Enseigner le français avec Eveline Charmeux

La place de la parole de l'enfant

Tais-toi, tu n'as pas la parole !
Un enfant bien élevé ne parle que si on l'interroge
C'est un enfant beaucoup trop bavard pour réussir en classe
C'est un enfant insolent, et qui répond !

Lequel d'entre nous n'a pas entendu, dans son enfance, ces jugements péremptoires, dans la bouche des adultes chargés de son éducation ? Et, qui parmi ceux-là ne ressent pas encore, des années plus tard, le pincement lourd d'une révolte rentrée, bâillonnée ?

On objectera que les choses sont différentes aujourd'hui, et que de tels propos ne s'entendent plus guère. Pas sûr ! Le bavardage est toujours aussi mal vu à l'école, et le fait de "répondre", reste symbolique des comportements inadmissibles d'une jeunesse dépourvue de toute éducation.

L'enfant pourtant, même très jeune, a droit à la parole et il a besoin de répondre à ce qu'on lui dit. Mais cette nécessité, dont nous sommes tous aujourd'hui conscients, se heurte, pour les adultes, parents et enseignants, à certaines difficultés, qui expliquent que l'enfant, malgré nos bonnes volontés, ne soit toujours pas écouté comme il le faudrait.

Le premier problème vient de ce que la prise de parole est toujours une prise de pouvoir, et que beaucoup d'adultes, consciemment ou non, ne tiennent pas à partager le leur. Il faut pourtant bien admettre qu'un enfant n'est pas un objet que l'on façonne à son gré. C'est une personne à part entière, qui se construit, en partie grâce à nous, mais aussi parfois contre ou malgré nous…

La richesse désordonnée, anarchique, de l'environnement d'aujourd'hui, fait fonctionner l'intelligence de l'enfant beaucoup plus tôt que jadis, et suscite interrogations et hypothèses, qui doivent être exprimées pour ne pas devenir dangereuses. Tout ce qui se passe dans la tête d'un enfant, il faut, comme dit la sagesse populaire, que ça sorte ! Donc, commencer par permettre à l'enfant de dire, et de se dire, sans filtres ni interdits, et, selon la formule de J.Salomé : " oser accepter l'idée que tout enfant a un savoir ".

Le deuxième problème, c'est l'écoute que l'on offre à cette parole. Et sur ce point, les résultats ne sont guère fameux : les soucis, le travail, la fatigue, nous rendent bien peu disponibles. Il est pourtant essentiel de se ménager des moments d'écoute et d'échanges avec eux. Les enfants en ont besoin. Mais contrairement à ce que l'on croit parfois, les questions posées n'attendent pas forcément une réponse sur la question : elles sont posées pour créer le contact et s'assurer qu'on les écoute et qu'on les aime. " Le questionnement des enfants est souvent une amorce à un échange espéré " (J.Salomé).

C'est vrai, les enfants espèrent des échanges avec les adultes… Mais il faut savoir que s'ils ne les obtiennent pas quand ils sont petits, ils nous les refuseront plus tard. La parole du tout petit conditionne celle de l'ado qu'il deviendra.

Ça mérite qu'on y réfléchisse un peu.
E. C. (1999)

1- Dans un ouvrage très agréable à lire, au titre superbe "T'es toi quand tu parles" par Jacques Salomé, Éditions Albin, 1991.