Préambule essentiel pour ceux qui ne les ont pas reçus : deux articles sur ce sujet, aussi excellents l'un que l'autre, à lire en priorité : celui de Philippe Meirieu, publié sur son site :
http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes.htm
Et celui de Pierre Frakowiak, publié sur le site du Café pédagogique http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/PFrackowiak_Unecatastrophe.aspx

Ce projet de "réforme" de la formation (on pourrait dire de dé-formation : en quoi un projet qui supprime la formation professionnelle d'un métier peut-il être considéré comme une "réforme" ?) est si énorme qu'on pourra en analyser longuement les aberrations — ou plutôt, comme le dit excellemment Ph. Meirieu, la redoutable cohérence —.

Pour ma part, je voudrais dire d'abord ici mon heureuse surprise d'entendre, dans des propos officiels, et présentée comme une idée nouvelle et géniale, la revendication : "bac + 5 pour tous les enseignants !", revendication que j'ai moi-même longtemps scandée sur l'air des lampions, entourée de mes normaliens, dans les rus d'Amiens en mai 68...
De la part d'un gouvernement qui affirme vouloir éradiquer l'héritage de mai 68, c'est assez inattendu, et comme nouveauté, cela pourrait fait sourire, si ce n'était pas si triste : vous verrez que ce gouvernement finira par inventer l'eau tiède...!

Ma propre contribution porte, elle, sur la confusion qui sous-tend le raisonnement conduisant à ce projet : j'ai beaucoup de mal à comprendre qu'on puisse, sans en être gêné, faire de telles erreurs de raisonnement.
Nous avons, à maintes reprises, souligné déjà l'erreur qui consiste à prétendre vouloir "recentrer l'enseignement sur les fondamentaux, lire, écrire, compter".
Projet parfaitement absurde : les "savoirs fondamentaux", — qui du reste, ne sont ni l'un ni l'autre : ce ne sont pas des savoirs, mais des outils, ce qui est notamment différent et ils n'ont rien de plus fondamental qu'autre chose. — (On peut noter au passage, et avec intérêt, que "parler" n'y figure pas...) ne peuvent être l'objectif d'un enseignement.
Le seul objectif de tout enseignement, c'est de favoriser les apprentissages des élèves, donc de se centrer sur l'acquisition des savoirs par les élèves.
Aucun gouvernement ne peut changer cela. On peut avoir à la rigueur, des conceptions différentes de la notion d'acquisition, mais il est impossible d'éliminer les élèves des objectifs d'un enseignement !
De toute évidence, notre ministre affronte l'impossible sans frémir.

Ma surprise, qualifiée d'heureuse tout à l'heure, ne l'a pas été longtemps : une énorme différence sépare notre rêve soixante-huitard et le projet gouvernemental.
Lorsque, en mai 68, nous réclamions "Bac + 5 pour tous", cela ne signifiait pas : "cinq années de préparation à un master de chimie ou de grammaire" ! Cela signifiait : "cinq années de formation professionnelle, c'est-à-dire de mise en relation des savoirs dits "savants", en toutes disciplines, avec les exigences du métier d'enseignant : connaissance de la psychologie des enfants, des conceptions de l'apprentissage, et des obstacles — dits "épistémologiques" — que les savoirs à acquérir, en chaque discipline, opposent aux représentations spontanées des enfants.
Entendons-nous bien : pas "coexistence des savoirs savants et de quelques cours de psycho de l'enfant" ; mais mise en relation des uns et des autres, dans une construction de pratiques de classe rigoureusement adaptées aux objectifs d'apprentissages et aux savoirs que les élèves ont en entrant.
Ce qui exige de travailler avec les formateurs dans des classes "hic et nunc", où l'on apprend à faire la classe en la faisant, et en analysant ce qui s'est passé. Les deux aspects étant aussi indispensables l'un que l'autre.

Pourquoi cela est-il à ce point nécessaire ?
1- Parce que l'objectif est que tous les enfants apprennent. Or, ils sont tous différents, ont des savoirs différents, des habitudes différentes, des croyances différentes, et leur faire la classe exige qu'on ait appris à gérer tout cela, ce qui est loin d'être évident.

2- Parce que, dans cet apprentissage, la maîtrise des savoirs dits "savants", est une condition nécessaire, indispensable même, mais absolument pas suffisante !!

Tous les instit', dont on sait qu'ils doivent enseigner toutes les disciplines, vous diront qu'ils enseignent de façon plus efficace dans les disciplines où ils étaient... mauvais élèves !!
Ce qui n'est un paradoxe qu'en apparence : si j'ai eu du mal en tant qu'élève, je sais où sont les difficultés, je sais ce que c'est que de ne pas comprendre... Ce que démontre admirablement Daniel Pennac dans son merveilleux "Chagrins d'école"...
Confondre la condition nécessaire et la condition suffisante, et oublier qu'enseigner, ce n'est point "transmettre" tels quels les savoirs, mais aider les élèves à surmonter les obstacles que les savoirs présentent pour eux, ce sont là des fautes si graves, qu'elles ne peuvent pas être involontaires, (où l'on retrouve la cohérence redoutable dont parle Philippe Meirieu).
Et si ce n'est pas voulu, cela signifierait de la part de ceux qui les commettent, une incompétence si grande qu'il est impossible de l'imaginer chez des gens élus par la majorité des citoyens de ce pays...
A moins qu'ils aient voté sans réfléchir... ?
Au fait, cette question est valable pour les deux hypothèses évoquées ci-dessus.