On le voit : si l'on a pu croire, une fraction de seconde, que la marche annoncée par le Président allait prendre la direction d'un renouveau, force est d'admettre qu'il n'en sera rien. On était en droit de penser, trop naïvement, que la droite ayant régné en maître dans l'écrasante majorité des gouvernements passés, hormis quelques fugitives exceptions sans grands lendemains, le "renouveau", tel qu'il était annoncé, pouvait être compris, (non sans une certaine dose d'illusion, je l'admets) comme un renouveau "au-dessus des partis, tendance plutôt à gauche". Que nenni !
Les propos tenus lors de la passation des pouvoirs, apportent mille raisons de s'inquiéter : est désormais requise, plus que jamais, la vigilance de chacun de ceux qui, parents et enseignants, ont, sur l'école, un peu plus d'ambition que le Ministre qui en a la charge.

Celui-ci affirme s'appuyer sur les sciences cognitives. Or, contrairement à ce qu'il semble croire, les sciences qui concernent l'école ne sont pas toutes d'accord entre elles : un total désaccord oppose une (petite) partie des neurosciences, aux deux principales sciences dont dépend l'enseignement du français, celle qui nous apprend comment fonctionne un enfant quand il apprend, et celle qui explique le fonctionnement de la langue française. Cela fait beaucoup.
Alors que, selon une interprétation des images cérébrales, — interprétation toujours discutable, au vu du peu que l'on connaît du cerveau, et du caractère polysémique de toute image, fût-elle cérébrale — l'apprentissage devrait être celui que définit la logique adulte : enseigner les connaissances de manière rigoureusement progressive, à partir de leurs éléments, la psychologie rappelle que le fonctionnement d'un enfant, ne correspond en rien à cette logique.
Quant à prétendre que la langue écrite serait d'abord un assemblage à apprendre, de lettres traduisant les sons de l'oral, la linguistique affirme, preuve à l'appui, que c'est tout le fonctionnement de la langue qui est est différent entre l'oral et l'écrit. De fait, ce que l'écrit traduit n'est pas pas ce qu'on entend à l'oral, mais le sens de ce qui est entendu.
Et si l'on met en relation les données de ces deux domaines de recherche, il appert que ce n'est sûrement pas par cet aspect de l'écrit qu'il faut commencer l'apprentissage.
La rigueur d'esprit la plus élémentaire ne saurait balayer, d'un revers de la main, des décennies de travaux dans ces deux disciplines dont personne, jamais n'a prouvé qu'elles fussent erronées (cela est affirmé, mais sans le moindre argument), au profit d'une seule hypothèse bien mal assurée, qui plus est. Seules, des raisons financière peuvent justifier une option si aberrante. Et le danger n'en est que plus grand.

Quant aux principes que notre Ministre énonce au plan pédagogique, ils ne peuvent se défendre qu'au nom d'une tradition qui a toujours ignoré l'enfant qu'est l'élève, et ne s'est, malheureusement, jamais intéressée aux données scientifiques des contenus à enseigner.
j'en retiendrai deux ici, particulièrement préoccupants : la quasi disparition, au début des apprentissages, des disciplines autres que "fondamentales" (comme si certaines l'étaient plus que d'autres et l'on sait que c'est faux) ; les évaluations imposées d'en haut.

* Les 26 heures/semaine, prévues pour l'enseignement du français, en primaire, — à prendre évidemment sur les horaires des autres disciplines. j'ai déjà évoqué, dans le billet précédent, les erreurs de cette option.
Mais faut-il tout de même être borné, pour ne pas penser que le français étant la langue en usage dans toutes les disciplines, on "fait" du français en EPS, en maths, en histoire en sciences et en géo ; on en fait aussi en "arts visuels" et en musique !
L'avantage du français vécu et communiqué dans ces diverses disciplines, outre les intérêts culturels qui sont les leurs, c'est qu'il permet de confronter les enfants aux variations du langage, vocabulaire et syntaxe, liées aux contenus de communications différents et aux divers écrits que ces disciplines proposent aux enfants.
Si l'on ne fait plus que du français, ces variations disparaîtront automatiquement, les cours se faisant alors de façon artificielle, comme ils se sont toujours faits, à grands coups de phrases inventées. Sera mise en place, alors, une fausse maîtrise de la langue, dépourvue de sa dimension sociale, dimension essentielle d'une maîtrise véritable.

* Les évaluations des élèves, imposées d'en haut, en début ou en fin d'année.
Une telle proposition révèle une ignorance vertigineuse, incompréhensible de la part d'un supérieur du monde enseignant, de la notion même d'évaluation et de ses fonctions.
Il faudrait que ses conseillers rappellent, à monsieur Philippe, que l'évaluation en soi, ça n'existe pas.
On en compte, en effet, au moins deux formes, sans rapport l'une avec l'autre, avec des fonctions radicalement différentes : une évaluation dite "formative", et une évaluation dite "sommative", d'un très mauvais terme, peu éclairant, auquel il faut préférer celui de "certificative", infiniment plus clair.
Il faudrait aussi lui envoyer quelques rappels apparemment méconnus de ce grand homme, sur ce que sont des ces deux types d'évaluation.

1- L'évaluation certificative (ou sommative).
C'est celle qui a pour fonction de CERTIFIER que le sujet évalué a bien les compétences nécessaires pour exercer un métier, ou pour se lancer dans de nouvelles études. Elle ne peut donc apparaître qu'en toute fin de formation, comme une sorte de "laisser passer", vers une voie pour laquelle on vient de vivre une formation.
Il est toutefois possible d'en prévoir une forme légèrement différente, comme "adoucie", à la fin de chaque cycle — et non chaque année, ce qui détruirait les intérets du travail par cycles — pour être sûr que les enfants peuvent entrer dans le cycle suivant. On peut dire "adoucie", dans la mesure où elle serait menée, de l'intérieur de la classe, par l'enseignant lui-même, peut-être, en tandem avec le collègue du cycle suivant.
Mais l'évaluation réellement certificative est effectuée de l'extérieur de l'établissement de formation, par d'autres examinateurs que ceux qui ont procédé à la formation. Elle se veut objective, dépourvue de tout a-priori, et se présente comme un examen, avec des performances de candidats souvent anonymes.
Elle n'a pas d'autre suite que d'être reçu ou refusé à l'entrée qui est visée. C'est donc une évaluation fortement stressante, mais indispensable, socialement : quand on se confie à un chirurgien, ou à un pilote d'avion, il vaut mieux avoir des preuves de ses compétences

Il est clair qu'une telle évaluation n'a pas sa place en COURS DE FORMATION, et, exception faite de ce qui a été dit plus haut, devrait être absente de l'école primaire, comme du collège, où, pour être réussis, les apprentissages doivent être menés dans une ambiance de calme et de confiance, dépourvue de tout stress.
Le fait de la prévoir, et même souvent, avec des notes, comme on le fait depuis toujours au mépris du besoin des enfants d'apprendre sereinement, repose sur ce présupposé que les savoirs acquis le sont définitivement, comme si l'esprit avait des "hangars de stockage", où seraient rangés les savoirs au fur et à mesure qu'ils sont engrangés, et où l'on pourrait les retrouver au besoin.
On sait, pourtant, ne fût-ce que par sa propre expérience, qu'il n'en est rien : des savoirs acquis (et évalués), il ne reste que ceux qu'on a continué d'utiliser. Les autres ont disparu beaucoup plus vite qu'ils n'ont été installés. Aussi, tout le pataquès qu'on fait autour des "compétences acquises", ou "en voie d'acquisition" ne mériterait-il qu'une grosse rigolade : au lieu de vouloir mesurer ce qui ne peut pas l'être à ce moment-là, on ferait mieux d'utiliser, de façon plus intelligente, le temps qu'on y perd — par exemple, à renforcer et rendre durables les apprentissages, en provoquant des projets qui les utilisent, pour être élaborés...

* L'évaluation formative, la seule qui ait sa place à l'école, est celle qui permet de repérer où l'on en est du travail d'apprentissage. Elle a pour rôle de faire le point, à la fois sur ce qui a été appris et sur la manière dont cela a été vécu, pour déboucher sur des prises de décision concernant la suite des événements. Elle ne peut être que participative, car on ne mesure pas une personne sans son accord ni sa participation. Précédée ou non d'activités produites et d'exercices, elle s'effectue essentiellement au cours de régulations collectives, dont dates et modalités ont été prévues et qui donnent lieu à des rapports, pouvant être remis aux parents.
Elle apparaît aussi en début d'année, avec une fonction un peu différente : celle d'être une collecte d'infos de "départ" sur les savoirs des enfants. On notera qu'elle n'a nul besoin de se parer du nom prétentieux, aux connotations vaguement médicales pour faire sérieux, "d'évaluation diagnostique". Le terme est du reste doublement mal choisi, car, la notion de "diagnostic", déjà parfois remise en question en médecine, est totalement inadaptée à la pédagogie : on ne fait pas dans la voyance et on n'a rien à prédire sur les enfants qu'on nous confie. On a à essayer de les connaître, de les comprendre et de les aider à grandir, un point c'est tout.
Prévue pour donner quelques indications, sans plus, sur la manière dont le groupe classe va pouvoir travailler, elle ne peut, c'est une évidence, être menée que par le groupe des enfants sous la direction de leur enseignant : elle est partie intégrante du travail d'enseignement. Aucune personne extérieure ne peut en être chargée.
Il ne saurait donc être question que le ministère prévoie d'organiser ce type d'évaluation "de départ", surtout, comme cela semble devoir être le cas, selon les propos mêmes du ministre, quand c'est accompagné d'une affirmation frôlant l'insulte : "Pour aider les enseignants dans leur travail..." Comme s'ils en avaient besoin !! Il me semble que les enseignants sont largement plus compétents pour la faire, que les conseillers au fond de leur cabinet !

Cette volonté de "faire scientifique" sur l'évaluation des apprentissages, dans un domaine — humain — qui ne tolère rien de tel, alors même que ne sont pas prises en compte les données des travaux réellement scientifiques sur la manière de les faire acquérir, me semble un immense danger, pour les enfants, pour l'école, pour l'avenir, contre lequel il faut s'insurger, et agir tous ensemble.
Ce gouvernement a placé l'éducation à la onzième place des priorités, ce qui déjà éclaire les intentions gouvernementales, et beaucoup pensent sans doute qu'il y a d'autres urgences.
Rien n'est moins sûr. Le danger est réel : rappelez-vous l'histoire de la grenouille, qui nageait en eau tiède...