En fait, la formule de Guillaume d'Orange révèle une conception de l'être humain en général, et de l'enfant en particulier, qui a fait beaucoup de mal, entre autres, à l'école... Sous jacents à cette affirmation, on trouve, en effet, deux présupposés très discutables et fort dangereux.
1- Celui qui prétend que la volonté est une donnée offerte à tous et dépendant de la seule personne : celui du proverbe : "Qui veut, peut".
C'est largement faux.
Ce serait même plutôt le contraire : le moyen de vouloir, tout le monde ne l'a pas, et ceux qui l'ont, ne l'ont pas en toute circonstance.
Il faut des forces pour vouloir, des forces physiques d'abord — quand le corps lâche, le mental craque, on le sait ! — et quant aux forces mentales et morales, elles dépendent largement de l'entourage.
C'est aussi pourquoi il est inutile de vouloir récompenser ceux qui ont cette volonté — sauf à les féliciter de savoir utiliser la chance qu'ils ont d'être bien entourés...

2- Celui qui, au nom d'une rigueur prétendument logique (très à la mode de nos jours, voyez les programmes du primaire !), oublie la dimension affective de toute activité et en premier lieu de l'apprentissage.
C'est ce que dit excellemment Laurent Carle :
Pour se lancer dans une activité nouvelle, qui demande un apprentissage en simultané, puisqu’elle est nouvelle et inconnue, il faut, enfant ou adulte, avoir confiance en soi. Car il faut vaincre la peur, qui double l’incertitude sur sa capacité à venir à bout de la tâche. Comme dit Philippe Meirieu, il faut le courage des commencements. Pour avoir confiance en soi, il faut espérer réussir ce qu’on entreprend ou y être encouragé par une personne de confiance, qui vous fait confiance, sans vous juger. Il est nécessaire d’espérer pour entreprendre et de réussir pour persévérer.

La confiance en soi, — tout comme la volonté — ce n'est pas fourni à la naissance, ni par le baptême. C'est un sac de voyage où ce dont on a besoin, c'est à la fois : des savoirs, des réussites et un regard positif des autres. Mais si l'on y trouve des reproches, des appréciations négatives, des souvenirs d'ignorances (c'est le genre de souvenirs que laissent les "corrections" scolaires, en général : on se souvient qu'on a eu faux, avec une sale note, mais presque jamais de ce qu'il fallait savoir !) et des échecs, on peut dire adieu aux apprentissages, quelle qu'en soit la nature.
Il faut avoir conscience qu'on sait déjà un peu pour avoir envie d'apprendre

Si on éprouve des difficultés ou si on connait un premier échec, on n’abandonnera que si on ne perçoit aucun indice, même minime, de possibilité de surmonter l’obstacle, estimé franchissable, ou si aucun camarade, ami, pair, maitre ou expert, ne propose son aide, cognitive ou technique, à la réalisation et son soutien affectif. L’abandon n’est que le symptôme de la perte de confiance en soi et d’estime de soi, de la peur, du découragement et du désespoir. (Laurent Carle)

C'est pourquoi, il est absolument indispensable pour un enseignant d'éviter à tout prix qu'un élève puisse accumuler des mauvais résultats. C'est la clé du métier, laquelle s'actualise de deux manières :
1- Trouver, pour chaque élève, le domaine d'excellence qui est le sien — ils en ont tous un, que ce soit le rap, la manière de traire les vaches, les motos, le tricot, les insectes, les BD, ou les jeux vidéo... — et lui donner l'occasion de briller aux yeux des autres avec.
Sans doute, cela n'est-il vraiment possible que si l'on pratique une pédagogie du projet, c'est-à-dire si l'on donne l'occasion aux élèves d'utiliser en vraie grandeur - sociale — ce qu'ils apprennent. Ainsi, faire, par exemple, un exposé à toute la classe sur les meilleurs rapeurs actuels, en sachant dire pourquoi ils le sont, cela demande des savoirs très scolaires, celui d'oser parler en public, celui de parler avec seulement quelques notes pour ne rien oublier d'essentiel ; cela demande aussi d'avoir lu pas mal de critiques et de savoir se servir de ces lectures...
On ne le répètera jamais assez : ce n'est pas en évaluant avec des exercices scolaires hors situation, qu'on vérifie ce qu'on sait, c'est en l'utilisant pour de vrai !
2- Surtout cesser de chercher, chez les élèves, ce qu'ils ne savent pas, et cesser de croire qu'enseigner, ce serait leur fournir ce qui leur manque... Cette habitude de voir en négatif est une des causes majeures de l'échec de notre travail. On ne construit que sur du donné (Ph. Meirieu).
Il faut le dire et le redire : Enseigner, ce n'est pas combler des manques, c'est faire évoluer des savoirs
Cela veut dire être convaincu que toute erreur repose, non sur de la paresse ou du non-travail, mais sur un travail imparfait ou inefficace, résultant d'une ignorance des moyens de le rendre plus performant.
C'est ce travail que l'enseignant doit apprendre à repérer : quel raisonnement a conduit l'élève à l'erreur constatée, et sur quelle représentation des choses a pu reposer ce type de raisonnement. C'est cela qu'il faut faire évoluer, et non remplacer l'erreur par la "bonne réponse". L'erreur, c'est du travail.
Dans les activités d’apprentissage, les activités scolaires, donc, la paresse n’existe pas. Ce mot, impropre et indigne, devrait être interdit dans l’école. C’est peut-être le premier des interdits que l’école a oublié de «construire» (L. Carle)
Tous les enfants travaillent et aiment travailler : seuls quelques adultes éprouvent de la répugnance à cette activité !
Et si le travail des élèves les a menés à des erreurs, c'est qu'on a oublié de les aider à découvrir comment on fait pour que ce soit efficace. Ne l'oublions pas, nous ne sommes pas des enseignants de savoirs tout faits (contrairement à ce qui est dit en haut lieu), nous sommes des enseignants de la manière de construire les savoirs. Il serait temps d'orienter le projecteur là où il faut...
Mais ce qui importe avant tout, c'est que ce travail inefficace mérite d'abord du respect, tout comme celui qui l'a fourni.
Il est ignoble de dire, et plus ignoble encore d'écrire, que tel élève est "nul" ou "irrécupérable"... De ce type d'appréciations sur les livrets scolaires, leurs auteurs devraient rougir !

Et voilà que revient cette notion de respect, dont on nous rebat les oreilles en oubliant l'adjectif essentiel qui doit toujours lui être attribué : celui de mutuel, car sans cet adjectif, pas de respect du tout ! Le respect, c'est aux adultes qu'il revient d'en donner l'exemple.
Respecter le travail de l'enfant, mais aussi lui donner tous les moyens de faire qu'il soit efficace : notamment, celui de s'enrichir des idées des autres, pour les faire siennes en les transformant, et les enrichir ainsi en retour. Apprendre ne peut se faire qu'ensemble, dans une relation de coopération où tout le monde gagne.
L. Carle le dit avec force :
La formule « chacun pour soi » devrait être bannie, second « interdit » que l’école n’a pas «construit». L’entraide entre pairs, un concept parmi tant d’autres que l’école a aussi oublié de construire !!
Faire travailler en équipes, avoir un regard positif et confiant sur les élèves, respecter leur travail, respecter les sentiments qu'ils éprouvent, écouter leurs demandes et y répondre, refuser absolument de blesser ou d'humilier, rien de tout cela n'est coûteux.
Mais il faut apprendre pour savoir le faire.
D'où la formation...
Pas n'importe laquelle, une formation qui intègre ces aspects affectifs, et aussi sociaux, volontiers méprisés aujourd'hui ; une formation qui vise la maîtrise d'un métier dont la fonction est de permettre à tous de s'approprier les savoirs et non de repérer une élite, fût-elle républicaine.

Faire réussir... Dans ma longue carrière, j'ai souvent observé qu'il suffit parfois d'une seule bonne note obtenue, pour que la motivation apparaisse. La motivation de l'élève, mais aussi le regard de l'enseignant, tant il est vrai que nous sommes tous prisonniers d'a-priori scandaleux, dont nous avons intérêt à nous méfier.

L'échec, personne ne peut vraiment le supporter, un enfant moins que personne. Pour vivre avec des mauvaises notes et des blessures affectives, si on ne veut pas qu'elles vous tuent, l'unique solution est de s'en faire une fierté, une marque distinctive, voire une identité.
Et laisser un élève se construire une identité dans l'échec, c'est peut-être aussi criminel que le fusiller à bout portant.
Echec et réussite ne sont point des indicateurs de la valeur des élèves, mais la conséquence de notre travail d’enseignant.
Pour l'élève, la réussite n'est qu’un indicateur de sa chance d'être né au bon endroit.
Pour l'enseignant, c’est le sens même de son métier. On le sait bien : la société est parfaitement capable de faire réussir certains enfants sans l'aide de l'école (la plupart de nos "bons élèves" auraient réussi sans nous, et même sans école du tout !!...) Mais la majorité des autres n'a que l'école, pour s'en sortir. C'est la réussite de ceux-ci qui donne sens à notre travail : pas celle des premiers !
Contrairement à ce que racontent les médias, nous n'avons pas à transmettre les savoirs à tous, sans se préoccuper de ceux qui n'ont pas su les recevoir ; notre métier est de faire que tous aient découvert, grâce à nous, comment on fait pour réussir à se les approprier.
C'est cette réussite-là qui leur donnera l'espoir, indispensable à leurs entreprises... présentes et futures.

Et Pierre Frakowiak d'ajouter ce "complément-réponse-invitation à lire", en forme de lettre ouverte à ses collègues IEN :

La nocivité du soutien à la mode Darcos…

A tous ceux qui pensent encore et malgré tout que :

• le soutien, c’est bien, même n’importe quand, matin, midi ou soir, même quand les élèves stigmatisés, victimes du système, seront transformés en coupables au bout du compte ;
• c’est l’honneur de la République de faire du soutien gratuit qui ne lui coûte rien (avec le passage au 24 h), qui lui permet de faire des économies (en supprimant les RASED), même quand elle fait indirectement de la publicité gratuite pour les officines privées dont le chiffre d’affaires s’accroît de manière exponentielle ;
• personne n’y avait jamais pensé, même pas les inspecteurs qui sont contraints de déclarer que tout ce qu’ils ont fait et fait faire depuis 30 ans et plus, est nul ;
• il faut « au moins essayer et qu’on verra », même si l’on n’y croit pas vraiment si l’on a conscience de contribuer à l’insu de son plein gré à ancrer le néolibéralisme dans les têtes ;
• tout « ce que fait le pouvoir actuel ne peut être mauvais » — d’ailleurs Darcos, Nembrini and Co connaissent bien l’école et l’adorent — et qu’il faut bien être constructif même en prenant le risque de paraître complaisant ou complice ;
• tous les pédagogues qui le condamnent unanimement, même si certains s’emploient à détourner le dispositif, se trompent et qu’ils font de la politique alors que le pouvoir, lui, n’en fait pas et ne pense qu’à l’intérêt des élèves ;
• de toute façon, il faut obéir et qu’il est plus important d’inspecter le soutien hors temps scolaire que d’analyser les pratiques pédagogiques dans le temps de classe normal, même si l’on reconnaît dans son for très intérieur que le déni de la pédagogie, entretenu par le pouvoir, est une aberration.

A tous ceux qui n’ont pas encore compris que le soutien est une des pièces majeures du puzzle qui tente d’opacifier un projet ultra libéral autoritaire parfaitement cohérent, dangereux pour la société, je recommande vivement la lecture d’un ouvrage qui vient de sortir aux éditions La Dispute :
« Pour en finir avec les dons, le mérite, le hasard » 21 euros.
Il est publié par le GFEN, écrit par un collectif d’auteurs, de philosophes, de sociologues, de chercheurs en sciences de l’éducation, qui indiquent d’autres voies théoriques pour continuer à penser l’éducabilité du petit d’homme, les chemins de son émancipation, en reprenant le pari de l’égalité du « tous capables », et ce en d’autres termes que « l’égalité des chances » dont l’apparente générosité ne masque qu’imparfaitement la parenté avec « le chacun pour soi » libéral.
En des approches parfois renouvelées grâce à l’apport de nouvelles avancées scientifiques — comme les neurosciences — ce livre se veut combatif dans la mesure où ses auteurs prennent résolument le contre-pied de la marchandisation de l’éducation, et affirment que, pratiquement et théoriquement, il est possible de construire, avec les autres, et en particulier avec les jeunes en situation d’éducation, un rapport différent aux savoirs, un rapport à un savoir émancipateur.
Les auteurs démontent rigoureusement toutes les mécaniques qui sont mises en place :

• Celle des nouveaux vieux programmes qui atomisent et standardisent l’enseignement et qui reposent exclusivement sur le discursif et le déductif et très insuffisamment sur l’inductif et sur « les arts du faire ».
• Celle du recentrage démagogique sur les savoirs instrumentaux qui condamnent les enfants des milieux populaires en donnant l’illusion de se consacrer à l’essentiel.
• Celle du renforcement de la dépendance et du contrôle des enseignants en faisant des cadres des courroies de transmission et des contrôleurs.
• Celle de la multiplication des contraintes, des référentiels et des statistiques qui désincarnent l’acte pédagogique, qui ignore les processus.

Les auteurs démontrent magistralement que les procédures d’évaluation et de désignation des élèves à soutenir, en focalisant le regard exclusivement sur les manques pour lesquels il faut inventer des exercices de remédiation précis, mécaniques, constituent un danger et une faute.
Les catalogues du manque remplissent les représentations et discours du monde scolaire.
Les remédiations classiques, même en plus petit groupe, même dans une relation plus proche avec l’enseignant, ne peuvent pas être efficaces.
En étant d’abord une source de dévalorisation des élèves en difficulté, l’école ne peut qu’accroître les sources du décrochage scolaire et des déviances. Même si l’on s’en défend, même si on le fait avec de la sympathie, refaire en petit groupe la même chose que ce qui a échoué en grand groupe, ajouter des explications magistrales et des devoirs, ne peut en aucun cas permettre le progrès des apprentissages et de l’estime de soi.
Le seul avantage et ce n’est pas le moindre des objectifs, c’est de donner bonne conscience aux responsables : « Vous voyez bien, on a tout fait pour eux. On a ressorti les programmes de l’école des grands parents que tout le monde comprend. On a fait du soutien gratuit. Et ça ne marche pas. C’est vraiment qu’ils sont bêtes, qu’ils ne travaillent pas, que les parents n’assument pas leurs responsabilités… ».
Et voilà les dons qui surgissent, le « handicap social », le fatalisme, le mérite… Tout ce que ce livre dénonce et conteste.

La société française obéira-t-elle à un modèle de plus en plus hiérarchisé, inégalitaire, compétitif, comme l’y invitent ses élites sociales avides de l’adapter aux conditions du capitalisme financier mondialisé, ou trouvera-t-elle la force de résister au modèle dominant et d’inventer une autre manière de vivre ensemble, solidaire du destin collectif de l’humanité ? (page 91).

Les cadres n’ont peut-être pas le droit de se poser la question. Ils sont de plus en plus des exécutants et la nouvelle note de service sur les missions des inspecteurs en est une parfaite illustration. Je la pose souvent et il faut la poser à nouveau : ont-ils encore le droit de penser ? Et si oui, ont-ils le droit de ne pas confondre loyauté à la République et au peuple, et servilité à un pouvoir politicien provisoire ?
Un livre à lire absolument pour bien comprendre ce qui se passe de manière insidieuse depuis un temps certain et de manière arrogante depuis 2007, pour contribuer intelligemment à la construction d’une autre école, pour trouver des raisons d’espérer encore malgré le désastre en cours.