La question qu'il faut en effet se poser, c'est celle de la spécificité de l'école, qui se trouve, en principe et officiellement, chargée d'apprendre aux enfants à vivre dans une démocratie, et en comprendre le fonctionnement, pour devenir, adultes, capables de la protéger contre tous ceux dont les intérêts sont opposés à ce système politique.
Cette spécificité se situe donc dans les contenus de la tâche en question, qui implique l'acquisition de "savoirs" précis, de connaissances approfondies, et d'adhésion à des valeurs morales, essentielles dans ce type de système politique, ainsi que le rappelle Montesquieu pour qui, démocratie exige des habitants "vertueux".
Elle se situe également dans la manière dont ces contenus sont enseignés : quelle que soit la tâche que l'on a à remplir, respecter les contenus prévus ne suffit pas à la réussir, la manière de s'y prendre étant largement aussi importante.
On notera, non sans étonnement, que rien de ceci n'est évoqué par le Président de la République à Marseille, dans ses projets de rénovation de l'école...
Bien au contraire, quand on examine, de façon détaillée, la manière dont les contenus de l'école sont présentés et les pratiques officiellement imposées (imposées : c'est déjà, en soi, contraire aux principes élémentaires de la démocratie), on découvre qu'elle sont toutes opposées à ces mêmes principes.
Aussi est-il indispensable de réveiller les consciences — officielles et publiques — sur les contenus précis d'une école démocratique, condition absolue pour que les enfants apprennent à y vivre, et deviennent des citoyens démocratiques, au sens plein du terme.
Ce qu'on est en droit d'attendre de la part du président d'une république démocratique, ce sont, à côté d'une organisation sociale cohérente avec les principes d'une telle république, des contenus d'apprentissage, une loi d'orientation PÉDAGOGIQUE, présentant une sorte de charte, quelque chose comme ce qu'un quarteron d'amoureux de l'école — en fait, ils sont six — propose dans un ouvrage à paraître, et que voici en avant-première.

Article 1- Que, tout en conservant un strict respect des objectifs officiels assignés à l’école, les enseignants aient, pour atteindre ces objectifs, une entière liberté, pour choisir les moyens qu’ils jugent les meilleurs, au vu de leurs compétences professionnelles et de leur expérience. Les meilleurs, c’est-à-dire les plus adaptés à leurs élèves, hic et nunc, dont on sait évidemment qu’ils sont différents d’un endroit à un autre et d’une année à l’autre, ce qui élimine d’avance toute méthode unique, imposée d’en haut à tous.

Article 2- Que, durant les cycles d’apprentissage, revienne à eux, la tâche de faire le point pour réajuster le travail à accomplir, c’est-à-dire que les enseignants soient seuls responsables des évaluations d’apprentissage, dites «évaluations formatives », intégrées nécessairement dans toute action d’enseignement, tandis que les évaluations certificatives menées de l’extérieur ne soient prévues qu’à la fin de chaque cycle, seul moment légitime pour les faire.

Article 3- Que soit supprimée la pratique de la « correction » avec jugement, sous forme de notation chiffrée, des exercices et autres productions d’élèves, au profit d’analyses des dites productions, menées sous la direction de l’enseignant, en vue de leur amélioration, sans aucun jugement, ceux-ci n’ayant jamais aidé personne à progresser.

Article 4- Que puisse s’installer, dans les établissement scolaires, un fonctionnement qui associe les élèves, de façon collectivement responsable, à certains aspects de celui-ci, comme la résolution des problèmes de discipline, les propositions d’amendements du règlement de l’établissement, l’aide aux élèves en difficulté, etc.

Article 5- Qu’un certain nombre de pratiques courantes disparaissent définitivement des classes, incompatibles avec une organisation démocratique :

• le classement des élèves,
• l’interdiction de « copier », ou de travailler ensemble,
• l’interdiction de chercher de la documentation pendant le travail — ce que fait (et doit faire !) pourtant n’importe quel adulte, s’il est consciencieux dans son travail.

Article 6- Que soit au contraire généralisée une entraide permanente, vers la réussite de tous, par le recours à la documentation, constamment mise à la libre disposition des élèves et à la recherche des moyens de surmonter les difficultés rencontrées, celles-ci étant inévitables, et même souhaitables, quand on sait qu’apprendre, c’est avoir réussi à surmonter des difficultés.

Article 7- Que les sanctions pour fautes, même graves, soient toujours positives,, tournées vers des progrès, et des formes de « réparations », mettant en jeu la responsabilité des fauteurs, sans être jamais des « punitions » humiliantes ou excluantes.
Bref que tout soit mis en place pour rendre possible l’entrée de la démocratie dans l’école : on sait que c’est seulement en la vivant, dès l’enfance, que les enfants peuvent devenir des adultes capables d’apprendre, comprendre et défendre ce fonctionnement social de si haute valeur civique et morale.

Le jour où une équipe gouvernementale, avec son Président, enverra un tel décret, alors, et seulement alors, disparaîtront les criminelles erreurs que Laurent dénonce dans le billet précédent, et nous pourrons enfin dire que nous vivons en démocratie, avec l'École qu'une démocratie doit avoir.