Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Quelles hypothèses choisir ?

Il faut savoir que toute pratique de classe, si banale soit-elle, est toujours sous-tendue par des hypothèses venues de la Recherche ou des habitudes, et portant sur :

* la conception de l'apprentissage

* la conception des contenus à enseigner

* la conception de l'enfant.

C'est ce qu'on appelle les "savoirs savants", qu'il faut "transposer" pour les rendre enseignables, c'est-à-dire, pour qu'ils puissent prendre appui sur les savoirs déjà-là des élèves

Un grand théoricien de la didactique des mathématiques, Yves Chevallard, nous propose la notion de "transposition didactique" pour définir la première étape de la préparation d'une séance de travail avec les élèves.


Cette notion est extrêmement précieuse pour conférer au travail de classe une rigueur et une efficacité optimales. Elaborer une pratique de classe implique que l'on soit capable de choisir de façon cohérente les hypothèses théoriques qui vont sous-tendre cette pratique dans chacun des trois domaines concernés par l'apprentissage . C'est ce qu'on appelle "opérationnaliser une théorie"
De façon symétrique, théoriser une pratique, comme cela est demandé au CRPE signifie repérer les théories sous-jacentes à la séquence, c'est-à-dire, les hypothèses qui ont été choisies concernant ces trois domaines. Toute séquence présente en effet des indicateurs observables repérables dans le déroulement de la séquence, sur chacun de ces points.

Il est donc nécessaire de connaître les grandes options générales prposées par les scientifiques dans domaine évoqué ci-contre.

1- Pour ce qui est de la conception de l'apprentissage, on se reporte au tableau des types de pédagogies : theoriesapprent.html

2- Pour ce qui est de l'enfant, les hypothèses mises en jeu peuvent être : 1) L'enfant est un élève dont le savoir est vide sur ce sujet, et qui doit se laisser emplir.
2) L'enfant sait des choses, et je dois prendre en compte ce qu'il sait, même si ce n'est pas dans le programme.
3) L'enfant est un être capable de tout trouver tout seul, s'il est en situation de projet le concernant
4) L'enfant, à condition qu'il travaille avec ses pairs, peut découvrir beaucoup de choses, qui deviendront des savoirs, si on l'aide à théoriser ses découvertes

3- Pour ce qui est des contenus, les hypothèses choisies peuvent être, pour le français :

1) sur la lecture :
· Lire, c'est assembler des lettres, pour produire des sons : lire, c'est dire à haute voix ce qui est écrit.
· Lire, c'est comprendre avec les yeux, et comprendre, c'est pouvoir utiliser ce qu'on vient de lire.
· Pour identifier les mots, il faut identifier les lettres, savoir les associer à des sons, connaître les règles d'assemblage de ces lettres (la combinatoire) et prononcer ces assemblages.
· Pour identifier les mots, il faut les reconnaître, et donc les avoir mémorisés
· Pour comprendre, il faut identifier d'abord les mots, et les assembler ensuite.
· Pour comprendre, il faut reconnaître d'abord le type d'écrits, et le réseau de communication qui a produit le texte (qui écrit, à qui, et pour quoi faire ?) ; ensuite, à partir des hypothèses formulées par ce premier ensemble de questions, rechercher les contenus du texte, en utilisant le contexte pour comprendre les mots. Enfin, la combinatoire permet de vérifier les hypothèses sur les mots.
· Comprendre, c'est pouvoir répondre à des questions de compréhension

2) sur le rôle de la combinatoire dans la lecture
· La combinatoire sert à reconnaître les mots, pour comprendre le texte
· La combinatoire ne sert qu'à vérifier les hypothèses de sens, jamais à les formuler, ni même à reconnaître les mots.

3) Sur la production d'écrits
· Ecrire, c'est faire des phrases, qu'il faut ajouter les unes aux autres pour qu'elles constituent des paragraphes, que l'on ajoute les uns aux autres pour qu'ils constituent un texte. On reconnaît cette hypothèse, dans un travail qui part des petites phrases, que l'on enrichit pas à pas, en passant par le paragraphe, pour arriver au texte, les notions de situations de communication, de fonctions de l'écriture, et de types d'écrits étant complètement absentes du travail en classe
· Ecrire, c'est produire un texte à partir d'un sujet.
· Ecrire, c'est vivre une situation de production langagière écrite complète, ayant trois fonctions majeures :
· communiquer avec des partenaires absents ;
· travailler pour comprendre et retenir
· jouer et s'exprimer
On repère facilement cette hypothèse, par la présence de la situation, de la fonction que l'écriture y a, du caractère achevé ou non de la production etc

.4) sur la grammaire, et l'étude du fonctionnement de la langue :
· La grammaire, c'est un ensemble de règles, qu'il faut apprendre, mémoriser et savoir appliquer. Des exemples choisis pour chaque règle, permettent de les apprendre.
· La grammaire, c'est l'étude du fonctionnement de la langue, donc des textes produits (à l'oral, comme à l'écrit). Cette étude qui consiste en une " observation réfléchie de la langue " ne peut porter que sur des textes déjà lus, et suffisamment longs pour que les constats effectués puissent avoir valeur de règles
· Il faut distinguer la grammaire, le vocabulaire, l'orthographe, la conjugaison, etc. qui sont des disciplines différentes.
· La différence entre la grammaire, le vocabulaire, l'orthographe, la conjugaison, etc., n'est qu'une différence de points de vue et de niveaux d'une même étude.

5) Sur l'orthographe
· L'orthographe traduit majoritairement la prononciation du français : il faut donc habituer les élèves à écouter les mots pour savoir comment ils s'écrivent. Il suffit qu'ils connaissent les quelques exceptions qui existent.
· L'orthographe ne peut être déduite de la prononciation (du reste différente d'une région à une autre). L'orthographe traduit majoritairement le sens. Il faut donc habituer les élèves à se méfier de la prononciation, et à chercher en toute occasion la documentation orthographique (dictionnaire, dictionnaire de verbes, lectures etc.), car il est impossible de trouver par réflexion l'orthographe d'un mot si on l'ignore, même pour ce qui est des accords.

6) Sur la conjugaison
· Les différents paradigmes verbaux doivent être appris par cœur, et récités très fréquemment.
· Les paradigmes verbaux doivent être reconstruits par les élèves, au fur et à mesure des découvertes en lecture. Chaque forme verbale, doit être par eux mise en relation avec la famille du verbe, la personne, et l'ensemble mode/temps, en distinguant avec soin, les formes de textes (embrayé/non embrayé) auxquels elles appartiennent. C'est une construction, non une mémorisation.

7) Sur le vocabulaire.
· C'est par des leçons qu'on enrichit le vocabulaire des élèves. Les leçons doivent donc porter sur des mots que les élèves ne connaissent pas
· C'est par les lectures, et les échanges verbaux que le vocabulaire des élèves s'enrichit. Mais cet enrichissement reste dans le " savoir passif ", et n'est donc que très peu disponible. Le travail en vocabulaire a pour objectif de faire passer ce savoir passif dans le savoir actif. Il faut donc travailler sur des mots que les enfants connaissent mais utilisent ou très peu ou très mal.

8) Sur l'oral
· L'oral est une forme inférieure de la langue : il faut que les enfants apprennent à parler comme un livre.
· L'oral est une autre forme de fonctionnement de la langue, lié à la communication directe. Son fonctionnement est très différent de l'écrit, et il est souvent plus difficile à vivre que l'écrit. Il est surtout beaucoup plus difficile à observer ; c'est pourquoi la grammaire à l'école primaire porte essentiellement sur l'écrit. La grammaire de l'oral ne peut être abordée qu'au collège.
· L'oral, c'est parler : si on sait parler, on maîtrise l'oral
· L'oral, c'est vivre des situations diverses de prises de parole. Il faut travailler chacune de ces situations.