Je pense qu'on peut dire que c'est un livre capital, une base désormais incontournable pour tout organisme de formation d'enseignants, comme pour toute fédération de parents d'élèves.
Un livre à lire, à relire, à étudier.
Véritable livre de chevet de l'éducation, il est, pour ceux que les propos officiels désespèrent, un viatique d'espoir, une sorte de réveil des courages, une porte ouverte sur un autre avenir pour nos enfants.

Dans un style lumineux, sobre, et d'une rigueur absolue, il démonte point par point les affirmations officielles, sans l'ombre d'une polémique, et avec une honnêteté à laquelle nous ne sommes plus guère habitués aujourd'hui : pas une affirmation qui ne soit scientifiquement justifiée, pas une citation (l'ouvrage en est rempli) qui ne soit dûment référencée, pas un terme technique qui ne soit défini, précisé, analysé dans les diverses facettes de ses acceptions.
Chaque affirmation est nuancée, confrontée aux objections possibles, analysée avec une finesse qui est, en plus, un vrai régal pour l'esprit.
Mais surtout, c'est une somme : tout ce qu'il peut y avoir à savoir sur les enfants, leur histoire, leur fonctionnement, le sens que l'on a pu donner au mot EDUCATION et ce que les données de notre époque lui ont apporté de nouveau, tout est là.
On découvre, on apprend, on comprend...
Et l'on peut construire.

1- On découvre et on apprend.
D'abord l'histoire de notre connaissance de l'enfant et du regard que les adultes ont porté sur lui, depuis les temps anciens jusqu'à la la Convention Internationale des Droits de l'Enfant de novembre 1989, dont le texte est présenté, détaillé, critiqué de manière extrêmement constructive.
L'histoire de tous ceux qui ont parlé, écrit, agi pour les enfants, depuis Montaigne, J.B. de la Salle, Bossuet et Pascal, jusqu'à Freinet, Decroly et les penseurs d'aujourd'hui, en passant par Rousseau, Maria Deraisme — que les « adultes grossiers, ignorants, abrutis et barbares » scandalisaient —, Pauline Kergomard, Itard, Pestalozzi et « Henri Goldszmit, plus connu sous son nom de plume : Janusz Korczak », et beaucoup d'autres.
L'histoire aussi de l'élève et des relations qui unissent ou séparent l'élève de l'enfant.
On y apprend comment fonctionne un enfant, pourquoi il est impossible de «passer en force avec lui» et comment la Société qui est la nôtre l'a transformé, au point que la notion même d'éducation ne peut plus être la même.
On y apprend enfin tout ce que des pédagogues, des vrais, ont proposé de concret, de réel, depuis des décennies, pour une véritable éducation à l'autonomie de tous les enfants.

2- On comprend mieux.
C'est un livre phare. A sa lecture, beaucoup de choses deviennent claires, des liens de cause à effet deviennent évidents, si bien que s'ouvrent toutes sortes de pistes vers des solutions concrètes possibles à l'école, comme à la maison.
On comprend mieux pourquoi l'école ne réussit pas à tous, pourquoi elle est souvent impuissante face à la violence de certains élèves, pourquoi certains principes d'éducation sont voués à l'échec...
On comprend aussi la part de responsabilité qui est la nôtre, enseignants et parents, dans les « déviances » de nos petits, leur hyperactivité, leur manque de motivation, leur refus des règles que nous imposons au lieu de leur en faire découvrir la nécessité et les avantages.
A partir d'une formule très forte, celle de « machines à tuer le désir », les caractéristiques de notre univers sont égrenées avec une évidence quasi aveuglante : la saturation, l'inflation publicitaire, la confusion entre l'être et l'avoir, le contrôle en temps réel, la virtualisation du monde et la toute puissance de la télécommande, qui aboutit au formatage de l'image sur la pulsion.
Les pulsions, Philippe Meirieu insiste tout au long du livre, sur la nécessité d'apprendre à leur surseoir, «pour construire du désir». Distinction fondamentale et forte, qui éclaire enfin, sans polémique, les limites de l'explosion de mai 68.
Dès le préambule, la lettre adressée aux grandes personnes et intitulée : «Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? Quels enfants allons-nous laisser au monde ?», la première — et très belle — réponse qu'il propose est : «... des êtres qui puissent résister au déchaînement des pulsions qui nous menacent et y opposer une détermination sereine pour construire une paix qui ne soit pas celle des cimetières».

3- Et l'on peut construire.
De véritables objectifs éducatifs terminent l'ouvrage, clairement et rigoureusement développés, loin des savoirs prédécoupés et préemballés des « nouveaux » programmes du primaire :
* le premier, on l'a vu : apprendre à différer, avec une superbe formule : « apaiser le tyran en soi ». C'est bien l'idée-force de l'ouvrage : apprendre à surseoir, à attendre... dans un monde qui en est tout entier l'opposé.
* Entrer dans la symbolique et dans la culture... Toute la culture, le Petit Poucet et Pinocchio, les grands mythes, Mozart, Platon, et Copernic, Hérodote et Descartes, et, selon cette jolie chute de phrase : «naviguer avec Darwin aux Galapagos, tenter d'imaginer ce qui a bien pu se passer dans la tête d'Einstein, ou dans celle des maîtres zen japonais du 13ème siècle».
* Parler et penser juste : apprendre à reformuler, et dialoguer sans fin avec l'enfant. «On apprend à parler en parlant de...».
Apprendre à aller plus loin dans la précision, apprendre l'exigence de la pensée et des mots pour la dire, si peu à la mode de nos jours.
Apprendre donc à distinguer, sortir des amalgames, des à-peu-près. «Désimbriquer le savoir et le croire» et «comprendre d'abord, plutôt que réussir tout de suite».
* Apprendre à « habiter le monde ». Philippe Meirieu démontre de façon lumineuse comment l'univers dans lequel on les fait vivre sort en quelque sorte les enfants du monde. Nos enfants sont selon sa formule «mentalement kidnappés par les exploitants du virtuel». Il s'agit de «faire exister le monde pour leur permettre d'y être présents». Pour cela, le jeu — mais à condition de ne jamais le confondre avec le travail, même si celui-ci doit souvent être ludique —, et une pédagogie des projets : «Car, qu'est-ce qu'un projet ? Un jeu à l'épreuve du réel. En prise sur la temporalité : le projet prolonge une histoire et construit un avenir».
* Une éducation à la responsabilité. «Une éducation qui assume le passé, tient bon sur le présent et permet de construire l'avenir». Une éducation qui implique trois exigences, «l'écoute empathique, le rappel de la loi et la valorisation du moi»...

Et, encore une fois, tous ces objectifs sont précisés analysés, soutenus d’exemples concrets. De quoi construire, parents et enseignants, une autre école et une autre éducation...

Bref, « nous sommes embarqués, comme disait Pascal », mais après la lecture de ce livre, nous sommes désormais équipés pour partir...
Il nous suffit de l'emporter et d'en faire notre projet, tous ensemble...

4- En apéritif, avant de passer à table : un petit florilège de citations, tirées en vrac des trois cents pages du livre :

Il y en a beaucoup d'autres : ce ne sont là que quelques-unes de mes préférées...

Maria Montessori : « Que serait l'homme sans l'enfant qui l'aide à s'élever ? »
Philippe Meirieu : « Il s'agit de former des hommes debout, des êtres capables d'assumer notre histoire et de penser par eux-mêmes ».
Maria Montessori : « Aide-moi à faire tout seul ».
John Dewey : « Toute leçon doit être une réponse »
Jean Piaget : « Tout connaisseur est un constructeur »
Philippe Meirieu : « L'éducation ne tolère pas les simplifications »
Philippe Meirieu : « La véritable autorité ne se décrète pas (…). (Seul) celui qui a compétence à..., a légitimement autorité sur… »
Philippe Meirieu : « En éducation nous sommes assignés à l'invention. (...) C'est pourquoi, il faut préférer au principe dépister, contenir normaliser, le triptyque repérer, inventer, émanciper »
Philippe Meirieu : « Il ne s'agit plus d'adapter des individus au monde, mais de former des sujets capables de recréer le monde ».
Philippe Meirieu : « La culture, pour relier ce que chacun a de plus intime avec ce qu'il y a de plus universel ».
Olivier Reboul : « Qu'est-ce qui vaut la peine d'être enseigné ? Ce qui unit et ce qui libère ».
Philippe Meirieu : « Pour que les savoirs libèrent et unissent, ils doivent être enseignés comme culture, inscrits dans leur genèse. Réinvestis par chacun dans le mouvement même par lequel ils ont été construits ».
Philippe Meirieu : « Apprendre, c'est donc surseoir, assumer l'incertitude, s'engager dans une aventure largement imprévisible.»
Philippe Meirieu : «Apprendre, c'est jouir de l'exigence de comprendre.»

Merci Philippe...