EVALUATIONS NATIONALES : TROP DE QUESTIONS SANS RÉPONSES, par Sylvain Grandserre, Maître d'école - Porte-parole de l'appel des 200 maîtres contre les évaluations nationales...

Les inspecteurs de circonscription du primaire adressent aux écoles les premières informations relatives aux prochaines évaluations nationales de CM2 prévues en janvier 2011. Il s'agit du calendrier des différentes étapes : passation des épreuves, saisie des résultats, transmission des informations aux parents puis à l'administration.
Mais, ne manquerait-il pas l'essentiel ?
1/ Pourquoi s'entêter, quand ça n'a aucun sens, à faire passer des évaluations à cette période ? En effet, les élèves auront repris depuis peu, après des vacances connues pour être particulièrement fatigantes (surtout avec une reprise dès le 3 janvier !). Quant aux parents, ils auront pour beaucoup déjà reçu un bilan du 1er trimestre.


Effectivement, la date est ridicule et indéfendable. Aucune information ne peut sortir de là, si ce n'est une série d'étiquettes sur la tête des élèves, dont le seul résultat, comme le souligne Sylvain, sera d'avoir rendu pérenne, avec tous les dangers que cela comporte, un état donné de leurs souvenirs, au retour de ces fatigantes vacances.

2/ Qui en a besoin ? Ces évaluations sont beaucoup trop tardives pour être un diagnostic et bien trop précoces pour établir un bilan.

Si leur fonction est celle d'un diagnostic, elles ne peuvent être nationales. Seul l'enseignant peut les mener en s'appuyant sur ce qu'il sait de ses élèves et de ce qu'ils ont fait l'année précédente. Aucune épreuve imposée n'a sa place dans un tel projet. Ces évaluations ne peuvent donc en aucun cas être investies de cette fonction si ce n'est par des personnes ignorant tout de ce qu'est le métier d'enseignant.
Quant à la fonction de bilan, elle est in-envisageable quand il reste encore cinq mois de classe. A cette date, seule une évaluation formative peut être menée, — de façon évidemment locale : une évaluation formative est impossible de façon nationale, puisqu'elle repose sur ce qui a été effectivement travaillé, qu'elle s'accompagne d'une régulation collective analysant la manière dont le travail a été conduit et qu'elle est suivie d'une prise de décision sur la manière de poursuivre ce travail.

4/ Va-t-on encore devoir évaluer les élèves sur des notions non étudiées ? S'il nous est répondu que toutes les compétences relèvent du CM1, alors pourquoi attendre pareille période ?

Question imparable. A laquelle on peut ajouter que contrôler les connaissances de l'an passé renvoie à une conception "empilatrice" des connaissances, dénoncée par tous les chercheurs depuis quarante ans. Les connaissances ne se stockent pas et l'on ne sait vraiment que ce qu'on utilise et au moment où on l'utilise. On ne contrôle pas les connaissances comme les billets de chemin de fer.

5/ Quelle fiabilité accordée à ces évaluations ? En plus d'être inexploitables, on sait qu'elles ont provoqué dans les classes concernées des réactions révélatrices du malaise ambiant : bachotage, révisions très ciblées à la maison, exercices proposés une première fois à blanc, réponses au tableau en QCM, correction très avantageuse, temps imparti dépassé, etc.

En effet, non seulement, on ne contrôle pas les connaissances comme les bagages des passagers, mais le fait d'effectuer ce contrôle produit des effets pervers souvent catastrophiques, évoqués ici par Sylvain, sans oublier toutes les conséquences de "l'effet Pygmalion", que cette opération entraîne et qui risque d'handicaper la suite du travail d'apprentissage. Les évaluations ne sont jamais innocentes, c'est pour cela qu'elles doivent être rares, et parfaitement conçues pour être adaptées aux élèves hic et nunc.

De plus, l'an dernier, le ministère avait finalement avoué avoir dû procéder à une « correction statistique » des résultats (bonjour la valeur scientifique !) car les épreuves avaient été rendues difficiles pour voir jusqu'où on pouvait pousser les meilleurs (les élèves en difficulté ne lui disent pas merci...).

Magnifique rappel, qui enfonce encore le clou de la stupidité dangereuse d'un tel dispositif.

6/ Quelle utilisation sera faite des chiffres collectés ? On voit qu'en Angleterre, la question du boycott est également posée, avec d'autant plus d'urgence que des écoles aux performances insatisfaisantes sont menacées de fermeture.
7/ Quelles garanties a-t-on sur les risques de comparaison, de mise en concurrence, de classements d'école (mince, j'ai donné la réponse à la question précédente, désolé !) ?

Eh oui, Sylvain a donné la réponse tellement évidente, qu'on ne comprend pas pourquoi le peuple tout entier ne se lève pas contre cette abomination.
Bien sûr que le vrai but est de donner aux parents — qui le pourront — une pseudo-liberté de choisir la "bonne" école pour leur rejeton... sans voir que, le sens de l'adjectif "bon" n'ayant jamais été élucidé, la prétendue connaissance qu'ils croient en avoir reçue n'est qu'un leurre, et qu'ils se font avoir comme au coin du bois.
Ce qui, au demeurant sera sans conséquences, attendu que le rejeton en question, de par son environnement, s'en sortira toujours — bien sûr si celui-ci est affectivement positif ; mais s'il ne l'est pas, les résultats seront les mêmes, ni pires, ni meilleurs.

8/ Enfin, si ces évaluations font partie du service obligatoire, pourquoi alors récompenser ceux qui les font passer par une prime ?

Parce que le Pouvoir considère les enseignants comme des veaux infantiles, qui marchent à la récompense. S'ils étaient tant soit peu adultes, une telle "récompense", carotte devant des ânes pour les faire marcher, les révolterait.
J'espère, de tout mon cœur, que personne ne l'acceptera... Le contraire serait désolant.

Le ministère avait prétendu vouloir laisser la porte ouverte à d'autres propositions. Dès lors, la reconduite à l'identique de ces évaluations serait d'autant plus regrettable que de nombreuses voix se sont fait entendre ces deux dernières années (enseignants, parents, formateurs, universitaires), non seulement pour condamner l'absurdité de ce dispositif,

A l'identique ou non, une telle évaluation est une catastrophe pour les enfants, — je dis bien pour tous les enfants, ceux qui vont la réussir comme ceux qui vont la rater : ceux-ci vont en subir les effets désastreux, non seulement sur l'image qu'ils ont d'eux mêmes, mais sur l'image que les enseignants et les parents auront d'eux. Et cette image négative installera définitivement les conditions de leur échec futur.
Quant à l'image prétendument positive des premiers, son caractère fallacieux ne peut que leur nuire.

Mais aussi pour réclamer des outils d'évaluation au service de la réussite des élèves. Est-ce vraiment trop demander ?

Bien sûr que c'est trop demander : nos décideurs ignorent tout de la différence entre évaluation formative et sommative. Ils ignorent que la sommative dont la fonction est d'être certificative, n'a pas sa place en cours d'année, ni de façon générale à l'école primaire.
Ils ignorent qu'une évaluation de niveau national n'a sa place qu'en fin de parcours. Son unique rôle est en effet de certifier que les candidats ont bien les connaissances nécessaires pour faire ce qu'il s'apprêtent à faire : se lancer dans un cycle d'études différent, ou exercer une profession.
Mais tant que les élèves sont en train d'apprendre, on ne peut envisager que des évaluations formatives, incluses dans le travail d'enseignement et soumises à l'entière responsabilité des enseignants.

On n'a pas le droit de laisser faire une chose aussi dangereuse.
Pour l'avenir de nos enfants, et pour les collègues qui font ce qu'ils peuvent, dans une conjoncture détestable, pour faire quand même du bon travail, ouvert et soucieux de la personne de chaque enfant, il faut se réveiller. Il faut que tous les CM2 de France et de Navarre boycottent ces évaluations. Ne l'oubliez pas : c'est l'union et le nombre qui protègera les désobéisseurs.
Il faut expliquer aux parents pourquoi on doit faire cela et, avec eux, remplir les formulaires (c'est bien cela qui est demandé), en mettant le maximum à tous.
C'est ainsi qu'il faut agir dans un pays policier qui guette les occasions de sanctions.
Mais surtout, ne pas les faire passer aux enfants : personne n'a de temps à perdre à faire une chose compliquée, pleine d'erreurs de contenus en plus, inutile et dangereuse, qui consomme un temps précieux, indispensable si l'on veut aider tous les enfants à réussir.
Croyez-moi : les enfants sont plus importants que les ukases ministériels.

Je souhaite à tous les meilleures fêtes de fin d'année possibles et mon vœu le plus cher, pour nos petits, est que ces évaluations soient saluées d'un boycott franc et massif, qui ouvrira la porte d'un espoir dont nous avons tous fichtrement besoin !