Avec cette scène, qui est probablement loin d'être seule en France, on touche l'un des résultats les plus désastreux et des plus dangereux de la politique autoritairement pseudo-scientifique, menée par l'équipe de Jean-Michel Blanquer.
Une politique, qui confirme tous les jour un peu plus, une volonté de main mise sur l'école et les enseignants, déjà annoncée dans son son premier ouvrage : "L'école de la vie", où, bien avant qu'il ne soit ministre, il osait s'en prendre ouvertement à la notion de liberté pédagogique, qu'il qualifiait de "paravent derrière lequel les enseignants se cachent".
Depuis, tout son travail consiste à faire sauter ce paravent, pour imposer ce qu'il nomme "un adossement" scientifique aux pratiques pédagogiques et une formation qui s'appuie sur la recherche "nationale et internationale", ce que nous sommes nombreux à souhaiter également... Sauf que, pour lui, ce ne sont pas n'importe quelles recherches : attention ! Uniquement celle qui est favorable à la "pédagogie explicite", qu'il considère comme la "clé du rebond de notre école".
Sans se soucier de la contradiction qui consiste à choisir parmi les travaux de Recherche, uniquement ceux qui lui conviennent — attitude bien peu scientifique... — il construit cette main mise par un système extraordinairement bien conçu, autour de pratiques, prétendument issues de ces recherches, imposées arbitrairement, avec un autoritarisme affiché, et l'arsenal complet qui l'accompagne : système récompenses/punitions, glorification du mérite, menaces de sanctions, le tout encadré et enfermé dans des évaluations nationales obligatoires.
La machine à broyer le paravent, avec ceux qui se cachent derrière, est bien en place... Elle est même en marche !

Et voilà comment une enseignante, morte de peur à l'idée d'avoir de mauvais résultats aux évaluations, avec cet enfant-malheureusement-né-en-décembre (sans parler des autres, souvent en difficulté, même s'ils sont nés convenablement), complètement infantilisée face aux injonctions officielles, peut perdre tout pouvoir de raisonner, au point d'oublier sa tâche, celle d'enseigner la lecture, activité où la lettre "u" ne joue qu'un rôle très mineur, pour ne penser qu'aux épreuves des futures évaluations qui exigeront qu'on sache reconnaître la lettre "u" (et d'autres !).

La main mise ne se contente pas de la maîtresse : elle atteint la maman, qui dans son affolement, ne trouve rien de mieux, pour aider son enfant, que la "Méthode des Alphas" et l'étrange mademoiselle "U", toujours à cheval, qui crie "hue" à son cheval, ce qui fait dresser ses longues nattes au-dessus de la tête, en forme de "u". Il paraît que "ça parle à l'enfant"...
Ah ça, pour parler, ça parle !
Mais il faut voir de près ce que ça dit, et ce que l'enfant y apprend.

Eh bien, ce qu'il apprend, c'est un mensonge et un contresens. Il a appris à reconnaître une forme, une simple forme, mais pas du tout ce qu'on appelle "un signe graphique", cette chose étrange qui permet de communiquer à distance. La notion de signe graphique, et son fonctionnement spécifique, très différent de celui des objets connus, est extrêmement difficile à comprendre pour un enfant de cet âge. Il est en effet défini, non par sa description, comme le sont les objets, mais par sa place dans le mot, et son orientation dans l'espace écrit.
Pour un petit, c'est aussi étranger à lui que possible. Aussi est-il nécessaire de lui éviter au moins de se faire des représentations erronées de la chose !

Or, avec cette assimilation de la lettre à des objets ou des personnes, c'est évidemment ce qui se passe, rendant la construction de la notion quasi impossible. C'est là une des raisons majeures de ne surtout pas commencer l'apprentissage de la lecture, par des lettres et des sons.
N'étant donc ni construite ni en construction, cette notion manquera longtemps, voire, pour certains, définitivement : une absence qui leur coûtera très cher plus tard.
A noter au passage que la lettre "u", correspond assez rarement au son "u" : Paul, l'auto, c'est l'heure, le mouton etc.) : un mensonge de plus qu'il lui faudra apprendre à rectifier, et l'on sait que les enfants ont du mal à admettre ce type de nécessité.

Oui mais, ce travail est obligatoire, avec menaces de sanctions : comment sortir de ce cloaque ?

Il faut aider les collègues à désobéir à des injonctions iniques.
Or, l'une des meilleures façons de désobéir, c'est souvent de faire semblant d'obéir.
Il faut apprendre à reconnaître les lettres ? OK ! Mais faisons-le sans tromper les enfants.
Arcbouté à deux principes incontournables :
1- on s'appuie sur le connu de l'enfant, pour lui faire découvrir ce qu'il ne connaît pas ;
2- on n'apprend qu'en comparant,
l'enseignant va aider les enfants à reconnaître la lettre du jour :
1- en la cherchant dans les mots que l'on connaît (les noms des personnes autour d'eux, celui de leur rue, de leur ville, les enseignes des boutiques, les jours de la semaine, mais aussi dans les mots des chansons que l'on chante et des poèmes que l'on dit),
2- en la comparant à d'autres lettres qui lui ressemblent un peu : qu'est-ce qui permet de de dire que cette lettre est bien un "u" et pas un "n" ; que celle-ci un "i" et non un "l" ; que cette autre un "p" et non un "d" ou un "b" ?
Apprendre à reconnaître, quelque chose ou quelqu'un, c'est, en effet, apprendre à repérer le "trait pertinent" qui empêche de le confondre avec d'autres choses.

Les familles, qui n'ont pas de comptes à rendre à l'IEN, sont plus libres d'agir à la maison pour contrecarrer les dangers évoqués et limiter les dégâts : elles peuvent, en recourant aux mêmes principes, aider l'enfant à préparer intelligemment la veille, ce que l'enseignant, incapable de désobéir même en faisant semblant d'obéir, exigera le lendemain...

On entre dans la lecture par du sens : impossible d'y entrer autrement. Les non mots et les syllabes artificielles, il faut les refuser absolument : ce n'est pas pour les enfants.
Anatole France a dit "Il est beau qu'un soldat désobéisse à des ordres criminels".
Quand un ministre donne des ordres qui mettent en danger les enfants, les parents et les enseignants, il est impératif de lui désobéir.