Vous me direz : "Il y a eu une formation des enseignants, et durant des années... et ça n'a pas changé grand-chose".
Hélas, ce n'est que trop vrai. Cette formation, que j'ai vécue de l'intérieur, je dis bien haut qu'il lui a toujours manqué l'essentiel, même lorsque nous avons pu prendre conscience de ce qui lui manquait. La volonté politique n'a jamais été là.
En ces temps de campagne électorale, on est en droit d'espérer une telle volonté politique, et les initiatives se multiplient pour que des propositions précises, concrètes, soient sur la table, le moment venu.
Il me paraît donc utile d'apporter une pierre à l'édifice des projets pour l'école, une pierre un peu trop rare à mon sens dans l'édifice en question.

Rétablir une formation initiale et continuée, chacun, de ce côté-ci de la barricade, en est d'accord. Mais on se heurte à deux problèmes : comment choisir les candidats et quels contenus leur proposer. Et là, les détails précis manquent curieusement, comme si ça pouvait venir plus tard.
Il n'en est rien.

Choisir mieux ceux qui veulent entrer dans le métier.

Avant la formation, une nécessité s'impose, maintes fois évoquée sur ce blog même, notamment par Laurent Carle, — et rarement reprise — celle de concevoir autrement l'entrée en formation des candidats. Le métier d'enseignant exige des qualités que la formation peut développer, mais qu'elle ne pourra jamais créer si elles sont absentes. Laurent en a listé quelques-unes :

Aimer apprendre, aimer enseigner, aimer éduquer, aimer transmettre, aimer lire, aimer la culture, aimer la compagnie des enfants ou des adolescents, aimer les échanges et les relations humaines, être autonome, ouvert au changement, audacieux, sociable, créatif, coopératif, humaniste, anticonformiste, démocrate, sont les conditions nécessaires mais non suffisantes.
Le reste, il faut l’apprendre en formation, à condition que les formateurs remplissent, eux aussi, ces nécessaires conditions et se soient formés avec d’authentiques formateurs de formateurs, non avec des conservateurs de musée, gardiens des dogmes et de la liturgie.


Il paraît donc indispensable qu'un "concours d'entrée" dans les IUFM (ou autre institut de formation créé, si le sigle dérange !) soit conçu sur ces objectifs-là, et non comme ce fut toujours le cas dans le passé, sur des épreuves d'écriture, pour un métier reposant essentiellement sur l'oral : même si l'on exclut le cours magistral, c'est tout de même par l'oral de l'enseignant que les activités sont proposées.
L'objection selon laquelle un enseignant doit maîtriser la langue, notamment écrite, est recevable, certes, mais sûrement pas comme préalable au choix d'un candidat.
Surtout, le mode de recrutement habituel, avec un nombre limité de reçus, laisse sur le carreau des candidats ayant les qualités évoquées, mais avec une note d'écrit insuffisante pour passer, tout en révélant un niveau convenable dans ce domaine, alors que d'autres, brillants écriveurs, se révèlent mauvais parleurs, peu capables de supporter des enfants qui bougent, ou qui parlent.
Contrairement aux habitudes coriaces des examens et concours, les épreuves d'admissibilité devraient donc être, non des dissertations ou des synthèses, mais des entretiens oraux, conçus en partenariat avec des psychologues scolaires, autour de questionnements et/ou tests, permettant de repérer les candidats ayant des qualités trop incompatibles avec celles-là.

A partir de là, la formation doit être conçue comme réellement professionnelle, c'est-à-dire, en relation étroite avec le terrain.
Attention ! Il ne s'agit pas seulement d'une alternance de moments en classe et de cours magistraux à l'IUFM : s'il n'y a pas de liens directs entre les uns et les autres, si les formateurs des uns ne sont pas présents dans les classes, ni l'un ni l'autre de ces moments de formation n'auront la moindre efficacité.
C'est de l'utopie pure ! diront certains : impossible aux formateurs universitaires d'être dans les classes...
Mais si ! À condition de savoir utiliser les technologies existantes aujourd'hui. Et c'est là que la fameuse question des moyens financiers prend un sens réel, celui de permettre à l'Institut de formation un équipement vidéo performant : nous avons eu la preuve à Toulouse, dans les quelques années où a pu être menée l'expérience du "laboratoire pédagogique", que travailler sur des situations réelles de classe, enregistrées, par les étudiants et/ ou par des collègues, est de loin le meilleur moyen d'aider ceux-ci à construire leur pratique, par la précieuse prise de recul que permet le fait de se voir travailler en classe.
C'est aussi et surtout le seul moyen de mettre en place les véritables contenus d'une formation au métier d'enseignant, à savoir, apprendre à théoriser une pratique et à opérationnaliser des théories.

Explications.

Pourquoi tant de collègues ont-ils du mal à "faire autrement" — voire refusent carrément de l'envisager ? Parce qu'ils ne maîtrisent pas la théorie de ce qu'ils font.
On leur a dit de faire comme ça ; ils font comme ça, si dénuées de bon sens que soient les instructions reçues, parce qu'ils ne s'aperçoivent même pas de la stupidité ou des insuffisances de ce qu'on leur demande de faire.
Priver ceux qui travaillent de la théorie de leurs outils, c'est un excellent moyen de les maintenir en soumission. Si je sais seulement les utiliser, et si je ne sais pas pourquoi ils fonctionnent ainsi, je suis incapable d'en changer : tout nouvel outil plus performant va me demander un réapprentissage du savoir faire qui va de nouveau me bloquer dès que j'en aurai enfin acquis l'habitude.
C'est pour cela qu'une formation ne peut se contenter de proposer de "bons" outils en affirmant qu'ils sont bons et que ça se voit aux résultats. On le sait bien, les résultats ne prouvent pas grand-chose : si la relation entre le maître et les élèves est bonne, ils sont toujours bons — à court terme !
C'est du reste le grand drame de l'école, que les véritables résultats n'apparaissent que bien plus tard, au moins cinq ans après. Et toutes les évaluations du monde n'y pourront rien changer : c'est en 6ème qu'on évalue le travail du CP, et c'est chez l'adulte qu'on voit l'essentiel du résultat de la scolarité.
Le seul véritable outil de l'enseignant, c'est son pouvoir de théoriser les outils qu'on lui propose, sans se contenter du baratin du représentant qui les vend. C'est là le rôle majeur d'une formation professionnelle.

Apprendre à "théoriser une pratique ".

Cela veut dire savoir répondre aux questions suivantes :
* Cet outil pédagogique, à quelle théorie de l'apprentissage se réfère-t-il ?
* Sur quelle conception du fonctionnement de l'enfant s'appuie-t-il ?
* Quelle conception des contenus à apprendre met-il en œuvre (par exemple, pour le français, quelle conception de la lecture, ou de la grammaire, ou de l'orthographe etc.)
On mesure tout ce que ça implique de lectures et de connaissances à construire : il est bien vrai qu'un enseignant doit être quelqu'un qui n'a pas peur de la quantité de lecture. Mais là encore, les lectures en question ne sont formatrices que si elles sont partagées : seul un travail de petits groupes solidaires, qui commentent ensemble ce qu'ils ont lu, et pointent les idées essentielles à retenir, permet d'entrer dans des lectures longues, parfois difficiles, pour tous ceux qui n'ont pas bien appris à lire.

Apprendre à "opérationnaliser une théorie"

C'est apprendre à mettre en relation les objectifs et les moyens, c'est théoriser sa pratique en même temps qu'on la construit. Et pour avoir, comme c'est mon cas, à aider des étudiants à bâtir des séquences de travail en classe pour l'actuel concours de recrutement — concours qui s'adresse à des étudiant sans aucune formation, sans doute pour remplacer celle-ci — , je peux dire que cette mise en relation leur est aussi étrangère que possible. Beaucoup annoncent des objectifs superbes... et font faire aux élèves supposés tout autre chose, dont ils sont bien incapables de dire à quel résultat ces choses vont aboutir.
Tout un apprentissage, long, rigoureux, analysé et réfléchi, est indispensable, qui ne peut se faire que par des formateurs, analysant avec les étudiants des séances de classe auxquelles ils ont assisté ensemble. C'est pour cela qu'ils doivent pouvoir les voir, dans les classes ou sur des écrans.

Reste une question essentielle : la place de la culture, notamment artistique, dans la formation..

Je pense à la formule de Bernard Devanne : "des apprentissages culturels à l'école".
Le grand reproche que l'on peut faire aux affligeants programmes 2008, au milieu de mille autres, c'est la pauvreté culturelle de ces programmes, soutenue par l'affirmation imbécile selon laquelle le français et les maths seraient des disciplines plus "fondamentales" que les autres.
* D'abord, c'est faux : tout a une égale valeur, ne serait-ce que par le fait qu'on peut atteindre tous les contenus disciplinaires par les portes les plus diverses : la musique peut être une très bonne entrée pour les maths, et la poésie pour la grammaire.
* Ensuite, c'est dangereux. La culture, c'est l'arme n°1 contre les violences et les horreurs de pensée que sont le racisme et la xénophobie. Si elle joue depuis toujours un rôle de sélection sociale, si elle passe pour être réservée à une élite, c'est parce qu'elle n'est pratiquement jamais présente à l'école, ignorée au primaire, et bousillée sous les cours et les explications de textes au collège. Sauf quelques rares exceptions, la scolarité obligatoire n'a rien de culturel.
C'est pourquoi, elle doit être au cœur d'une formation d'enseignants, et devenir un besoin absolu dès l'école maternelle.

Cette question des contenus d'une formation est rarement évoquée dans les projets, y compris l'aspect culturel on vient de parler (N'avez-vous pas remarqué, vous aussi, que les projets même de gauche parlent très peu de culture ?). Je trouve cela très inquiétant. Tout comme j'ai toujours trouvé inquiétant — désolant, même — que les problèmes de violence, d'échecs scolaires, ne soient jamais associés aux contenus enseignés en classe, aux pratiques existantes et aux lacunes béantes qui apparaissent dans les uns et les autres.

Il y a pourtant gros à parier :
* que l'approche de la lecture à travers des méthodes toutes faites et syllabique de surcroît (dans une langue qui ignore la syllabe dans son écriture) soit largement responsable des difficultés de lecture en 6ème : l'entrée au collège est en fait le vrai moment d'évaluation de la lecture, car c'est là que les enfants ont à lire réellement, en lecture des yeux, et souvent pour la première fois, avec, entre autres, le travail sur fiche ;
* que l'enseignement de l'écriture à travers des "rédactions" hors situations sociales où l'essentiel des règles de la communication est ignoré, avec une approche de la grammaire encombrée de règles fantaisistes, dépourvues de toute légitimité, soit responsable des difficultés de prises de paroles et d'écriture d'une majorité d'adultes... Je pense que l'analyse peut être la même pour les maths et tout le reste.

On parle de méthodes, de moyens financiers... Et si les contenus étaient en fin de compte beaucoup plus importants ?