Qu'une méthode de lecture puisse être déclarée "expérimentale", alors qu'elle ne diffère en presque rien des méthodes syllabiques existantes, et qu'on s'appuie sur les résultats (lesquels ?) obtenus (quand ?) de son expérimentation, pour l'imposer à toutes les écoles de France, constitue un sacré coup de sape supplémentaire, contre la démocratie en France.
Voici une page du manuel des élèves.



Comme on peut le voir ce qui frappe avant tout, ce sont les ressemblances avec les méthodes syllabiques, et notamment "Bien lire avec Léo et Léa".
Comme pour les autres, on y mélange allègrement écriture cursive et imprimée, sans que cette variation ne soit légitime, ce qui empêche les enfants de savoir que dans l'écrit réel, ces variations ont un sens, qui doit s'ajouter à celui des mots du texte. Même remarque pour les variations de couleur...
On retrouve les mêmes syllabes vides de sens, et les "phrases" absurdes ou ridicules.
Mais là, les auteurs ont oublié l'inconvénient de proposer des phrases : c'est que, même si leur sens ne doit pas compter, puisqu'on ne s'occupe que d'enfiler les syllabes pour déchiffrer les mots, une phrase, ça en a un.
C'est même têtu une phrase : qu'on le veuille ou non, le sens s'installe, avec ses points d'interrogation. "Lila râla": que doit-on entendre par là ? Le verbe "râler" ne s'emploie de façon officielle et précise, que pour désigner l'affreux gémissement qui précède la mort.
S'agit-il ici des derniers moments de cette pauvre Lila ? Est-ce bien raisonnable d'évoquer une scène pareille pour des enfants de six ans ?

Si, au contraire, il s'agit de l'emploi courant de ce verbe, au sens de "formuler son mécontentement", il est incontestable qu'il appartient au registre familier et même très familier... Drôle de façon de parler dans un lieu comme l'école, et de façon bien peu en rapport avec les habitudes normatives et même surnormatives de celle-ci : c'est cela, le libéralisme du langage ?

On a donc une histoire à trois personnages, deux filles et un garçon : l'une a ri, l'autre râla, et le garçon, Ali, ira là. Histoire étonnante et étonnamment racontée, avec un audacieux passage du passé composé, à un passé simple, inattendu : voilà un narrateur dont l'audace narrative semble sans limite.
Une audace qui oublie beaucoup de choses, en particulier le fonctionnement des embrayeurs, comme "là", qui n'a de sens qu'en relation avec une situation donnée : c'est où, là ?

Il est clair que faire "lire" de telles phrases, c'est bousiller par avance toute connaissance sérieuses sur le fonctionnement de la langue, et handicaper le travail de grammaire futur : dans un récit, on ne mélange pas passé composé et passé simple sans raison ; on ne confond pas récit et dialogue (ou plutôt :"forme embrayée de texte" et "forme non embrayée", selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre) et on n'utilise pas d'embrayeurs (comme "ici" ou "là", "hier" ou "ce matin", etc.) dans un récit.
La suite des "connaissances", ainsi installées subrepticement, est aisée à deviner.

Si l'on aborde maintenant l'analyse, d'un point de vue pédagogique, on s'aperçoit que ce qui différencie "Lea", de "Lego", c'est qu'avec la première, on étudie d'abord les sons et leurs relations avec les lettres, tandis qu'avec la seconde, on commence par les lettres qu'on assemble comme des perles pour former des syllabes, ce qui, notons-le au passage, constitue une incontestable facilitation pour les enfants : les lettres sont infiniment plus faciles à repérer pour eux que les sons.
Sur ce point Lego serait-il un progrès ?

Mais, dites-moi, ça ne vous rappelle rien ?
En fait, on est revenu à la méthode Boscher... Il est vrai, en beaucoup moins coloré et attrayant :




Avouez que, lancer, en 2021, l'expérimentation d'un outil d'enseignement, qui reprend les principes d'une méthode de 1901, c'est un incontestable exploit ministériel !

Mais pour les collègue, à qui on va l'imposer, c'est un véritable drame : surgira d'abord, angoissante, la question de savoir comment concilier cette "nouvelle" approche avec les injonctions officielles de la progression des sons, dans la brochure y afférente ? Le ministre aurait-il évolué dans ses certitudes ?

En tout cas, ce qui est certain, c'est que la science, dont se réclame ce monsieur avec énergie, constitue un recul incontestable, même par rapport à la méthode Boscher, (il faut le faire !) qui, partant des lettres pour les assembler, proposait une activité au moins ludique, — certes, sans rapport avec la lecture — mais qui avait le mérite d'être accessible à des petits de six ans, et d'autant plus que l'entourage coloré des pages et les petites histoires — certes, fort cucul — qui servait de support au travail, ne manquaient pas de charme aux yeux des enfants, ce qui est loin d'être le cas avec Légo.

Comme le révélèrent les brochures sur la lecture au CP, notre Ministre ignore les enfants, comme il ignore les enseignants et s'arroge le droit de maltraiter les uns et les autres en infligeant, aux premiers, des tâches qu'ils sont incapables de comprendre, et en maltraitant plus encore les seconds, contraints de faire du dressage pour obtenir que les petits fassent ce qu'ordonne ce monsieur.

La conclusion est évidente : il faut réveiller les collègues qui ont adhéré à l'invitation d'expérimenter (le verbe est en soi une imposture) cette méthode, abusés par l'ivresse de travailler directement pour le grand Patron, et s'opposer énergiquement à la diffusion de cette caricature de démarche d'enseignement de la lecture, qui n'enseigne que des bêtises et handicape l'avenir de nos petits, avec, à la fois, de mauvaises habitudes en lecture et des erreurs graves en utilisation de la langue.

On ne se lance pas, même contraint par le Chef, dans l'expérimentation d'un outil si bourré d'erreurs et si dangereux pour les enfants.
RÉSISTEZ ! REFUSEZ de participer à cette scandaleuse entreprise !