Considérer l'élève comme une personne, cela implique, de le respecter comme son égal, mon "égal", sous ma responsabilité évidemment, mais pas sous mon pouvoir, et d'éviter à son égard, tout ce qui ressemble à de la maltraitance, même légère, comme des contraintes, des reproches, tout ce qui humilie et fait souffrir.
Evidemment, personne n'a jamais rien fait de tel à ses élèves !
Et pourtant...

N'avons-nous pas, tous — moi la première, à ma grande honte rétrospective — rendu les copies, une par une, dans une mise en scène savamment orchestrée en commençant par les plus mauvaises, avec les commentaires sarcastiques qui s'imposent, dont les autres profitent dans un étrange et douloureux mélange d'angoisse d'être le prochain, et de soulagement de n'être pas encore l'objet des railleries magistrales ?

Le rituel quotidien de l'interrogation au tableau : une pratique innocente, vraiment ?
Personnellement j'ai mis du temps à comprendre à quel point c'est cruel. Et plus d'un n'en ont toujours pas conscience : j'ai soulevé des tollés de protestations, le jour où, pour la première fois, j'ai osé qualifier ce rituel, très symbolique de l'école, de "pilori scolaire", survivance inquiétante d'une ignoble pratique qui poursuit son œuvre dans les classes, en exhibant régulièrement l'un des gamins à la risée de tous. On sait bien que c'est toujours celui qui ne sait pas sa leçon, que l'on interroge.
Mais enfin, à quoi sert cette exhibition, si ce n'est à consommer du temps ? Pour en faire quoi ? Ce n'est ni une évaluation, ni un retour sur les apprentissages, juste un moment de souffrance pour celui qu'on y colle.
Et pour le profit de qui ? Pas celui de l'enseignant qui n'y trouve que la confirmation de son hypothèse, ni celui de l'élève qui n'y trouve que la confirmation de sa nullité, sans que rien ne l'aide ici à faire le moindre progrès, ni celui des autres élèves, qui, au mieux s'ennuient en attendant que ça passe, et, plus souvent, développent avec jubilation leurs plus bas instincts, sans rien apprendre de plus.
Et si, par hasard (rare), c'est un "bon" qui est interrogé, le résultat, pour lui, sera de boursoufler davantage encore, le complexe de supériorité que lui vaut son avalanche habituelle de bonnes note, sans aucun intérêt pour les autres, si ce n'est de réveiller leur jalousie latente à l'égard de ce nanti agaçant.
Une pratique sans utilité pédagogique, et sans respect pour la personne de l'enfant.

Mettre une note à un devoir, à un élève, et formuler sur lui des jugements définitifs à cette aune, n'est-ce pas une fameuse violence, quand on sait le caractère aléatoire de cette décision, impossible à rendre rigoureuse (voir les célèbres études de docimologie qui le prouvent de façon éclatante) ? On sait pourtant qu'un être humain ne s'évalue pas comme un objet : toute évaluation le concernant ne peut être que participative...
Qui pratique une évaluation participative de ses élèves ?

Faire son cours, en passant d'une page du manuel à la suivante, d'un chapitre du programme à celui d'après, ou en utilisant une fiche pédagogique trouvée sur internet, ou empruntée à un collègue, est-ce prendre appui sur les savoirs que les enfants ont construits dans leur vie personnelle ? Est-ce prendre en compte leur personnalité ?

Toutes ces "innocentes" pratiques, si normales dans les habitudes scolaires, sont-elles compatibles avec le fait de considérer l'élève comme une personne ?

Je vous en laisse juges : ou bien nous adoptons d'autres manières de faire en classe — et il faut préciser lesquelles !— ou alors, nous devrons admettre que, contrairement aux Amerindiens que la célèbre controverse de Valladolid avait fini par juger humains, les élèves, eux, ne le sont pas...