Ce qu'on appelle "le code", d'un terme à mon avis très mal choisi, recouvre deux "choses", assez mal définies — en fait, deux affirmations posées a-priori :
* la relation lettres-sons — ce que les spécialistes nomment "les unités de seconde articulation du langage"(1) — qui serait la "base" incontournable de l'écrit (ce qu'il est, de quoi il est constitué, etc.), et ce par quoi il faudrait commencer l'apprentissage ;
* les besoins d'apprentissage que cette "base" exigerait des enfants : acquérir le "principe alphabétique" pour les lettres, et la "conscience phonologique" pour les sons, baptisés alors "phonèmes" sans que la différence (énorme) qui sépare les deux mot ne soit évoquée le moins du monde.

Mais bien avant que le linguiste ne fasse cette découverte, l'analyse existait, sous une forme non théorisée, simplette, selon laquelle la langue serait constituée de mots, découpés en syllabes, elles-mêmes constituées de "sons" que traduisent, à l'écrit, des signes graphiques, appelés "lettres", associés chacune à l'un des "sons" repérés dans ces syllabes.
Pour entrer dans ce système, la logique pose, comme une évidence, de partir des derniers éléments analysés pour "remonter" de façon rigoureuse cette chaîne d'analyse.
Mais cette entrée, très abstraite, étant fort difficile pour les petits, il importe de trouver des moyens de la rendre moins abstraite, et aussi amusante que possible.

La rigueur logique ide ce raisonnement est incontestable. D'où son succès. Et les conséquences qui s'ensuivent deviennent évidentes : pour permettre cet apprentissage si difficile, il est indispensable d'inventer des outils, qualifiés de "pédagogiques", conçus pour concrétiser cette abstraction, et en rendre l'accès amusant, puisque les enfants doivent y entrer coûte que coûte.
Du point de vue socio-économique, cette nécessité n'est pas sans avantages substantiels : c'est un superbe filon financier, créateur d'emplois, et particulièrement rentable en termes de profits : les enfants sont nombreux et il faut de ces outils pour chacun d'eux, voire également pour les parents.
Autant de raisons de ne surtout pas aller plus loin dans l'analyse.

D'où la violence des réactions contre tous ceux qui ont voulu pousser l'analyse un peu plus loin.

Pourquoi, précisément, vouloir pousser l'analyse plus loin ?

Parce que que, dans cette logique rigoureuse, il manque un certain nombre de données, maintes fois évoquées déjà, y compris sur ce blog.
1- L'enfant, d'abord, qui, en tant que "personne" doit faire l'objet d'un minimum de respect et que nul n'a le pouvoir de contraindre à apprendre.
Vous me direz qu'on le fait très bien quand même et qu'ils n'en meurent pas apparemment... Affirmation pas si évidente que cela... Mais c'est-là un autre problème.

2- Le caractère discutable moralement de la solution officielle, consistant à fabriquer des outils "amusants", sorte de "manipulation-dorage de pilule", peu propice, qui plus est, à faire aimer cette activité, alors que c'est l'objectif affiché sans état d'âme...

3- Ensuite, parce que la description de l'écrit, qui sert de présupposé à cette théorie, présente des lacunes vertigineuses et des erreurs, qui la récusent complètement aux yeux des chercheurs : la relation lettres-sons n'est ni la base, ni l'unique porte d'entrée dans le monde de l'écrit. Lire étant une situation de communication particulière, fort différente de la communication directe de l'oral, la langue utilisée, est pour les enfants quasi étrangère, ayant très peu de points communs avec celle qu'on parle : les raisons sont nombreuses.
Comme il n'y a pas le feed-back direct de l'oral, le lecteur a besoin de trouver beaucoup plus d'informations pour comprendre ce dont il s'agit, avec les liens qui les unissent. C'est pourquoi, le discours doit être réorganisé, non de façon chronologique comme à l'oral, mais de façon logique, avec un regroupement des informations, ce qui entraîne des phrases complexes, quasi inconnues à l'oral.
D'autre part, lire étant une activité fatigante, il faut autant que possible écrire court, si l'on tient à être lu. Cela implique des choix langagiers différents, lexicaux et syntaxiques, permettant de dire beaucoup en peu de mots, jamais utilisés à l'oral puisque non nécessaires alors.
Autre différence : le fait de transformer des signes sonores, en signes perçus par les yeux, bouleverse tout le système des repères de compréhension, déplaçant, par exemple, les indices importants en fin de mots, alors qu'à l'oral ils sont au début de ceux-ci. Cela donne une allure extrêmement différente des habitudes parlées, aux messages transmis, allure évidemment étrangère pour une bonne part au vécu des enfants, qu'ils doivent donc découvrir très tôt.
Le credo, constamment invoqué, selon lequel les enfants devraient apprendre à lire sur des phrases et des textes proches du langage de l'enfant, est un contresens total : ce qui doit être "proche des enfants", ce n'est pas le langage, puisqu'ils sont en train d'en apprendre un nouveau, c'est, comme toujours, le VÉCU. Il faut que les petits retrouvent leur propre vécu dans ce qu'ils ont à apprendre ! D'où la nécessité de leur proposer des écrits dont ils ont déjà une petite connaissance, parce qu'il les ont vus et/ou entendus chez eux ou autour d'eux.

Quelle est, alors la place de cette relation lettres-sons ? A quoi peut-elle servir pour l'enfant ?

Un constat d'abord : quels que soient les exemples choisis, pour rechercher quels "sons" correspondent aux lettres de l'alphabet, c'est une une pluralité, souvent importante, que l'on découvre :
1- la lettre "a" : elle est présente dans une banane un pays une auto, le lait, le paon, le chant. Pour une seule lettre, cela fait beaucoup de sons différemment entendus.
2- une consonne ? La lettre "m" : elle apparaît dans les mots suivants : moi, l'automne, le champ, tomber, la faim, l'adjectif humble.. Difficile de dire quel serait LE son de chacune de ces deux lettres !
Et si l'on continue tout l'alphabet, on verra que toutes correspondent au moins à deux "sons"

Même pluralité si l'on part des "sons" : par exemple le son [o] : on l'entend dans une photo, le côté, une auto, la beauté, l'horizon, un hôtel, un heaume, la hauteur. Un joli cocktail de graphies !

Même si des coupeurs de cheveux en quatorze objectent que le "h" joue un autre rôle, les accents aussi, la réponse est évidente : ils jouent en effet un rôle de marque orthographique, distinctive de signification. Mais cela ne retire rien (sauf à compliquer les choses de manière insensée), au fait que, pour parler en termes de "spécialiste", le graphème du son [o], est bien "ô" dans côté, et "hô" dans hôtel, même si l'accent circonflexe a pour rôle supplémentaire de favoriser la distinction entre "côté" et "coté".

Mais, en même temps, si l'on se donne la peine de chercher, on s'apercevra que l'on ne voit jamais la lettre "s" associée au son "[p], ni la lettre "a" associée au son [y]... Il y a des règles "arbitraires" à ces associations, qui n'obéissent pas à la logique. C'est normal : le langage est un système dont la logique est interne : grand-papa Saussure l'a fort bien expliqué.

Pour l'enfant qui apprend à lire, à quoi cela peut-il servir ?

Il faut bien admettre que, pour la lecture, activité reposant sur des perceptions visuelles, elle ne joue strictement aucun rôle.
C'est pour la connaissance du fonctionnement de la langue, qu'elle est importante, notamment pour repérer en quoi oral et écrit sont bien à la fois la même langue, capable de dire exactement la même chose à l'écrit et à l'oral, mais sous des formes langagières différentes. Car c'est le sens des messages que l'écrit traduit et non ce qu'on entend quand on les reçoit.
En fait, c'est pour découvrir l'orthographe, qu'il est important de travailler sur ce point. La cause en est cette particularité française que les lettres les plus importantes sont celles qui ne correspondant pas à des sons, — dont on dit bêtement qu'elles sont "muettes", comme si les autres parlaient ! — c'est-à-dire les marques orthographiques. A noter que les méthodes et autres pratiques officiellement conseillées, les qualifient de "lettres en trop", et les camouflent : information précieuse pour comprendre l'importance de l'orthographe, tant en lecture qu'en écriture !!
Deux exemples de cette importance :
1- Les célèbres vers de Leconte de Liste :

Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.


On comprend de travers si on ne fait pas attention à la lettre finale de "connus"

2- Une anecdote, vécue dans un CP amiénois, où, à propos de la voyelle nasale [an], la maîtresse qui demandait des mots où l'on entend cette voyelle, a obtenu , comme première réponse , " Laon, la ville !". Il est vrai qu'un panneau en indiquait la direction tout près de l'école, et que la ville était bien connue de plusieurs enfants. C'est ainsi que, pour cette classe, la première graphie de ce son fut "aon".
Par la suite, les enfants furent un peu déçus de voir qu'ils ne rencontraient aucun autre mot écrit ainsi. Ils allèrent alors, sur le conseil de l'enseignante, demander aux grands du CM2, de chercher dans le dictionnaire s'il y en avait d'autres : aidés par le maître qui indiqua gentiment où l'on pouvait les trouver, ils revinrent tout heureux et tout fiers d'avoir trouvé les trois mots français ayant l'originalité de s'écrire ainsi : le faon, le paon et le taon !
Personnellement, c'est comme ça que je vois la relation lettres/sons !!

Donc il va de soi qu'on doit aussi travailler cet aspect, comme les autres, ni plus ni moins, mais qu'on va le faire avec comme objectif de créer, non un savoir, mais un besoin de documentation et le fameux doute, cher à Descartes, qui pousse à vérifier ce qu'on croit.
Pour cela, il faut observer les écrits, pour dégager des bouts de règles, forcément provisoires, comme c'est le cas dans d'autres domaines, la botanique et les sciences de la nature. On va procéder à des prélèvements d'échantillons pris dans les textes qui ont été lus, pour constituer des familles, que l'on enrichit au gré des rencontres.
Et l'on aboutit à des constats, comme ceux-ci, qui furent formulés, à peu près ainsi par les enfants eux-mêmes, avec des exemples tirés des textes qu'ils avaient lus :

* Chaque lettre de l'alphabet peut traduire plusieurs sons.
* Elles ne traduisent pas n'importe lesquels ; mais on ne peut pas les deviner : il faut vérifier.
* Les sons sont souvent traduits par plusieurs lettres en même temps.
* Un même son peut être traduit par des lettres différentes selon les mots ; la différence permet de reconnaître leur sens : c'est le rôle de l'orthographe.
* Si une lettre, ou même un accent, a changé dans un mot, c'est que c'est un autre mot : "doit" et "doigt"; "a"et "à" ; "tache" et "tâche" etc.
A noter l'importance de ce dernier constat, qui est loin d'être évident à tous les enfants.

La morale de cette histoire ?
Simplement que cette manière de travailler intéresse énormément les petits, qui ne cachent pas leur fierté de travailler comme des grands. Où l'on voit que, pour qu'ils comprennent comment fonctionne la langue des écrits, même sur des points très abstraits, comme cette relation lettres-sons, qu'ils doivent connaître, il suffit de réunir deux conditions majeures :
1- ne pas commencer par elle, parce que leur âge ne leur permet pas d'y entrer ; mais de commencer par le contact avec de vrais écrits, littéraires ou non, où ils essaient ensemble de comprendre ce qu'ils peuvent par leurs propres moyens, en s'appuyant sur ce qu'ils voient et en justifiant leurs hypothèses (donc, ils ne "devinent" pas !), mais sans avoir à effectuer un déchiffrage pénible, contraire à tout ce qu'est l'acte de lire. De fait, c'est l'enseignant qui donne la clé finale par sa lecture à haute voix dès que les petits sont allés au bout de leurs trouvailles provisoires et incomplètes, et le sens arrive alors avec une joie non dissimulée, pour devenir un lieu d'analyse et de débats, où s'apprend comment on fait pour comprendre.
2- mettre en place un travail approfondi d'observation de ces écrits pour découvrir le fonctionnement de la langue, sous toutes ses facettes, depuis les phrases (qui n'existent guère à l'oral), les mots, leurs manières de signifier, leur organisation dans les phrases, le rôle des lettres (pour la prononciation et pour le sens, avec les marques orthographiques), etc. Bref, tout ce qui dans la langue permet de comprendre les messages.

Si elles sont réunies, on découvre alors qu'il n'est point nécessaire d'inventer une gesticulation, prétendument facilitante ou des personnages ridicules, prétendument amusants, qui ne font que les enfoncer dans leur enfance au lieu de les aider à grandir.

(1) Pour mémoire, rappelons l'origine de cette étrange formule, très opaque pour beaucoup. On la doit au grand linguiste André Martinet, qui, le premier, dans les années soixante, a vu, dans le langage, une structure à deux étages, un étage d'éléments signifiants qu'il nomme "unités de première articulation", et un étage de "seconde articulation", constitué d'éléments non signifiants, mais susceptibles de produire du sens quand ils sont associés. Comme on voit, c'est une espèce de miracle, qui fait que des éléments n'ayant aucun sens puissent en produire par leur seule association dans des groupes, où seuls comptent leur nombre et l'ordre dans lequel ils apparaissent. Chose étonnante et merveilleuse de voir que de l'abstrait peut produire du concret : le "bon sens" commun a du mal à l'admettre..