Voici ce billet daté du 24 Janvier.

Un article de France Info relève des dysfonctionnement dans la prise en charge de classes par des contractuels, embauchés bien vite et abandonnés sans aucune formation. En effet, une partie de l'opinion publique, et surtout les médias, semblent considérer notre métier comme une "occupation", pas comme un MÉTIER.
Sur France 3, un reportage posait un regard admiratif sur une enseignante allemande qui passe le balai dans sa salle le midi.
C'est ça qu'on attend d'un enseignant, passer le balai ?
Parce qu'alors on peut se calmer tout de suite : je le passe aussi, le balai, même si le personnel d'entretien nettoie les salles (et le fait très bien). Mais sept heures dans une classe avec des moments de découpage et des retours de récré-foot, ça salit, et oui, je nettoie en cours de journée pour que la salle reste agréable et pour que ma collègue qui nettoie ne soit pas encore plus submergée de travail, au sein d'une équipe en sous-nombre. Ça fait de moi une bonne enseignante, ça ?
Non.
Ça fait de moi une personne qui n'aime pas que ce soit crade et qui essaie de respecter les autres.

En revanche, en tant qu'enseignante, je m'applique à lire des travaux de recherche, me former, me tenir au courant des nouveautés (en pédagogie, didactique, sciences de l'éducation, psychologie, etc.), échanger avec mes collègues, lire les documents institutionnels, développer mes connaissances dans ma discipline, débusquer des ressources pour faire mieux pour mes élèves.
Je prépare mes cours, je les adapte quand ça cloche, je peaufine les supports dans le fond et dans la forme, je me prends le chou pour construire des évaluations pertinentes, ambitieuses et valides, je corrige des copies, je prévoie les différenciations et les adaptations nécessaires pour la classe et pour hors la classe. Je réfléchis à comment expliquer tel ou tel point, je le mets en œuvre...
Je sais faire travailler un groupe de 30 jeunes, aider à résoudre les conflits, réconforter ceux qui vont mal et se laissent approcher. Je me tiens disponible pour échanger avec les parents, éducateurs, professionnels de santé pour permettre aux enfants de dépasser leurs difficultés éventuelles.
Et je ne suis pas une exception : je fais mon METIER.
Une personne balancée dans ce métier ne peut pas deviner les gestes professionnels indispensables, les codes, les règles, les contenus curriculaires. Il serait temps de le remarquer...


J'ajoute : "Et de le dire, haut et fort !!"
Ce que je trouve de plus remarquable dans cette description du métier de professeur, c'est que sa première caractéristique soit, pour son auteur, la lecture de travaux de recherche, la formation continue, et les échanges avec ses collègues.
On ne lit pas souvent cela sur notre métier ; c'est pourtant ce qui se rapproche le plus de ce qu'il doit être : une constante ouverture sur la remise en question, le doute, et la nécessité de réadapter constamment le travail aux élèves hic et nunc.
Notre métier n'est en rien un métier d'exécutants, encore moins celui de livreur de paquets de savoirs tout prêts.
Et quand un triste sire, se prétendant candidat à l'élection présidentielle, déclare que, s'il est élu, il rendra au Ministère son nom d'avant 1936, celui de "ministère de l'Instruction Publique", les enseignants ayant à transmettre des savoirs et non à conduire une éducation qui ne les regarderait pas, on ne peut que s'insurger devant tant d'ignorance.

Sachez, monsieur le Triste Sire, qu'il est impossible d'enseigner sans éduquer : la moindre activité scolaire est un acte éducatif, et qu'on le veuille ou non.
La preuve ?
Quels que soient les choix de l'enseignant — travail individuel, ou travail en groupes solidaires ; travail noté, ou travail dans le seul but de mieux comprendre ; avec entraide conseillée ou avec interdiction de "copier"; avec documentation disponible, ou interdite — celui-ci installe des habitudes, des mentalités, des comportements relationnels, de fraternité ou d'égoïsme.
Dans tous les cas, cela s'appelle "éduquer".
En obligeant les enfants à travailler de mémoire, sans vérification, comme la tradition le lui impose, l'enseignant les habitue à l'à peu près, à la facilité, malhonnête, du "on verra bien". En installant au contraire, comme un devoir, le fait de douter de ce qu'il croit savoir, et de le vérifier dans les dictionnaire et autres documentation, il leur donne l'habitude de l'exigence et de la rigueur.
Dans tous les cas, cela s'appelle "éduquer".
C'est même plus qu'une éducation, c'est une formation civique : on prépare avec ces choix, soit une société d'excellence, parfaitement inégalitaire, qui est la nôtre depuis deux siècles, soit celle qu'implique la devise inscrite aux frontons de ses monuments, dont la France s'enorgueillit, mais sans l'appliquer : depuis qu'elle existe, l'école éduque à la compétition, la sélection des forts et des faibles ; elle forme au "chacun pour soi".

Il faut dire qu'elle est née tout encombrée d'une contradiction intrinsèque — elle doit diffuser le savoir, mais, comme le savoir, mis entre toutes les mains, est dangereux pour le Pouvoir, il ne doit pas être à la porté de tous. Du coup, elle se dépêtre mal de ces nœuds et, dirigée par un pouvoir largement non démocratique, même s'il se prétend tel, elle entraîne les enseignants dans un système vertical, de plus en plus autoritaire, parfaitement incompatible avec sa mission d'origine, et qui la rend aveugle sur ce qu'elle fait, malgré elle.
C'est que l'échec scolaire, loin d'être une fatalité, issue des différences de naissance, contre lequel, il faudrait "lutter" — comme on le lui fait croire — est, depuis le début, en France, bel et bien PRÉVU, pour permettre un écrémage social des réussites, grâce à des pratiques conçues pour cela. Ces pratiques sont connues : ce blog les a détaillées dans un récent billet (celui du 2 janvier)
C'est donc contre elles qu'il faut agir, en les faisant disparaître de l'école.
Débarrassée d'elles, l'École pourra alors s'engager dans la voie de la Démocratie, où le savoir, même donné à tous, — parce qu'il est donné à tous — ne peut plus présenter de danger pour le pouvoir, celui-ci étant partagé.

Depuis que Jean, Alain et Lionel ont quitté le ministère, (Les trois qui avaient réussi à entrouvrir la porte de l'École à la Démocratie, porte aussitôt refermée, par élimination des audacieux, qu'on a vite fait disparaître) notre beau métier n'a cessé d'être dégradé, sali, détourné de sa fonction, pour, finalement, être piétiné au sol, défiguré par d'absurdes réformes, trouvailles du dernier de leurs successeurs.
C'est donc le balai — et même plusieurs — dont il faut s'armer d'abord, mais sans oublier la truelle : il y a tant à reconstruire !