Depuis bientôt cinq ans, notre gouvernement a su utiliser divers moyens, et notamment la pandémie et les tensions qu'elle engendre, avec les peurs diverses qu'elle crée, pour installer un climat d'autoritarisme prétendument pragmatique, mâtiné de prétendue science, le tout enveloppé d'un discours endormeur, destiné, selon le mot d'Aldous Huxley à "faire aimer aux gens leur servitude", notamment à l'école.

Dans le billet cité plus haut, nous évoquions les "réformes" de Blanquer, qui, toutes, sont imposées sans négociation et installent des pratiques scolaires autoritaires : servitude à tous les étages.
Mais cela ne doit pas faire oublier la réalité : inhumaine, l'école l'est depuis ses débuts, et ce, malgré la bonne volonté des enseignants, qui, tous, avec évidemment la formation qu'ils ont reçue, font le maximum pour aider les enfants dans leurs apprentissages : le ministre n'a fait qu'amplifier l'inhumanité.
Sanctifiées par la tradition, les pratiques scolaires, dans leur grande majorité, oublient régulièrement les enfants qui se cachent sous les élèves, et sont traumatisantes pour eux.
Prenons quelques exemples.

Quoi de plus normal et innocent que ce rituel incontournable de début de séance, par lequel un des élèves est appelé au tableau, pour répondre à des questions du maître ?
Dans les temps très anciens, une des punitions officielles des contrevenants consistait à exposer le fautif à la risée du public, dans une situation difficile et ridicule, la tête coincée dans un étau : c'était le "pilori". Même si l'on retire le dernier raffinement de cruauté, la tête dans l'étau, on admettra que le plus douloureux de la situation reste là : c'est l'exposition à la risée des autres.
Ne pensez-vous pas que planter un élève, de préférence "en difficulté", sur une estrade, face à toute sa classe, pour qu'il sèche devant tout le monde, a comme un relent de situation comparable ?
Et que dire de rendre les copies corrigées, devant toute la classe, accompagnées de commentaires plus ou moins goguenards ? Cela ne relève-t-il pas, quelque peu, d'une cruauté proche ?
Ou ce moment, considéré comme charitable, où l'instit' compatissante, s'acharne à vouloir à tout prix que l'enfant trouve la solution, alors que celui-ci n'a qu'une hâte, qu'on le laisse tranquille, tandis que les autres s'ennuient ou ricanent... Ne peut-il pas être vécu par l'élève comme une torture ?
Quiconque n'a pas complètement oublié sa vie d'élève admet que c'étaient là des moments atroces.

D'aucuns pensent peut-être, ici, que ces analyses ont déjà été faites...
Certes, mais comme disait André Gide : "Toutes choses sont dites déjà; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer".

Car enfin, à quoi servent les interrogations au tableau ? Ce ne sont pas des "évaluations", elles n'apportent aucune information, ni à l'enseignant, ni à l'élève interrogé, ni au reste de la classe... Livrer, à tous, les commentaires magistraux et plaisants de chaque copie, est-ce utile aux élèves ou à l'égo du correcteur ?
S'acharner sur un gamin qui n'en peut plus, pour qu'il trouve ce qu'il n'est plus en état de trouver, c'est pour le bien de qui ? N'est-ce pas plutôt la petite satisfaction d'un égoïsme inconscient, jouant avec son pouvoir sur un être soumis, pour qu'il cède enfin ?
Et les notes affectées aux productions des élèves, apportent-elles à ceux-ci une quelconque aide dans leur travail ? Le classement qui s'ensuit est-il autre chose qu'une vaste tromperie, alors qu'il met en jeu l'essentiel de leur avenir ? Quelle légitimité peut-on y trouver ? Elles se révèlent aussi dangereuses, qu'elles soient "bonnes" ou non, car on ne peut leur accorder aucune confiance, dépendantes comme elles le sont des aléas de l'humeur et du degré de fatigue du correcteur.
Considérer qu'on peut jouer ainsi avec l'avenir des élèves et avec leur souffrance, c'est oublier qu'il s'agit d'enfants, d'adolescents, d'être humains. Ce sont là choses inhumaines. Rien ne peut les justifier. Il faut donc qu'elles cessent.

Nos élèves sont des personnes ; ces personnes sont nos égales. Parce qu'elles sont mineures, nous en sommes responsables. Mais nous n'avons aucun pouvoir sur elles, même si nous l'oublions trop souvent.
Nous avons à les aider à apprendre. C'est le sens de notre métier d'enseignants.
Chaque année, nous signons avec nos élèves un contrat d'apprentissageS, sur la base d'un programme officiel de connaissances à acquérir, que nous avons à leur présenter, dès la rentrée, pour qu'ils puissent l'installer dans leur propre bagage.
Notre tâche consiste à réunir les conditions nécessaires à cette installation.
Cela veut dire, répondre à leurs questions — donc, faire en sorte qu'il en aient à poser — leur proposer des stratégies, toujours plurielles, à expérimenter pour se les approprier. Nous avons à leur apporter de la documentation, à mettre nos savoirs à leur disposition, et non, comme on l'a trop longtemps cru, à les leur faire avaler, plus ou moins de force.
Nous n'avons pas à les juger, ni à contrôler leurs acquis, mais à les aider à faire eux-mêmes le point sur leurs progrès, pour qu'ils apprennent à se connaître.
Nous sommes là pour les aider à grandir.
C'est tout.

Et c'est énorme, car nous travaillons sur de l'humain, chose fragile s'il en est.
Ne l'abîmons pas.