Beaucoup ont dit, avec la jubilation qui accompagne habituellement la formulation d'un paradoxe — et avec le Ministre — que "la confiance n'exclut pas le contrôle".
Avec la connaissance que m'a donnée ma formation de linguiste, je peux dire que tous ici oublient ce que les mots veulent dire.
Confiance et contrôle sont deux notions absolument incompatibles.

Ouvrons une parenthèse linguistique, nécessaire, qui sera, je l'espère, aussi légère que possible.
Le mot "confiance", fait partie de l'ensemble des mots qui renvoient, non à des données de l'expérience concrète (objets, personnes, événements vécus), mais à des constructions abstraites de l'intelligence qu'on appelle des "notions". Nous n'avons pas le temps de chinoiser sur la distinction "notion"/"concept", qui n'importe guère ici, aussi nous contenterons-nous du terme commode de "notion".
Comme ces notions sont, évidemment, difficiles d'accès, on leur a donné en général un nom, dont l'étymologie constitue une sorte de définition, aidant à les comprendre. C'est pourquoi, il est souvent utile de rechercher cette étymologie pour ne pas se tromper sur le sens de la dite notion, que rien de concret ne peut aider par ailleurs à saisir.
Or, ce mot vient de deux mots latins, l'un qui veut dire "ensemble", et l'autre qui désigne une croyance positive — optimiste, disent certains — en la compétence bienveillante de l'autre. Il désigne donc une relation positive, nécessairement réciproque, mais ne reposant pas sur des certitudes, puisqu'il s'agit d'une croyance.
C'est dire que la confiance est en fait un abandon conscient et volontaire du principe de précaution, l'acceptation d'un risque possible, voire probable... On conçoit que plus d'un ne souhaitent pas le courir. Paul Léautaud — à qui certaines sottises ne faisaient pas peur — y voyait une marque de bêtise, considérant le méfiance comme la marque suprême de l'intelligence.
L'ennui, c'est que toute communication, toute forme de relations humaines, économiques, sociales, etc., reposent sur la confiance, et une confiance réciproque, car la non réciprocité la détruit : on ne peut faire confiance à quelqu'un qui ne vous l'accorde pas. Précisons également qu'elle implique l'autonomie de l'autre : nulle possibilité de confiance pour des personnes qui ne seraient pas libres. C'est pourquoi, elle est indispensable en démocratie, dont l'équilibre repose sur elle.
Impossible donc de s'en passer. Et ce, sans compromis possible : il ne peut être question de mitiger, comme le font la plupart des gens, ministres compris, une miette de confiance, avec trois kilos de méfiance, sans la détruire totalement. En classe, par exemple, l'enseignant qui souhaite que ses élèves travaillent "en autonomie" et qui les surveille, détruit, par sa surveillance, l'autonomie recherchée : je ne suis pas autonome, si je suis surveillé. Ajoutons enfin que la confiance ne saurait se décréter ; elle peut s'offrir à ceux dont on constate qu'ils la méritent ; mais la solliciter est chose perdue d'avance : chacun en a fait l'expérience un jour.
En revanche, on remarque que la confiance offerte, génère souvent la réciproque : devant ceux qui vous font confiance, on se sent le devoir d'en être digne — sauf à n'avoir aucun sens moral !
Quant à la méfiance, elle ouvre la voie directe aux exactions possibles, tout en développant l'intelligence des moyens d'éviter les sanctions prévues... Ce qu'elle génère, c'est le mensonge et les roueries les plus diverses. Comme dirait Spinoza, la confiance est du "bon" côté, et la méfiance, du "mauvais".

Cette petite analyse aboutit donc, en ce qui nous concerne, au constat que la formule "L'École de la confiance" n'a effectivement aucun sens. Et ce, pour beaucoup de raisons, dont les premières se trouvent dans les vides de la formulation même : "Quelle confiance ? De qui ? Envers qui ? Pourquoi faire ?". Langue de bois à l'état pur.
Ou bien, l'école mérite qu'on ait confiance en elle ; ou bien elle ne le mérite pas.
Or, sa responsabilité est énorme ; son premier devoir — et son premier besoin — est de mériter la confiance des élèves, des parents, de la Société.
Problème : elle ne se construit pas toute seule ; elle est soumise à des supérieurs, qui attendent d'elle qu'elle favorise l'arrivée de citoyens capables de faire vivre la société souhaitée par le Pouvoir : chez nous, en principe (jusqu'ici), la démocratie.
La tâche de ces supérieurs est donc précisément de la rendre capable de mériter cette confiance, et, par voie de conséquence, de lui en fournir les moyens. Ces moyens sont évidemment matériels, mais ils consistent surtout en moyens favorisant l'autonomie de ceux qui y travaillent, les enseignants. Une compétence solidement avérée est la condition incontournable d'une véritable autonomie. C'est donc par la formation professionnelle, qu'elle peut apparaître, une formation ambitieuse et orientée sur cet objectif d'autonomie. Certes, les objectifs de l'Éducation Nationale sont posés par le Pouvoir, et c'est normal. Mais les moyens de les atteindre doivent être libres. Sans cette liberté, la confiance n'a plus de raison d'être.

Celle-ci n'a donc pas à figurer dans le discours d'un ministre : ce n'est pas de son ressort. Elle ne peut être que le résultat de sa politique sur l'école.
Une politique qui donne des ordres aux enseignants n'obtiendra jamais aucune école digne de confiance : tout au plus sera-t-elle l'objet d'un accord — ou d'un violent désaccord — avec ce qui s'y passera. Mais cela n'a rien à voir avec la confiance.
Il est triste de voir une équipe dirigeant l'Education Nationale si peu rigoureuse dans l'utilisation du langage — triste et inquiétant.