Donner plus à ceux qui ont moins : tout, dans cette formule, est à revoir.
Donner : je sais bien qu'on vit en un temps où ce verbe est constant : on donne à tour de bras, tous les jours, et pour tout, et chacun de s'esbaudir devant tous ces dons. Je persiste à penser qu'un système politique et social qui a besoin des "dons" des particuliers est un système bien peu démocratique. Une démocratie, en effet, n'invite pas à "faire des dons", mais à "payer ses impôts". Et lorsque j'entends vitupérer tous ceux qui râlent contre leurs impôts en versant une larme attendrie devant les dons offerts, je suis scandalisée qu'ils aient oublié à ce point la signification des impôts, un des symboles forts de la démocratie. Les impôts ne sont pas une contrainte insupportable, c'est une participation, solidaire, au confort et à la sécurité du vivre ensemble, qui donne tout son sens à la devise républicaine. Un don, au contraire, n'est qu'un appel personnel à une récompense, divine ou non, qui ne mérite guère d'admiration !
En tout cas, une chose est certaine, pour l'école, le verbe "donner" est inapproprié : celle-ci n'a pas à DONNER, elle a à RENDRE DISPONIBLE, et pour tous. Cela n'a rien à voir.

Plus : comme d'habitude on confond "plus" avec "mieux". Plus de quoi ? D'argent ? On sait bien que ça ne changera pas grand-chose aux erreurs enseignées ni à l'inadaptation injuste des manières de le faire.

Ceux qui ont moins : moins de quoi ? Et pourquoi ? Surtout, pourquoi en faire une catégorie à part ? Ne voit-on pas que c'est là une forme de discrimination, positive peut-être, (quoique...), mais discrimination tout de même, dont les résultats ne se sont pas fait attendre : je me souviens qu'au moment où furent créées les zones d'éducation prioritaires — que nous avons été plus d'un à déplorer ! — certains quartier ou zones ainsi définies ont formulé au bout de quelque temps, des demandes de dispense, parce que ces endroits voyaient le prix de leurs terrains baisser et le quartier se transformer insidieusement en ghetto... Quant aux efforts des enseignants merveilleux qui s'y sont dévoués, corps et âmes souvent, ils n'ont que rarement eu le résultat mérité. Depuis des années, les recherches américaines ont démontré l'inutilité, voire la nocivité, des pédagogies de "compensation" et de soutien.
Toute discrimination est dangereuse, même prétendument positive : elle colle une étiquette sur le discriminé qui le dévalorise et l'infériorise. On connait cet effet depuis longtemps sous le nom "d'effet Pygmalion".

Ce danger, on le trouve encore dans la plupart des dispositifs de lutte contre l'échec scolaire, apparemment intelligents, mais pollués par une interprétation discriminante. Par exemple, celui d'une "différenciation" mal comprise de la pédagogie : ce n'est pas la manière d'enseigner qui doit être différente d'un élève à l'autre, c'est le regard, les attentes et les évaluations. Donner du plus facile aux élèves en difficulté c'est fausser le signification du travail (comme si l'essentiel était de réussir l'activité !), et en plus, cela démultiplie les difficultés, par la honte d'être considéré comme inférieur.
Celui aussi des "dispositifs d'aide personnalisée" officiels : ici, l'erreur est double :
* Être mis, sans l'avoir demandé, dans un groupe dit "en difficulté", c'est être mis à l'écart des autres, c'est toujours humiliant, et cela handicape lourdement le désir de progresser.
* Pour un enfant, comme pour un ado, les pairs sont une aide infiniment plus efficace que les adultes : c'est démontré depuis des lustres et la plupart des enseignants l'ont vérifié dans leur classe.

Surtout, il faut en finir avec ce regard négatif qu'on a depuis toujours sur les élèves, ce regard que Courteline prêtait aux femmes en déclarant : "les femmes ne voient jamais ce qu'on fait pour elles ; elles ne voient que ce qu'on ne fait pas !".
A mon avis, cela ne caractérise pas que les femmes, mais une bonne partie de l'humanité, et principalement les enseignants.
Il faudrait cesser de chercher ce qui ne va pas chez les élèves, cesser de caractériser leurs "fautes", cesser d'en faire des typologies, dont les auteurs évoquent plus les noms ronflants des médecins de Molière que des chercheurs soucieux d'aider les élèves à réussir.

Il faut se décider à braquer les projecteurs sur ce que SAVENT les élèves, y compris sur ce qui paraît être une erreur, mais qui n'est qu'un savoir imparfait : quand c'est le cas, ce qu'on a à faire, au lieu de corriger (le vilain mot !), c'est de faire évoluer ce savoir. Certes, ce qu'on trouve alors est différent d'un élève à l'autre, et donc fort lourd, mais dès qu'on les invite à mettre en commun ces différences, elles se mélangent et enrichissent tout le monde.
Et c'est aussi pour cela qu'il faut supprimer les notes en classe, non seulement, parce qu'elles sont n'importe quoi, ne correspondant à rien d'objectif, mais parce qu'elles placent les élèves sur la même aune, et que c'est impossible avec des êtres humains.

Ce qu'on attend, en lieu et place de cette formule prétendument charitable, ce qu'on espérait en 81, et qui fut le début d'une longue séries de déceptions, c'est de faire en sorte que l'école soit le lieu où TOUS LES ÉLÈVES vivent la richesse d'expériences et de culture que la famille offre à quelques-uns.
Un lieu où les richesses des uns et des autres sont mises à la disposition de tous.
Un lieu où les différences de milieux familiaux cessent d'être jugées en termes de "plus" ou "moins", mais en termes de différences, tous également susceptibles d'apporter des savoirs au groupe classe, dont l'hétérogénéïté est un atout à exploiter, et non une gêne.
C'est en mettant tous les élèves à apprendre ensemble, à travailler en petits groupes hétérogènes, qu'on luttera contre l'injustice qui fait de la précarité sociale, la première cause d'échec scolaire, alors qu'aucune fatalité ne lie ces deux faits. Et cela sans se préoccuper des "niveaux" : c'est une notion qui disparaît dès qu'on fait travailler les élèves en groupes solidaires où tout se partage, les expériences, les erreurs de chacun, et les apports de chaque famille, quelle qu'elle soit.
Qu'on ne dise pas que c'est de l'utopie : il suffirait de former tous les enseignants au travail de groupe — au véritable travail de groupe, et non à " mettre les élèves en groupes" pour faire individuellement les exercices habituels — qui est ce que je vois dans tant de classes dont l'enseignant affirme que "ça ne marche pas, le travail de groupe " (normal : ce qu'il font n'en est pas !). Il suffirait aussi de les inviter officiellement à travailler eux-mêmes en équipes, pluri-disciplinaires et pluri-statutaires, en favorisant ces rapprochements avec l'aide des mouvements pédagogiques qui devraient participer à la formation, dans et avec les ESPÉ...
Oui cela serait suffisant pour que beaucoup de choses changent presqu'automatiquement dans les classes.
Des moyens ? Ils sont en place. Il ne manque que la volonté politique...

C'est beaucoup ? N'oubliez pas la force de l'indignation, répondrait Stéphane.
Alors, ce que je souhaite à tous, c'est une année d'indignations collectives, audacieuses et efficaces, pour qu'on cesse de vouloir donner plus à ceux qui ont moins, mais qu'on mette enfin le maximum à la disposition de TOUS !