Tous ceux qui ont trois sous de connaissances sur l'histoire de l'école savent bien que les échecs massifs constatés aujourd'hui au collège, ont toujours existé à l'école primaire... Mais cela ne se voyait guère du fait de la barrière à l'entrée en 6ème. En fait, cet échec sensible depuis les années 80, n'est que la continuation logique de celui de l'école primaire d'avant 70.
Un de mes amis m'envoyait récemment ces remarques, en réponse aux commentaires de Victor et de Mélès :
Contrairement à une majorité de gens qui pensent que le problème est tout entier dans le choix des programmes, des contenus (éveil, découverte ou enseignement magistral), des techniques d'enseignement et des procédés, il est clair que le problème est politique.
Il faut choisir entre une école publique qui instruit, éduque, émancipe (elle n'existe pas encore) et un système hypocrite qui, depuis toujours, formate, prépare les enfants défavorisés à leur destin de prolétaires, classe, trie, élimine et sélectionne toujours les mêmes, ceux qui sont favorisés de naissance, enfants de la bourgeoisie, enfants de cadres, de libéraux et d'enseignants.
Aucun système éducatif ne peut instruire, éduquer les enfants en tant qu'êtres humains et simultanément noter, classer les compétiteurs dont la majorité ignore en entrant dans le système que c'est la priorité absolue mais non déclarée de l'école.
Croire qu'il suffit de mettre 20 élèves en présence d'un prof qui maîtrise parfaitement sa discipline, exhorte régulièrement, note justement et traite "le programme" intégralement est une attitude naïve et inefficace qui conduit le béotien à chercher un coupable à l'extérieur de sa classe.

L'école de papa n'a pas changé, donc. Elle continue seulement de faire subir aux collégiens le sort qu'elle réservait autrefois aux écoliers : trier, éliminer les déchets d'abord, sélectionner l'élite ensuite. Une classe "normale" dans une école traditionnelle se compose d'un petit tiers de bons, un petit tiers de nuls et un grand tiers de moyens. Avec un grand tiers de bons le prof serait soupçonné de manquer de conscience professionnelle et de "gonfler" les notes. Avec un grand tiers de nuls le prof serait accusé de ne pas faire son travail. Quelle que soit sa situation personnelle, chacun pense le cursus scolaire de ses élèves comme un parcours de compétition individuel où chacun gagne ou perd en vertu de ses mérites personnels. L'école, à tout niveau, reste le lieu de consécration et de sanction des destins individuels se réalisant à travers des carnets de notes et des bulletins scolaires. Aucune différence entre une année sportive et une année scolaire. Dans l'opinion, enseigner et classer sont deux fonctions parfaitement confondues.

Cette description de l'école, que nul de bonne foi ne peut contester — c'est celle que nous n'avons pas cessé de connaître et qui aujourd'hui encore est omniprésente — repose sur un oubli majeur, une méconnaissance du métier d'enseignement, dont la responsabilité incombe, évidemment, à la formation, telle qu'elle est conçue depuis quasiment toujours, malgré une parenthèse minuscule et sans lendemains, dans les années 70.
Cet oubli, c'est celui que les élèves, quel que soit leur âge, sont des personnes, des personnes qu'il faut prendre en compte, et respecter (surtout si on en attend la réciproque !).
Pour reprendre la comparaison de Y. Chevallard, "enseigner, c'est un jeu à deux".
En face de l'enseignant, ce n'est pas un groupe de potiches à remplir qui est assis, ce sont des individus, qui ont chacun, non point le même cerveau, comme certains neuroscientifiques voudraient nous le faire croire, mais un passé différent, des sentiments, des souvenirs, des allergies, des espoirs, des angoisses, des rêves, bref, des savoirs différents.
Il est impossible de concevoir notre métier, sans faire de cette évidence la clé de notre comportement. De plus, en tant que "personnes", ils ont le droit de dire NON, et même d'exiger de comprendre à quoi sert ce qu'on leur demande, et de connaître les règles du jeu auquel ils sont obligés de jouer.
C'est ce que Jacques Fikalkow et son équipe, proposent de nommer la "clarté cognitive". Cette clarté cognitive, qui n'est en fait qu'une des bases essentielles de la démocratie, implique de profondes modifications dans l'organisation du travail d'enseignement, modifications que les affreux pédagogues proposent et essaient depuis quarante ans, sans être entendus.
Il est vrai qu'elles demandent, qu'elles exigent même, énormément d'aide et une formation approfondie, laquelle n'a jamais été prévue en haut lieu, ce qui entraîna une surdité chez les collègues, largement majoritaire. On peut parfaitement le comprendre hélas !
Développer ici le détail de ces modifications indispensables serait sûrement trop long. L'ami dont je cite plus haut les propos en a détaillé quelques-uns à-contrario, comme la confusion notation et évaluation, confusion fonctionnement du groupe classe et courbe de Gauss, confusion orientation et sélection... etc. etc.
Je n'ajouterai ici qu'un aspect de ces modifications essentielles : une école qui se veut démocratique doit être transparente et bien éclairée. Reprenant une comparaison célèbre de Philippe Meirieu, je dirais qu'elle doit absolument éviter de lancer les enfants dans un tunnel tout noir, éclairé seulement par une petite lampe qui n'éclaire que l'endroit où l'on est. A tout moment, l'élève doit savoir d'où il vient et où il va : il doit pouvoir anticiper ce qu'on attend de lui.
Une organisation de l'enseignement des programmes qui prend, par exemple, les chapitres les uns après les autres n'est autre que le tunnel tout noir de Ph. Meirieu. Pareil pour l'ensemble du cursus scolaire et des choix possibles : ce n'est pas à la fin de l'année qu'il faut parler d'orientation, c'est au début, et même tout au début : l'orientation ne saurait être un résultat, et encore moins une sanction. Elle doit être un projet, qui conditionnera la manière de travailler.
Je le dis et je le répète : ce ne sont pas les élèves qu'il faut soutenir (le "soutien", quel vilain mot !!). ce sont les enseignants. Leur métier est magnifique. Encore faudrait-il leur donner les moyens de l'exercer, et commencer par le leur apprendre, en cessant de les tromper, par la fallacieuse croyance qu'il suffirait de savoir, pour pouvoir enseigner...
Si l'on veut une école publique qui instruit, éduque, émancipe et qui n'existe pas encore, il faut que l'on aide les enseignants à réunir les conditions pour que les élèves apprennent,.
Cela n'a rien à voir avec du remplissage. En plus, c'est loin d'être facile.