Pour qu'il y ait un "vrai chef d'équipe", il faut qu'il y ait une équipe... Sinon, ce n'est pas un chef d'équipe, c'est un commandant de brigade.
Il faut surtout que le chef soit DANS l'équipe, et qu'il ne soit pas là pour la commander, mais, bien, pour la coordonner, ce qui implique égalité entre tous les membres, chef compris.

Quand on lit la suite de cette note, on voit nettement que ce n'est pas ça du tout.
Avec la suppression de toutes les formes de commissions paritaires, qui avaient été conçues pour obliger les supérieurs hiérarchiques à passer par elles, pour toute décision concernant leurs subordonnés, — protection essentielle pour ces derniers contre tout abus de pouvoir — il apparaît évident, dès qu'on réfléchit tant soit peu, que, ce que le Ministre présente comme une "commodité", a pour fonction de faciliter tout autre chose.
Grâce à elle, nous voilà "en marche" pour le monde des "petits chefs", des "demi-habiles" chers à Pascal, de tous ces contremaîtres et autres Kapo, symboles parfaits de l'organisation verticale.
Ce monde où les ordres viennent d'en haut, relayés par des intermédiaires tout puissants sur ceux d'en dessous et larbins soumis de celui du dessus, jusqu'à ceux du rez-de chaussée, qui eux sont parfaitement dépourvus de tout pouvoir, surtout de celui de protester : Charlot au bout de la chaîne, avec personne derrière.

Inutile d'avoir une formation marxiste de haut niveau, pour connaître les dangers d'une telle organisation, dont chacun sait qu'elle ne peut fonctionner que sur la peur de chacun des intermédiaires, et principalement sur celle de ceux d'en bas.
Problème : dans une démocratie, en général, les gens étant constitutionnellement égaux entre eux, n'ont pas de raisons permanentes d'avoir peur. Qu'à cela ne tienne : la peur, ça peut s'installer, à condition de le faire petit à petit, sans bruit et sans que le public ne s'en aperçoive.
Comme on sait, la peur se nourrit d'ignorance, de savoirs insuffisants, et d'une atrophie du pouvoir de raisonner. Il y a l'École pour ça ! Elle a les moyens d'y travailler dans les deux sens : il suffit de l'orienter convenablement. Elle peut donc avoir un rôle déterminant à jouer sur ce point, ce à quoi notre ministre s'emploie avec assez de verve : ça marche d'autant mieux, que l'école est un domaine dont, politiquement, on ne se méfie guère : il s'agit des enfants, et l'on a bien le temps de voir venir...Du reste, il est de bon ton d'insister lourdement sur la caractère a-politique de l'école, sanctuaire dont la pureté est à protéger absolument.

Or, qu'observe-t-on dans le goutte à goutte de mesures, apparemment isolées, que diffuse savamment le Ministre, lequel se garde bien de parler du projet d'ensemble cohérent ?
Si on observe de près ce qui se trame, en cherchant des liens entre les dispositions égrenées les unes après les autres, on découvre un cocktail astucieux de projets éparpillés, vaguement inquiétants (contractualisation, transformations floues), jamais mis en relation, entre eux, accompagnés d'ordres sans discussion possible, et de menaces fortes, dont l'effet est d'installer tranquillement, sournoisement, un sentiment d'insécurité chez les salariés, notamment les enseignants et tous les acteurs de l'Education Nationale, une insécurité difficile à définir clairement, suffisamment vague pour susciter à terme, plus ou moins long, un comportement effectivement apeuré.

Au nom de la "science", on impose un enseignement, astucieusement faussé, des savoirs les plus importants, comme la lecture, dont on développe les "mécanismes" qui empêchent de raisonner en lisant. On élimine, ou on appauvrit, les disciplines qui font réfléchir, qui ouvrent l'esprit, qui développent la créativité. On remplace l'enseignement de l'histoire, par des listes de dates et des récits de grand hommes, bien isolés des contextes où ils vécurent. De façon générale, tout ce qui développerait l'intelligence, l'audace, la réflexion est relégué dans les savoirs secondaires ou destinés à l'élite ; en revanche on invite à privilégier la mémoire et la récitation du par cœur — pendant qu'on récite, on ne réfléchit pas.
On perd doctement un temps précieux à évaluer ce qui a été insufflé par dressage : excellente chose, qui a pour effet de déstabiliser les plus faibles psychologiquement, parce que socialement défavorisés : ainsi, le tri social se fait sans que le Pouvoir en soit responsable.

Evidemment, aucune déclaration fracassante à la "Jair Bolsonaro", qui éveillerait les soupçons. Le discours démocratique est toujours là, solidement argumenté et rassurant, et les consignes d'action sont exigées sur un ton paternaliste, toujours au nom de l'intérêt des enfants et pour le bien des enseignants : les évaluations sont là pour les aider à bien connaître les besoins de leurs élèves, et le fait qu'ils ne le comprennent pas prouve à quel point ils ont besoin d'aide... L'art de retourner les objections comme un gant, contre ceux qui les formulent : Imparable.
Bref, on veille à ce que l'eau où nagent les grenouilles, qui se croient en marche, garde une température apparemment constante, mais on en élève la température, en douce, de façon infinitésimale, à petits coups de nouvelles notes ministérielles, plus doucement encore que le réchauffement climatique...

Par ailleurs, on laisse les manifestations qui tentent de s'élever contre tout cela, se dégrader dans la violence, afin que la notion de contestation, toujours présente et séduisante aux yeux des idéalistes pouvant perturber le bal, soit bien déconsidérée, souillée et qu'elle perde ainsi de son pouvoir attractif.
Incohérents, ignorants, les projet ministériels ? Que nenni ! Une grande cohérence au contraire, et rudement astucieuse, la technique du puzzle : on ne voit rien, donc aucune raison de s'alarmer.

Mais si l'on attend pour réagir, que le puzzle prenne tout son sens, éclatant, quand les deux ou trois dernières pièces seront posées, n'est-il pas à craindre que, comme les carabiniers, mais en moins drôle, la réaction n'arrive un peu tard...?
Que peut-on faire ? Dites-le nous.

Sur le conseil de Laurent, j'invite les lecteurs de ce blog à se rendre sur le site de Daniel Mermet :
https://la-bas.org/articles
Une formidable mise au point sur les violences qu'il faut refuser de toutes nos forces.