Voici le premier de ces commentaires :
Je serais plutôt du même avis qu'Eveline Charmeux sur la question de la lecture.
Je sais par expérience que le déchiffrage ne mène jamais à la lecture. Je dirais même qu'il lui est nuisible la plupart du temps parce qu'il empêche le nécessaire travail d 'élaboration du sens qui doit accompagner l'acte de lire. Si mon objectif est de découvrir la part d'inconnu d'un texte, le recours systématique de quelques élèves au déchiffrage ruine à proprement parler un travail très intéressant qui consiste à formuler des hypothèses, à tâtonner, à élucider au fil des rencontres le Sens qui ne s'offre pas tout de suite. Il est donc non seulement inutile mais préjudiciable à la lecture qu'un enfant de cours préparatoire soit en mesure de tout déchiffrer. A moins que votre objectif final soit d'alphabétiser, non de former des lecteurs.
En fait l'illettrisme qui frappe notre école en particulier et la société dans son ensemble d'une manière générale, est la conséquence d'une politique d'alphabétisation qui remonte à l'invention de l'école publique par Jules Ferry. Cet état de fait que tout le monde déplore est cohérent avec la conception qu'ont de la lecture les ministres qui se succèdent à l'éducation nationale, les partisans du cognitivisme — qui triomphent aujourd'hui — et la plupart de ceux dont la voix se fait le plus entendre aujourd'hui en matière de pédagogie de la lecture.
Et quand pour couronner le tout cette voix rencontre celle de l'Opinion la plus répandue, qu'il faudrait revenir aux bonnes vieilles méthodes d'antan qui "auraient fait leur preuve", qui préconise le retour en force des méthodes syllabiques...nous avons les résultats que nous connaissons. Quels sont-ils ?
20 pour 100 seulement des élèves accédant en sixième possédant des compétences dites "remarquables" en lecture, c'est-à-dire capables d'accéder à l'implicite d'un texte, de comprendre l'intention de l'auteur et d'établir des relations avec d'autres textes traitant du même sujet.
30 pour 100 environ capables de comprendre ce qui est dit de manière explicite dans un texte, sans toutefois vraiment appréhender l'intention de l'auteur et sans pouvoir effectuer la mise en réseau avec d'autres écrits.
Le reste, environ 50 pour 100 des élèves ne possédant aucune compétence en matière de lecture ou alors quelques compétences de base, rudimentaires, celles qu'autorise une appréhension alphabétique de l'écrit.
Le retour en force des méthodes syllabiques que préconise la hiérarchie actuelle, "l'excommunion" des partisans de la voie directe qui proposent pourtant la réflexion la plus riche et la plus intéressante sur la question de la lecture...Voilà qui augure mal de l'avenir.
L'illettrisme a encore un bel avenir qui s'offre à lui.


Je suis convaincue, qu'à la lecture de ces lignes, plus d'un collègue ou parent a dû objecter immédiatement quelque chose comme "Oui, mais vous parlez là d'une lecture de lettrés, littéraire et universitaire... Au CP, on n'en est pas là : on apprend à lire et pour cela il faut du simple, comme le disent sagement les (merveilleux) nouveaux programmes 2008."
Sans revenir sur l'évidente confusion soigneusement entretenue entre "simple" et "facile" (le simple est toujours difficile puisque abstrait), je voudrais rappeler quelques données essentielles des opérations mentales par lesquelles le sens peut être construit, qu'il s'agisse d'écrits littéraires ou non.
Lorsque vous voyez sur un panneau de la route :
Bruguières 1
Fronton 15
vous n'allez pas, contrairement à cette petite fille de CE1, toute fière de connaître les règles d'accord du nom, vous étonner de voir que Bruguières puisse avoir un "s" final, alors qu'il n'y en a qu'un, tandis que Fronton qui en a quinze n'a aucune marque de pluriel...!
En fait, vous avez interprété les données écrites sur ce panneau AUTREMENT : vous avez reconnu des noms de villes (rien ne le précise) et vous savez que les chiffres ici indiqués ne sont point données de quantités, mais informent sur une distance en km, à partir du panneau. Or, rien de cela n'est écrit. Si vous avez pu comprendre, c'est que vous avez pensé à mettre en relation ce que vous voyez écrit, avec ce que vous savez par ailleurs et qui n'est pas spécifié.
Toute lecture consiste à mettre en relation ce qu'on voit et ce qu'on sait.
Pas besoin d'être dans la littérature pour être confronté à cette nécessité.
N'importe quel manuel scolaire exige pour être compris que l'on soit capable de trier parmi toutes les informations d'une page, celles qui présentent l'essentiel de la leçon (et qui s'adressent à l'élève), celles qui ajoutent un exemple pour illustrer, et celles qui s'adressent uniquement au professeur... Où les élèves ont-ils appris cela ? Pas étonnant qu'ils se servent si peu de ces manuels...
Je me suis amusée, jadis (c'était en 1985) à commenter une des plus belles UNES du journal Libération, celle qui annonçait la mort de Simone Signoret.
http://www.charmeux.fr/apprlire2.html



Même si je veux bien admettre que la manière d'annoncer cet événement, dont l'implicite atteint un degré très élevé, n'est pas forcément accessible à tous, il n'en reste pas moins qu'interpréter une UNE de journal, quel qu'il soit, exige que l'on comprenne des données qui ne sont pas écrites. Sans un raisonnement par inférence, il est impossible de distinguer les informations concernant le journal (son titre, sa date de parution, son directeur etc. ), des informations concernant les événements relatés du jour. Il faut aussi savoir que les rubriques de cette une ne sont que des titres ou des débuts d'articles dont il faut chercher la suite ailleurs dans le journal, comprendre et situer les encadrés... Rien de tout cela n'est explicite.
Et chacun se souvient du sketch de Dany Boon sur la lecture qui mettait en scène un lecteur à qui on n'avait pas dit que la ligne ne se continue pas sur la page d'à côté, mais sur la ligne en dessous...
Apprendre, c'est découvrir que rien jamais n'est évident, qu'il faut se méfier de la première impression, qui repose toujours sur des routines de pensée qu'il faut secouer pour aller au-delà. Le "doute méthodique", cher à Descartes, et qui se confond largement avec ce qu'on appelle l'esprit scientifique, est indispensable. Où l'on voit que la rigueur est tout le contraire des certitudes.
Lire est une activité de doutes.
Pour comprendre, il faut chercher d'autres indices que ceux qui sont apparus d'abord, aller plus loin et raisonner par inférence, même pour les écrits les plus anodins en apparence.
Il n'y a pas de mécanisme de lecture : toute lecture est d'abord raisonnement et intelligence critique.
Il importe que les enfants aient appris à se méfier de ce qu'ils croient comprendre...
Tout ce que nous disons là est exactement à l'opposé des objectifs de toute méthode de lecture, et notamment des méthodes syllabiques, qui visent le mise en place d'un mécanisme qui aborde les textes de façon linéaire, en comprenant au fur et à mesure, mot après mot, sans qu'intervienne le moindre raisonnement, notamment critique.
Avec nos dirigeants, si accrochés aux résultats, les propos de notre correspondant devraient pourtant les faire réfléchir : les résultats qu'il donne sont ceux que l'on observait déjà dans les années 60 à une époque où l'immense majorité des méthodes au CP étaient syllabiques.... et qui furent à l'origine des travaux officiels de rénovation de l'enseignement de la lecture, dont les conclusions furent aussitôt mises à la poubelle de par la volonté de Monsieur Pompidou. Il faudrait peut-être se décider à réveiller quelques connaissances historiques...

Personnellement, j'aime beaucoup également le second commentaire de notre correspondant :
Si l'Opinion d'une manière quasiment générale croit vraiment aux vertus des méthodes syllabiques et apparentées, c'est qu'elle a la plupart du temps l'impression d'avoir appris à lire de cette manière-là, même des enseignants sont persuadés qu'on peut y arriver ainsi.
Ce qu'on doit bien comprendre c'est qu'aucune méthode, même la pire, ne pourrait empêcher un enfant de lire
(du moins certains... note d'Eveline). Nous avons en face de nous des enfants naturellement intelligents et curieux, ou bénéficiant de conditions socioculturelles favorables... qui vont malgré tout développer des stratégies particulières très efficaces pour accéder au sens. Ce sont d'une certaine façon ces élèves désobéissants, qui ne découvrent pas les syllabes lettre après lettre, et les mots syllabe après syllabe comme le demande l'enseignant, ce sont donc ces élèves-là qui accèdent à la vraie lecture et aux horizons qu'elle ouvre. Les plus dociles mourront de toute façon d'ennui, seront dégoûtés à jamais de l'écrit. Et il sera plus que jamais nécessaire, mais à mon sens bien inutile, de recourir à toute une armée de spécialistes qui se feront un plaisir de se mettre au chevet de tous ces malades que fabriquent le système scolaire et sa manière de considérer le problème de la lecture...

Je crois que ce second commentaire se suffit à lui-même...
Comment sortir de ce guêpier, de ce cercle trop caressé et devenu tellement vicieux ?
Si les bons lecteurs se doivent d'être désobéissants, les bons enseignants le doivent aussi. Les propositions constructives et concrètes existent : il n'y a qu'à se servir.
Qu'attend-on pour donner à tous nos gamins ce formidable outil de liberté qu'est la lecture, la vraie, celle dont les programmes 2008 ne disent rien, celle qui ouvre les yeux et fait réfléchir même quand elle distrait, celle dont tous les pouvoirs partout dans le monde essaient de limiter la diffusion, voire de l'interdire, celle dont la maîtrise par tous est l'indicateur n°1 de la démocratie...?
Il serait temps, non ???