Je n'ai pas encore pu lire cet ouvrage, mais les extraits que cite Pascal Bouchard sont alléchants et c'est avec un certain ravissement que je les propose à votre réflexion.
Après avoir analysé les programmes scolaires proposés depuis quinze ans, l'auteur fait le constat accablant suivant :
Tout a l'air superbement organisé, dessiné, prévu, pour que tous les élèves aient leur place et poursuivent une évolution bien cadrée, mais c'est une illusion, en réalité, il n'y a pas de système éducatif, il n'y a jamais eu d'architecte ! Jamais de plan d'ensemble.

Il est vrai que les programmes, accompagnés de la cohorte de notes et brochures diverses dont les collègues sont inondés, répondent aujourd'hui à la question du "comment il FAUT faire", mais pas du tout à celle du "pourquoi faire comme ça", ni à celle du "qu'est-ce qui prouve qu'il faut faire comme ça".
Et malgré la surenchère de précisions, allant jusqu'à, par exemple, détailler la progression des "sons" à aborder pour enseigner la lecture, on ne trouve pas l'ombre d'un argument pouvant justifier ces affirmations, autre que : "c'est la science qui le dit". Les propos du ministre sont comme les textes sacrés : il faut les croire sur parole. C'est vrai puisque le Dieu de la Neuroscience le dit.

Face à ces constats irrécusables, la dernière partie de l'ouvrage apparaît comme une bienfaisante lumière, éclairant une voie radicalement différente :
Alors que les privatisations sont à l'œuvre, partout, l'école commune n'aura de chances de progresser (...) que si elle montre qu'à la différence des propositions du marché, elle a un sens d'ensemble : quel type d'élève, quel type de citoyen, quel type d'homme va-t-elle former ?
Certes, la première de ces questions a une réponse dans nos programmes actuels : un élève docile, appliqué, capable de réciter sans erreur les règles enseignées, et de mettre en œuvre, sans hésitation ni doute, les mécanismes intégrés. On se garde bien d'aller plus loin et, notamment, d'en déduire le type d'adulte que cela va donner.

Pour la suite, Gautier ouvre la porte :
Rappelant que tous les apprentissages doivent être accompagnés "de la question éthique", l'auteur utilise une superbe formule : l'Ecole doit conduire les élèves en position de surplomb sur les savoirs.
Exactement le contraire de ce qu'impose monsieur Blanquer : la manière de s'y prendre, nécessaire selon ce dernier pour maîtriser les "automatismes", est loin de la question éthique. Elle n'est autre que du dressage, puisque l'enfant n'apprend qu'à FAIRE, sans comprendre.
De plus, notre ministre confond "automatisme" et "mécanisme" : un automatisme est une façon de faire théorisée et comprise, rendue aisée et rapide par un bon entraînement, mais qui reste consciente. Sans une théorisation rigoureuse et comprise, l'entraînement n'aboutit qu'au mécanisme pur, dont on sait qu'il fonctionne sans l'intelligence, et qu'il contribue à la détruire.

Maîtriser le savoir, c'est fondamentalement en être "décollé", être capable de le voir de l'extérieur et au-dessus. C'est le savoir sur le savoir, le "savoir ce qu'on sait" et surtout "le savoir qu'on le sait". Il y a longtemps qu'on a remarqué que l'échec des enfants vient, non pas d'un manque de connaissances, mais de ce qu'ils ne savent pas s'en servir, et aussi de ce qu'ils ne savent parfois même pas qu'ils en ont.
L'élève devient capable de pédaler le nez dans le guidon, sans rien voir autour de lui, totalement dépendant de ceux qui nettoient la route devant lui. L'opposé absolu de l'autonomie.

Autres formules superbes, citées par Pascal Bouchard : l'école ne doit pas oublier qu'elle a une fonction immunitaire de base contre le mensonge et l'erreur ; qu'elle doit aider les élèves dans l'entreprise de vivre et leur permettre de devenir conscients de leur pensée, de leur action et de leurs progrès.
Bref, il s'agit essentiellement de bâtir une école qui n'oublie pas sa fonction véritable : former des citoyens, libres, et dignes de cette liberté.

Monsieur Blanquer l'ignorerait-il ?
Au fait, et si l'architecte, dont François Roger déplore l'absence dans les programmes, n'était pas là, en fait, bien installé au sommet de la pyramide, sous des dehors rassurants, avec un tout autre projet ?
Une sinistre hypothèse vraiment impossible ?