Ce texte, accompagné des nombreuses références scientifiques qui l'accompagnent est consultable dans son intégralité sur le site de Charles : (www.panote.org).
J'en ai extrait les neuf raisons qui justifient, travaux à l'appui, la suppression des notes, au profit de moyens d'évaluer, à la fois plus fiables et plus utiles, tant à l'enseignant, qu'aux parents — volontiers accusés de les demander — et qui seraient, pour les enfants, la vraie information dont ils ont besoin.

Pourquoi est-il indispensable de faire disparaître l'emploi des notes comme illusion d'évaluation et de classement ?

Voici la réponse d'Alfie Kohn :

1. La notation a tendance à réduire l’intérêt des étudiants pour l’apprentissage en lui-même. L’une des découvertes les plus importantes, dans le domaine de la psychologie de la motivation, est le fait que plus les individus sont récompensés pour faire quelque chose, plus ils ont tendance à perdre leur intérêt pour la chose en question. Voir Kohn A. Punished by Rewards : The Trouble with Gold Stars, Incentive Plans, A’s, Praise, and Other Bribes, Boston, Houghton Mifflin, 1993

2. La notation a tendance à réduire la préférence des étudiants pour les tâches représentant un défi. Les étudiants de tous âges qui ont été amenés à se concentrer sur l’obtention d’une bonne note optent généralement pour l’activité la plus simple lorsqu’on leur en donne le choix. Plus la pression est grande pour obtenir une bonne note, moins ils sont enclins à choisir une tâche qui soit un véritable challenge. Ces étudiants sont moins paresseux que rationnels : ils s’adaptent à un environnement où ce sont les bonnes notes, et non les explorations intellectuelles, qui comptent.

3. La notation a tendance à amoindrir la qualité de la pensée des étudiants. Étant donné que les étudiants, à cause de la notation, peuvent perdre de l’intérêt pour ce qu’ils apprennent, il est naturel qu’ils tendent également à ne pas trop approfondir leur pensée sur un sujet donné. Quelques études, par exemple, ont montré que les étudiants à qui on attribuait des notes chiffrées étaient, de façon significative, moins créatifs que ceux qui recevaient des feed-back qualitatifs, sans notation. (De nombreuses références scientifiques l'ont prouvé : entre autres, S.Harter & M.Gusman,USA, M. Kage 1991, Japon)

4. Les notes ne sont ni valides, ni fiables, ni objectives. Un “B” en anglais ne dit rien sur ce qu’un étudiant peut faire, sur ce qu’il comprend, sur les éléments pour lesquels il a besoin d’aide. Les notes n’apportent aucune information utile à l’apprentissage. Elles sont en outre subjectives. Un enseignant peut méticuleusement enregistrer les scores obtenus lors des tests successifs, et éventuellement calculer les moyennes au centième de pourcent près, mais cela ne change rien au caractère arbitraire de chacune des notes prises individuellement. Même la note à un test de mathématiques dépend en grande partie de la façon dont ce test a été conçu (les compétences que le professeur a décidé d’évaluer, les questions qui, par hasard, ont été omises, le nombre de points attribués à chaque section ...). En bref, ce qu’offre la notation n’est qu’une prétendue précision : une cote subjective qui se fait passer pour une évaluation objective. (Voir les travaux de R. Butler, et M. Nisan)

5. La notation déforme le curriculum. L’usage de la notation (qu’elle soit chiffrée ou sous forme de lettres) à l’école, peut favoriser la transformation de l’instruction en un ensemble de faits faciles à mesurer. La mesure devient première et dirige l’éducation, comme si la queue d’un chien en venait à faire remuer celui-ci. (C. Grolnick & Ryan 1987)

6. La notation fait perdre beaucoup de temps, un temps qui pourrait être consacré à l’apprentissage. Additionnez toutes les heures que les enseignants passent à s’agiter autour de leur carnet de notes. Ajoutez-y ensuite toutes les conversations (souvent déplaisantes) qu’ils ont avec leurs étudiants et les parents à propos des notes. Il est tentant de se contenter de lever les yeux au ciel lorsque l’on est confronté à des étudiants ou à des parents qui se plaignent ou tentent de soutirer quelque mince concession mais le véritable problème reste la pratique de la notation en elle-même.

7. La notation encourage la tricherie. Certes, nous pouvons continuer à blâmer et à punir tous les étudiants qui trichent ... Ou... nous interroger sur les raisons structurelles qui sont à l’origine de ce comportement.
Des recherches ont indiqué que plus les étudiants étaient amenés à se concentrer sur l’obtention de bonnes notes, plus ils étaient susceptibles de tricher, et cela même s’ils considéraient la tricherie comme quelque chose de mauvais. (Anderman & Johnson 1988).

8. La notation corrompt les relations que les enseignants entretiennent avec les étudiants. Prenez connaissance de cette plainte, qui pourrait être celle d’un enseignant de votre quartier : « Je suis fatigué d’animer une classe dans laquelle tout ce que nous faisons tourne autour de la notation. Je suis lassé d’être suspect lorsque les étudiants me font des compliments, me demandant s’ils agissent ainsi pour avoir de bonnes notes. Je suis fatigué de perdre tant de temps et d’énergie à noter vos feuilles, alors qu’il y a probablement une douzaine de façons plus productives et agréables pour nous tous d’évaluer vos documents. Je suis lassé de vous entendre me demander “Est-ce que c’est noté ?” Et Dieu sait comme je suis fatigué de tous ces petits arguments et contre-arguments que nous nous opposons concernant une cote, et qui enlève tant de plaisir à l’enseignement et à l’apprentissage. »

9. La notation corrompt les relations que les étudiants ont entre eux. Il a été démontré que la qualité de la pensée des étudiants dépend en partie de la latitude qui leur est accordée pour apprendre de façon coopérative. Dès lors, la sensation de malaise et de suspicion, ainsi que les ressentiments générés par la notation, ne sont pas seulement désagréables, ils nuisent aussi aux apprentissages.(Anderman E. M., Griesinger T., Westerfield G., Motivation and Cheating During Early Adolescence, in Journal of Educational Psychology, n°90, 1998,)

Et l'auteur de conclure :
La compétition, qui transforme l’école en une quête du triomphe, et qui rompt les relations entre les étudiants, ne se produit pas qu’à l’intérieur de quelques salles de cours, bien entendu. Le même effet est observé à l’échelle de toute la scolarité, d’autant plus lorsque les élèves ne sont pas seulement notés, mais aussi “classés” ; on leur envoie alors le message que le but n’est pas d’apprendre, ni même d’être performants, mais de battre les autres.
Certains étudiants pourraient bien être motivés par l’amélioration de leur classement dans la hiérarchie de la classe, mais cette motivation est totalement étrangère à celle qui vise à comprendre des idées.
Les éducateurs sages réalisent que ce qui compte, ce n’est pas tant que les étudiants soient motivés ; ce qui importe, c’est ce qui fonde leur motivation, c’est ce qui les motive.
C’est la nature de la motivation qui compte, pas seulement son ampleur. .

Comment peut-on ne pas entendre une telle argumentation ?
Qu'est-ce qu'on attend, pour, au moins, y réfléchir ensemble ?