La Classe de quatrième de François Marin (Quid, de François Bégaudeau ?) est tout, sauf une classe. Même pour un collège dit "sensible".
C'est un salon où l'on cause — mal — de choses et d'autres, une arène où s'affrontent deux mondes étrangers l'un à l'autre avec des maîtrises langagières opposées. Des conversations qui s'égarent constamment, pour se terminer parfois en drame.
Un lieu où l'on se livre à des activités scolaires qui n'ont ni justification, ni liens entre elles, où tout semble improvisé, où l'on confond lire et lire à haute voix, où l'on entend des sottises sur l'emploi de l'imparfait du subjonctif (1), où l'on s'occupe des "mots difficiles", sans s'occuper des textes, où l'on fait produire un "auto-portrait", sans avoir le moins du monde étudié la notion, sans un mot sur le texte descriptif et ses variations, et sans avoir rien lu d'autre que dix lignes du journal d'Anne Franck, mal lues à haute voix.
Un lieu où l'on travaille à vide. Un lieu où l'on n'est jamais en situation d'apprendre et où l'on s'aperçoit, à la fin de l'année que l'on n'a rien appris.
Et ce qui paraît le plus navrant, c'est que l'excellence du film ait pu rendre les spectateurs aussi aveugles sur les "qualités" pédagogiques de cette classe, à l'exception de quelques regards plus ouverts, comme Philippe Meirieu et quelques autres.
http://www.meirieu.com/ACTUALITE/entrelesmurs.htm

Qu'est-ce que c'est, alors, faire la classe et enseigner le français ?

Philippe Meirieu écrit :
Notre École manque de médiations : les savoirs enseignés n’ont souvent aucune saveur, pour reprendre le titre d’un beau livre récent de Jean-Pierre Astolfi (La saveur des savoirs, ESF, 2008) et les dispositifs proposés sont souvent absurdes ou obsolètes : comment mobiliser des élèves sur le travail intellectuel dans des établissements qui vivent au rythme des sonneries stridentes, d’emplois du temps absurdes, sous le signe de l’anonymat généralisé et de la déresponsabilisation permanente ?
La pédagogie est, justement, le travail sur les médiations : sur les œuvres, les savoirs et les institutions… tout ce qui permet de se mettre en jeu « à propos de quelque chose ». La pédagogie institue ce qui, à la fois, relie les êtres entre eux et leur permet de se distinguer. Elle est un travail de longue haleine sur « la table » autour de laquelle les hommes peuvent tenter des relations pacifiées en se coltinant avec des enjeux forts. Ainsi comprise, elle est peu présente dans le film
.

C'est effectivement un travail de longue haleine, qui ne peut être tout à fait le même dans un collège comme celui-là et à Janson de Sailly, et qui ne saurait être improvisé.
Au collège, comme à l'école primaire, faire la classe, c'est, d'abord, avoir bâti avec les élèves, quels qu'ils soient, sur la base du programme officiel que chaque élève doit connaître (excellente initiation à la lecture des textes de lois, dont on sait que nul ne doit les ignorer), un projet de travail d'apprentissage, solidaire, prenant appui sur les savoirs déjà-là des élèves.
Ce projet d'apprendre, on n'attend pas la fin de l'année pour en évaluer les résultats. Ceux-ci font l'objet de bilans réguliers, effectués, non par des exercices qui sont un très mauvais outil d'évaluation, mais au cours de régulations rigoureusement menées, toujours animées par les élèves à tour de rôle (le prof, étant partie prenante, ne peut jouer le rôle d'animateur), qui débouchent sur des prises de décisions concernant d'éventuelles modifications de la manière de travailler.
La classe — notamment de français — se doit d'être organisée autour de deux sortes de moments :
* des moments de pratique sociale de la communication orale et écrite, où l'on peut retrouver des débats (toujours nourris de documentation et de lectures), des échanges écrits avec divers correspondants, mais aussi des productions sociales, écriture longue de romans ou de pièces de théâtre, production d'un magazine de la classe ou participation à celui du collège ou de l'école, organisation de spectacles, participation à des actions caritatives etc...
* des moments spécifiques d'apprentissages, sur le fonctionnement de la langue, et sur le patrimoine littéraire et artistique de la France et du reste du monde, moments rigoureusement menés en direction d'objectifs précis, formulés en termes de comportements observables, seul moyen de pouvoir en évaluer sérieusement les résultats.
Ces deux sortes de moments, toujours clairement annoncés et justifiés, devraient toujours être proposés en équipes solidaires : l'objectif étant que tout le monde acquière les savoirs requis par l'Institution, et qu'une relation d'aide s'installe entre les élèves (2).
Dès l'école primaire, on devrait s'efforcer de faire apparaître, à la fois les points de convergence des différentes disciplines, et la spécificité de chacune d'entre elles, qui est d'être un point de vue précis, mais abstrait, sur la réalité du monde, qui elle ne connaît pas de "disciplines". Et au collège on ne se contente pas de lancer quelques timides "ponts" entre le français et les autres disciplines, comme dans le film, où du reste cela ne se fait même pas, mais on élabore ensemble des séances sur la transversalité, par exemple autour de notions transversales, comme expliquer, argumenter, décrire : on explique dans toutes les disciplines, mais pas de la même manière, pour chacune d'elles.
Faire la classe, c'est faire vivre et faire comprendre ce que c'est qu'apprendre, et à quoi sert le savoir.
C'est aussi parvenir à convaincre que le travail d'équipe est plus efficace que la compétition, (laquelle, dans la Société, existe en fait surtout entre équipes ou groupes, si bien que savoir travailler en équipe est nécessaire y compris pour être compétitif !).
Faire la classe, c'est faire vivre la coopération et la solidarité.

Des classes comme ça, ça n'existe pas ?
Ça a existé
, j'en ai été témoin, dans les années 70 et suivantes.
Mais ça existe peut-être encore...?
Dites-le nous, si c'est le cas : on a grand besoin de voir ça aujourd'hui !

(1) L'imparfait du subjonctif est attendu à la rigueur après un conditionnel dit "deuxième forme" (il eût fallu que je fusse en forme), et encore, à l'écrit, et dans un projet de grande élégance, — ou de grand comique —, mais jamais après un simple imparfait : l'usage est de dire "il fallait que je sois en forme".
(2) Et non du "soutien personnalisé", qui est la dernière chose dont les élèves ont besoin. La seule véritable aide, c'est celle des pairs. C'est vérifié quel que soit l'âge des personnes concernées.