Oh ! Bien sûr, pas celle de vos manuels — qui n'est pas de la grammaire du tout, mais un ensemble inventé de règles fausses, parfaitement inutiles, et sans relation aucune avec la maîtrise de la langue française.

Pourquoi cette violente colère ? Parce que nous apprenons avec le Café Pédagogique de ce matin, que deux braves collègues, pleines de bonnes intentions (de celles qui pavent l'enfer), proposent — et chacun d'applaudir ! — de faire avaler ce pensum aux élèves, pour que ça fasse moins mal, seulement par petites doses, un peu comme des pilules, durant une dizaine de minutes, de temps en temps, appelée "moments de grammaire". L'origine de l'idée, c'est une note du BO d'avril 2018, qui déclare :
une approche ritualisée qui repose sur la mémorisation, la restitution et l’automatisation. Certaines connaissances ou certains savoir-faire nécessitent une approche brève et récurrente.(selon le B.O. d'avril 2018)

Un peu de sérieux, que diantre ! Qu'est-ce que c'est, que ces "connaissances et savoir-faire" qui nécessiteraient un approche brève et récurrente ?
Ceux qui l'écrivent n'ont-ils pas senti, dans cette façon de faire, comme un écœurant fumet de ce qu'on appelle le "dressage" ?
N'ont-ils pas vu qu'il manque quelque chose à cette approche ritualisée, reposant sur "mémorisation, restitution, automatisation", un léger détail : l'intelligence ?
C'est bien de grammaire qu'on parle, non ?
Donc de ce qui est censé assurer une véritable maîtrise de la langue ?

Comment un apprentissage par dressage pourrait-il favoriser une maîtrise, celle de la langue qui plus est, laquelle implique une grande aisance dans le libre choix des moyens nécessaires à l'adaptation des formulations, aux projets précis de communication, de chacun ?
Aurait-on oublié que le dressage n'est pas, ne peut pas être, de l'apprentissage ? ?

C'est quoi, la grammaire ? Et à quoi ça doit servir ?

Le rôle d’une grammaire, digne de ce nom doit être de permettre à ceux qui utilisent le français, leur langue, d’en connaître les « éléments », les « pièces », qui la constituent, de comprendre comment elles sont reliées entre elles, comment elles fonctionnent, et comment on s’en sert, pour communiquer avec d’autres personnes. Savoir cela est chose essentielle à la liberté de chacun : l’ouvrier qui sait comment marche sa machine est infiniment plus libre que celui qui ne sait que s’en servir : celui-ci sera perdu devant une nouvelle version de l’outil, tandis que celui-là, parce qu’il en maîtrise la théorie, n’aura aucune peine à s’adapter aux nouveautés. Et celui qui, par sa condition sociale risque d’être mal jugé, ou méprisé, saura se défendre s’il maîtrise le langage et ses ressources.

Le devoir de donner cette maîtrise à tous est un devoir sacré de l’école : c’est à ça que doit servir la grammaire. Et il est vrai que celle qui est en usage, en est incapable.
Pourtant, il suffirait d'un peu de bon sens pour découvrir celle dont chacun a besoin.
La langue est l'outil de la communication. Pour savoir comment fonctionne un outil, surtout complexe,comme le français, il faut le démonter et regarder dedans. Chacun sait que cette activité de démontage est un jeu pour tous les enfants, et un vrai plaisir... C'est donc dans cette direction qu'il faut chercher.

Problème : "la langue française", où peut-on la trouver ?
En tant que telle, nulle part : elle n'existe pas.
Seules, les productions effectives, orale et écrites permettent de l'approcher : ce sont elles, qu'il faut "démonter", notamment celles qui sont écrites, plus faciles à ouvrir et observer.
Donc, les textes qu'on connaît, c'est-à-dire ceux qu'on a lus en classe, tous les textes lus, et pas seulement ceux des moments de "lecture" : démonter un énoncé de problème, un théorème, ou une légende de document scientifique ou historique, c'est rudement utile, parce que ça éclaire aussi la manière de s'en servir.

Prolongement normal du travail de lecture, la grammaire consiste à se poser des questions : ce qu'on a compris, comment l'auteur a-t-il fait pour qu'on le comprenne ? Quels moyens a-t-il utilisés ? Pourquoi ceux-là ? De quels autres aurait-il pu se servir ? Quelles auraient été les différences ? Etc.
Toujours en petits groupes (trois, c'est bien), les enfants cherchent, discutent, se documentent, plongent dans leurs archives, leurs manuels, leurs dictionnaires... Ils réfléchissent, ils s'amusent, ils apprennent... Bref, ils travaillent.

Une précision essentielle :
Comme ce n'est pas pour elle qu'on travaille la grammaire, mais que c'est pour mieux lire et mieux écrire, il devrait aller de soi qu'elle n'a nul besoin d'être évaluée. Le résultat à atteindre, qui est ce qu'on évalue, c'est de mieux lire et mieux écrire. Ce n'est pas de bien réciter les règles.

Il faudrait que l'école perde l'habitude d'évaluer tout, tout le temps et n'importe quoi. On n'a pas de temps à perdre !

En revanche, le grand intérêt de faire travailler les enfants, comme nous le proposons, c'est que les découvertes grammaticales, orthographiques, lexicales, qu'ils vont faire ainsi, seront archivées, relues, revues, et réutilisées lors de chacune des tâches qu'ils auront à mener. Ainsi, constamment enrichies, elles deviennent, dans une école digne de ce nom, une source de documentation personnelle que les enfants garderont d'années en années, dans toutes leurs études, voire toute leur vie ...
En fait c'est à ça que devrait servir l'école : constituer une documentation pour les années à venir !

Inutile, désormais de chercher à dorer et sucrer la pilule : il n'y a plus de pilule !
Il ne reste que le bonheur de faire des découvertes, et de collectionner les savoirs, garants d'une liberté, sans cesse à reconstruire et à protéger.