'ajouter, s'enrichir de ces ajouts et se construire soi-même en construisant ainsi ses savoirs.
Il est facile de comprendre que cette démarche, écouter un cours, prendre des notes, et travailler ces notes, déjà loin d'être évidente pour des étudiants (à qui on s'est bien gardé de l'apprendre !), est absolument incompatible avec l'âge des enfants de l'école primaire, comme, du reste, des adolescents du collège. Pour eux c'est l'action qui doit primer, les découvertes, les tâtonnements, les expériences, tout cela effectué en petits groupes solidaires, soutenu par l'enseignant qui guide, puis complète et aide à la mise en forme des découvertes et de ce que l'on peut en déduire.
L'information ne doit en aucun cas précéder l'action, elle doit arriver comme la cerise sur le gâteau, et rendre possible l'archivage, qui est le but de tout travail d'apprentissage.

On peut donc dire que "faire travailler les enfants en classe", c'est les mettre en situation de faire des découvertes, de se tromper, de prendre conscience qu'ils se sont trompés (et non le leur dire — encore moins le leur reprocher ! ), de les rassurer sur le fait que se tromper est la preuve qu'ils sont en train d'apprendre, de tirer des conclusions de tout cela, de construire des règles (toujours provisoires...), de réfléchir et d'écrire tout ce que l'on a appris pour l'archiver et s'en servir à toute occasion.

Et ça n'a aucun rapport avec le fait d'aligner vingt "a" sur une page de cahier.
Caricature de travail, mensonge éhonté pour les enfants, impardonnable erreur, dont les conséquences, sans doute parfaitement voulues, sont de mettre définitivement sur la touche ceux qui sont considérés en haut lieu — mais aussi chez tous ceux qui se sont fait avoir par les discours savamment simplistes des résidents de ces "hauts lieux" — comme ne méritant pas d'être ailleurs...

Heureusement, nous sommes quelques-uns à avoir sur ce point une autre opinion...

A propos, si vous ne l'avez pas encore lu, allez donc chercher l'ouvrage de Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch, qui s'intitule : "Faire travailler les élèves à l'école" (Editions ESF)