«Parce que les différences entre les élèves ne sont pas naturelles, mais socialement construites, et que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, l’idée que tous les élèves sont capables d’entrer dans les apprentissages scolaires doit, selon nous, être à la base du projet éducatif.»
C’était, en 2013, les propos — remarquables — de la vice-présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, Brigitte Gonthier-Maurin, pour défendre l’introduction de ce principe dans la loi, après la première lecture du projet par l’Assemblée.
Sans être rejetée, cette formulation suscita à l'époque de vifs débats, au Sénat, puis de nouveau à l'Assemblée, lors de son retour final, avec le député "Reiss", qui déclara :
« Le Sénat a fait de l’article L.111-1 du code de l’éducation un article généreux puisqu’il attribue de multiples missions à l’école : accueillir les enfants, quelle que soit leur provenance et quel que soit leur milieu, développer l’inclusion, c’est-à-dire l’accueil des enfants handicapés. Nous estimons qu’inculquer le goût de l’effort et le respect de l’autorité est tout aussi indispensable pour permettre à l’élève de progresser : pour réussir, celui-ci a besoin de s’impliquer dans son travail scolaire et de fournir des efforts. Tous les enfants partagent la capacité d’apprendre, mais ils doivent acquérir ce goût de l’effort. C’est aussi la mission de l’école que de le transmettre ».
A cette affirmation, le député, Patrick Hetzel, qui fut recteur, ajouta : « Il nous semble donc important que cela y figure car, pour nous, l’effort et le respect de l’autorité sont des valeurs qui ont du sens.»
L'amendement fut quand même rejeté cette année-là, mais Dominique Momiron observe dans les discours de plusieurs candidats aujourd'hui, un retour de la dialectique politique entre droits et devoirs. Il nous annonce de nouveaux articles développant ce point.
En attendant, il me semble nécessaire de réfléchir à ce que peut signifier en profondeur une telle demande, pour l'école.

Pourquoi faudrait-il que le droit d'apprendre, s'accompagne, pour tous les enfants, d'un devoir, celui d'avoir le goût de l'effort ?

On peut noter, au passage, la bizarrerie que représente cette mission nouvelle de l'école, jusqu'ici, absente des programmes, celle de "transmettre le goût de l'effort" aux enfants.
D'abord, un goût, ça ne se transmet pas, sinon par les gènes.
Ensuite, l'effort, peut-il être l'objet d'un "goût"? Peut-on aimer l'effort ? Certes quelques "mazo", généralement sportifs, disent aimer fournir des efforts. Mais, en général, les efforts, que nous faisons, sont rarement objets d'amour : ils nous ont été imposés par la nécessité inhérente à ce que nous avons à obtenir, ou par des craintes diverses (blessures, sanctions, perte d'emploi etc.)
Dans tous les cas, cela n'a rien à voir avec l'école et l'enseignement.

Alors que peut signifier cette demande d'amendement à la loi de l'école inclusive, qui risque fort d'être ajouté, un de ces jours, à la loi.
Inutile de creuser longtemps : la réponse saute aux yeux, lumineuse. Un tel amendement fait tout simplement disparaître le sens de la loi : si le droit accordé à tous les enfants d'être accueillis à l'école pour y acquérir les savoirs nécessaires à leur liberté plus tard, est soumis à une condition, quelle qu'elle soit, cela entraîne évidemment qu'ils ne seront pas tous accueillis, et l'on sait lesquels resteront à la porte.
C'est du reste probablement pour cette conséquence d'une logique imparable que l'amendement a été rejeté jusqu'ici.
Mais, et c'est là que le bât blesse : on connaît les astuces de contournement de logiques qu'on croyait imparables : l'école française les subit depuis 2017, au format XXL.

Quant à la notion "d'effort", inséparable de celle de "mérite", si chère aux discours actuels, amusons-nous à la creuser un peu.
"Qui veut, peut" dit le proverbe. Comme tous les proverbes, il se trompe sur l'essentiel. Personnellement, j'en ai vécu récemment une preuve de plus : une jeune amie, très chère, qui vivait, depuis des mois, et avec un grand courage, le calvaire d'une affreuse maladie, et à qui je venais de dire "Tu dois continuer à te battre !", m'a répondu, d'une voix infiniment lasse "je n'en ai plus la force".
Non ! Il ne suffit pas de vouloir : il faut pouvoir vouloir !
Tout le monde ne le peut pas. Et dans toutes sortes de situations, notamment celles qui concernent le fait d'apprendre. On peut se forcer à faire la vaisselle, à réparer ce qui est cassé, à faire un voyage nécessaire ; on ne peut pas se forcer à apprendre, ni à comprendre. On ne peut pas non plus se forcer à vouloir.
Et toutes les admonestations des parents et enseignants, pour que l'élève "fasse un effort m'ont toujours paru déplacées et choquantes : l'effort, ce n'est pas à lui de le faire ; ce serait plutôt à l'enseignant, pour qu'il trouve un autre moyen d'aider le gamin !
En fait le seul "effort" qu'on est en droit — non de demander — mais d'espérer de la part des enfants à l'école, c'est leur "motivation", — cette chose bizarre, qui nous pousse à faire librement des actions que nous n'aimons pas et dont nous n'avons nulle envie, parce que nous les jugeons nécessaires.

C'est par sens du devoir, évidemment !, diront les "bien pensants", qui ne pensent pas assez.

Pas du tout !! Rien à voir avec le Devoir, notion inventée pour renforcer le système de soumission du peuple. C'est pour NOTRE plaisir, que nous les jugeons nécessaires : un plaisir plus grand, plus tard, et plus intelligent. Être motivé, c'est être devenu capable de différer ce qui nous plaît, en le préférant construit et voulu, à celui, immédiat, qui se présente.

Oui, apprendre, ça fait peur, et l'on n'en a guère envie. Mais savoir, ça, c'est formidable ! Or, pour savoir, il faut apprendre. La mission de l'école, c'est de faire découvrir cette vérité, tout en œuvrant pour que ce travail d'apprentissage soit le plus "motivant" possible, à tous les enfants.
Or, on sait que "motivation" implique "responsabilité". Donc, le seul moyen d'obtenir un vraie motivation à apprendre, chez tous les enfants, c'est que la Démocratie entre à l'école...