Mais tout d'abord, donnons la parole à Laurent Carle qui, l'an dernier avait déjà dit sur ce sujet des choses importantes.

Le thermomètre pédagogiste. (Laurent Carle février 2009).
(...) Chez nous tout est prétexte à mesure – subjective, puisque la note est à la discrétion du notateur – à toute heure, à tout moment, à propos de tout et de rien, dès la première année d’école.
Ce qui compromet et plombe le succès des apprentissages scolaires en France, c’est-à-dire l’acquisition de compétences et de savoirs, c’est que l’on confond, avec conviction et assiduité, l’étude avec la préparation à un concours ou à un examen. Le bachotage sous forme de contrôle continu, instauré après 68, est une évaluation chronique obsessionnelle et pathologique, non des savoirs en cours d’acquisition, mais des capacités de performance de chaque élève , plus exactement de ce qui reste instantanément ou à court terme de l’enseignement magistral dispensé jour après jour.
Comme on devrait s’y attendre, les résultats moyens sont souvent, pour ne pas dire toujours, décevants. L’élève de CP, paroissien d’école à la foi naïve de charbonnier, mais pécheur pas très catholique, oscille chaque jour entre le « Bien » et le «Mal». Parfois en état de grâce, il collectionne les « bien ». Attiré par le « mal », il est déclaré « mauvais» s’il n’a pas eu un seul « bien » pendant plus d’une semaine, « en échec » si c’est pendant plus d’un mois. Insuffisamment attristé de ne pas satisfaire les attentes de la maitresse et de ses parents, non assez sanctionné d’être stoppé net dans ses apprentissages par les jugements négatifs qu’il collectionne, non suffisamment pénalisé de voir son avenir compromis, l’élève français s’entend reprocher de n’avoir pas « bien » travaillé, fautif du délit de paresse ou de parjure.
Or, ce sont ces jugements moraux, hâtifs, brutaux, systématiques, sans appel, enregistrés à l’encre rouge et collés sur le front qui font «l’échec» et le «mauvais élève».
Si les chercheurs étaient notés, sans commentaire, dès le premier jour de leurs travaux, les projets de recherche resteraient au fond des tiroirs, les vocations scientifiques seraient taries depuis quelques siècles. Sans instrument de mesure et sans unité-étalon, la note chiffrée, tout autant morale que le jugement, évalue le « devoir » et juge le « mérite ». Elle tombe sur la tête de l’élève, inéluctable et définitive comme une amende déclenchée par un éclair de radar, sur l’automobiliste en infraction.
Mais, en quoi l’élève en échec est-il fautif ? Cette culture traditionnelle de la notation a fini par changer le sens des mots. Dans l’école à la française aujourd’hui, réussir, c’est gagner, échouer, c’est perdre honteusement. Avoir de bonnes notes, c’est « bien travailler », de mauvaises notes, « mal travailler ».
Aveuglée par cette obsession collective de notation, la nation tout entière attend des maitres qu’ils commettent un abus didactique quotidien sur chaque élève, du premier septembre au 30 juin, comme si la banalisation de la note pouvait désabuser. Une notation qui s’exerce en continu sur toute activité scolaire n’a plus aucun sens et ne mesure rien, puisqu’une situation d’apprentissage ne peut pas servir simultanément d’examen d’évaluation (et vice-versa) et que la mesure d’un progrès ne peut se faire que sur un écart entre un avant et un après. Elle ne mesure rien, mais elle juge, exprimant l’omnipotence dont l’institution cannibale investit le maître.(...)
Les tests, qu’ils soient de performances ou de compétences, n’expliquent pas. Ils mesurent. Le thermomètre n’interprète pas la température qu’il affiche. Il ne nous dit rien sur le climat. Fahrenheit ou Celsius, son mercure, qui monte et descend avec le temps, constate des écarts
, (par exemple) entre la France et la Finlande. Ne nous contentons pas de regarder le doigt qui montre la lune, le mercure qui indique la température !
La notation à la française, avec les commentaires souvent ironiques qui l’accompagnent, est-elle une forme d’évaluation scientifique ou un biais historique et culturel très pénalisant ? La « France » accepterait-elle de ne pas noter ses écoliers avant l’âge de 13 ans ? On sait que les « pédagogistes » ont envahi la Finlande, qu’ils dictent la politique scolaire de son gouvernement et qu’ils en occupent les écoles. Pour le moment, les Finlandais ne sont pas tous dysphasiques, dyslexiques, hyperkinétiques, dysorthographiques, dyscalculiques, bègues, illettrés et analphabètes, mais cela ne devrait pas tarder. Que fait l’ONU ? En outre, ils parlent très bien notre langue. Ne vont-ils pas former des pédago-terroristes pour les envoyer frapper un peu partout dans notre hexagone ? Qu’attendent Le Bris, Finkielkraut et Brighelli pour inciter notre président à demander à l’ONU l’intervention de l’OTAN que la France va réintégrer ? La DGSE ne devrait-elle pas engager des agents sur place ?


Par-delà l'humour grinçant des dernières lignes, de fortes affirmations sont à retenir. Et notamment le caractère totalement dépourvu de fiabilité de cette pratique prétendument nécessaire aux parents. Comment peut-on affirmer, comme nous l'avons entendu dans les médias dans la bouche (hélas !) d'enseignants, que les notes permettent aux parents, comme aux élèves de "se situer" ?
En quoi, un thermomètre mal étalonné peut-il renseigner qui que ce soit ?
Faut-il rappeler les études de docimologie qui depuis quarante ans, démontrent que la note ne correspond à rien, que, pour une même copie, elle aurait été différente avec un autre enseignant, et tout aussi différente avec cet enseignant, s'il l'avait corrigée la veille ou à une autre heure, ou après une autre copie... ?
Mais, ce que je voudrais rappeler ici, c'est le danger de ne revendiquer qu'une suppression. L'expérience de 68 a prouvé que la suppression seule peut être infiniment dangereuse : les "lettres" mises à la place des notes se sont révélées tout aussi ridicules, tout aussi absurdes, tout aussi absurdement sélectives : les "A-"; voire "A- - " et les "B++++", ont alimenté — à juste titre, hélas — les sarcasmes des antipédagogistes.
Le danger à vouloir supprimer quelque chose, c'est ce par quoi il sera remplacé. Ou bien par rien, et alors, ce qui va manquer va entraîner de gros dommages, ou bien il va être remplacé par du pire...
Du reste, de façon générale, il faut éviter de réclamer des absences... Du positif, toujours !!!
Ce qu'il faut demander, c'est que l'école primaire pratique une évaluation réellement formative, fondée sur des critères précis, élaborés avec les élèves, convenablement présentée aux parents qui ont totalement le droit de savoir, et orientée sur des prises de décision relatives aux manières de travailler ensuite.
Faut-il redire qu'évaluer, c'est mesurer les progrès obtenus par le travail d'enseignement, et non juger les performances des élèves ? Le texte de L. C. rappelle avec netteté la différence entre les deux.

Oui, supprimons les notes à l'école primaire, qui n'en a guère besoin : leur seule justification administrative ne peut apparaître qu'à partir du collège (et encore...), mais sachons les remplacer par une évaluation digne de ce nom, qui comme chacun sait, doit être rare, précise, utile au travail à poursuivre, et de préférence... joyeuse : évaluer c'est découvrir qu'on a fait des progrès. et ça, ça fait forcément plaisir !

P.S. Si ce n'est pas ce qu'on y découvre, c'est que l'évaluation a été très mal conçue et très mal placée