Et si le problème était mal posé ?
Les inégalités, elles viennent d'où ?
Essentiellement de la société, — fondamentalement injuste, mais c'est un autre problème ! — et les enfants arrivent en classe avec des vécus très différents, une place de la parole quasi inexistante pour les uns et déjà, pour quelques autres, des conversations d'adultes, à la maison ; un bagage culturel, pouvant aller du "proche de zéro", pour beaucoup, jusqu'à des connaissances déjà réelles pour d'autres, en divers domaines artistiques ou scientifiques.

Nul besoin de réfléchir longuement pour comprendre que si l'école propose, de manière égale, à chacun de ces enfants, un programme extérieur élaboré par un ministre, du fond de son bureau, selon des démarches semblables pour tous, la réception par chacun d'eux ne pourra être qu'inégale, de manière parfaitement équivalente aux inégalités de départ, lesquelles ne feront que s'agrandir, avec les comparaisons inévitables en classe, et l'esprit de compétition entre enfants, qu'installe la pratique des notes, et de leurs "moyennes".

Et ceci, d'autant plus que cette "égalité de traitement" officiel s'accompagne d'une grande inégalité de traitement affectif — cette partie du travail de l'enseignant, volontiers considérée comme secondaire, alors qu'elle est absolument essentielle.
Or, précisément, aucun enseignant n'a le même comportement avec les "bons" élèves, et ceux qui ne le sont pas. Et la différence n'est pas forcément celle qu'on croit : c'est, en fait, dans le degré de confiance accordé à chaque élève, que l'inégalité s'installe. Il y a des élèves pour qui, l'enseignant ne se fait aucun souci : et le sentiment, que l'élève a de cette confiance, est un puissant facteur de confiance en soi et de réussite.
D'autres élèves, au contraire, sont, pour ce dernier, un sujet permanent d'angoisse empathique, qui le conduit à être constamment sur leur dos, à vérifier sans cesse s'ils ont compris, à être plus ou moins inquiet à leur sujet, et à le montrer.
Chacun sait — surtout ceux qui l'ont vécue élève — combien cette situation est intolérable, aussi douloureuse que des réprimandes. Impossible de travailler, de grandir, pour un enfant, que ce soit en classe ou à la maison, s'il sent qu'on n'a pas confiance en lui — c'est, du reste, rigoureusement la même chose pour un adulte...

Et nous voilà face à une fameuse contradiction : faire comme si les enfants étaient égaux, alors qu'ils ne le sont pas, c'est aggraver les inégalités. Mais, les considérer comme inégaux, en faire "plus" avec ceux qui en ont moins, semble avoir pour effet de renforcer les inégalités qui les séparent !
C'est que, ce faisant, on oublie qu'ils n'en ont pas "moins" : ils ont autre chose. Tous, ils ont, chacun, des richesses dans leur propre vécu. Ce n'est que par rapport à ceux des milieux favorisés, que les "défavorisés" semblent avoir des manques. En fait, ils sont aussi riches qu'eux : simplement, les richesses ne sont pas les mêmes.
Leur seul vrai drame, c'est qu'ils n'ont pas celles que l'École attend.
C'est incontestable. Pourtant, on peut dire que, celles qu'ils ont, manquent aux "bons élèves" et manquent à leur équilibre.

Pour résoudre cette contradiction, la seule voie à suivre : la mise en commun de toutes ces richesses, c'est-à-dire, le mélange !!
La véritable erreur, gravissime, celle qui "bancalise" le travail en classe, si intelligent et pétri de bonne volonté qu'il soit, c'est le travail individuel, qui les mettant chacun sur la même ligne de départ, qu'ils soient entraînés ou non, ne peut produire que des inégalités à l'arrivée, avec, en prime, — il s'agit d'êtres humains — la conscience des causes de leurs échecs, porte ouverte à la révolte.
C'est donc lui qu'il faut faire disparaître en premier, lui, et tout ce qui s'attache à cette individualisation de l'apprentissage et de son fonctionnement : l'évaluation notée du travail de chaque élève, les aides personnalisées, et les sanctions, toujours individuelles et venues d'en haut, sans qu'aient eu droit à parole ceux qui les subissent.

Concrètement cela demande une organisation, qui ne saurait se borner à "faire du travail de groupe", ce qui, en soi, n'a guère d'intérêt ainsi conçu. Une organisation qui conçoit la classe comme un groupe, engagé collectivement vers un projet commun : la réussite, à la fin de l'année, de chacun de ses membres. Une organisation dont les principes fondateurs sont : la connaissance ("clarté cognitive" chère à J. Fijalkow) avec transparence évidemment, la responsabilité et la confiance.

* Connaissance : d'abord celle du travail qui les attend cette année, avec les moyens nécessaires de documentation et d'information, dont l'apprentissage est primordial. Il s'agit de concrétiser le résultat attendu, ce qu'on appelle la "réussite", avec des moments où l'on fera le point, qui portent le nom de "moments d'évaluation".

* Responsabilité, ce qui implique "liberté" d'agir, de s'informer, de s'entraider ; ce qui implique aussi, en retour, de rendre des comptes régulièrement à l'enseignant. L'ensemble classe + enseignant est responsable de la réussite de tous.

* Confiance : toute notion de responsabilité disparaît s'il y a surveillance. La seule surveillance doit être interne : aux enfants, aidés, au besoin, de l'enseignant, à s'organiser pour s'assurer du bon fonctionnement du travail.

Rien de ceci n'est possible sans la disparition concomitante d'un bon nombre de pratiques scolaires, si ancrées dans les habitudes, que leur toxicité s'est diluée dans la routine aux yeux des collègues.
Elles seront évoquées dans les billets prochains.
A suivre.