A la question qu'il pose, l'ami Charles, affirmant qu'il n'en a pas les réponses, donne toutefois un certain nombre de propositions, issues de son travail personnel :
1- Faire déchiffrer sur des textes trop simples excluant tout implicite (5 premiers mois du CP),en donnant des règles d’assemblage simples et s’appliquant sans exception aux textes lus. Et automatiser les procédures de déchiffrage en les rendant quasiment réflexes. Un temps quotidien est indispensable et en plus les élèves adorent répéter ce qu’ils maîtrisent (B+A = BA, par ex.).

L'idée n'est pas sans intérêt : on observe un effort louable, pour s'appuyer sur du "facile", "faisable" pour des enfants de cet âge.
Il est pourtant aisé de voir où le bât blesse : ces textes, trop simples, sont artificiels, donc très loin de la "vraie lecture", et surtout, les moyens offerts — l'automatisation des procédures de déchiffrage — sont loin d'être toujours efficaces, étant même assez dangereux, tant le nombre "d'exceptions" est grand.
De ce fait, on manque d'arguments pour affirmer que ce départ si éloigné de l'objectif visé, peut placer l'enfant sur la bonne route pour l'atteindre.
On se heurte ici à un problème de fond qui fut largement débattu dans les années 70, lors de l'engouement pour une "pédagogie par objectifs" : celui de savoir si, en pédagogie, il existe, ou non, des objectifs intermédiaires, et si travailler par étapes est chose efficace. A l'INRP, après moult débats avec les collègues de terrain et analyses de pratiques diverses, nous sommes arrivés à cette hypothèse, jamais démentie depuis, qu'en pédagogie, il n'y a pas d'étapes intermédiaires : seul l'objectif final doit être visé, et ce, dès les tout premiers débuts. Les évaluations formatives ne doivent alors pointer, non une étape atteinte, mais la dimension de chemin parcouru, avec celle qui reste à parcourir. Il s'agit de poser la question : "Où en est-on sur la route qui va vers la lecture experte ?

2- Faire comprendre que l’écrit raconte quelque chose qui est – peut être- intéressant en lisant des histoires aux CP puis en en parlant avec eux, longuement.
- Parler des textes à lire et des textes lus au cours d’échanges de préférence contradictoires centrés sur le " Qu’est-ce que ça veut dire ?"


Cette proposition me semble excellente, et véritablement indispensable : non seulement, elle permet d'approfondir la lecture effectuée et d'en "fixer" la compréhension, en rappelant l'essentiel, mais elle favorise ce travail, qui apparaît de plus en plus nécessaire aux apprentissages, celui d'installer le "méta-savoir", qui, seul, transforme les acquis nouveaux, en connaissances solides.

3- Lire, lire et encore lire des textes d’un niveau inférieur au niveau supposé des élèves. - Lire, lire et encore lire des textes un peu plus longs que ce que les enfants sont jugés capables de lire.

On ne peut qu'être d'accord, sur la formule "lire et encore lire". J'aime moins la notion de "niveau inférieur" — ou non — des textes lus. Outre que cette notion manque singulièrement de rigueur, je continue à ignorer ce qu'est un texte prétendu "facile", si ce n'est qu'il appartient ou non à l'environnement des enfants.
En revanche, j'aime bien le fait d'introduire la notion de longueur dans les textes lus : apprendre à apprivoiser la longueur des textes doit être l'objectif majeur du travail en lecture au collège. Il importe donc d'avoir commencé dès le CM d'école primaire.

4- Quant à la dernière proposition : Et, bien entendu, mener déchiffrage et compréhension en parallèle absolu même si on lit "Papa fume la pipe".

D'abord "Papa fume la pipe" n'est pas un objet de "lecture". C'est un objet de déchiffrage, totalement dépourvu de tout intérêt.
Ensuite, cette proposition devient, pour moi hors sujet, puisque je suis profondément convaincue, que le déchiffrage est un obstacle au travail de compréhension, et ce, pour deux raisons, étroitement liées : la première, qu'il donne à l'enfant, un fallacieux sentiment d'avoir "LU", tuant le besoin d'aller plus loin ; la seconde, d'avoir mis en route un mécanisme d'association des lettres, incompatible avec le travail de raisonnement qu'exige la "compréhension".

5- Je ne souscris pas non plus entièrement à la dernière remarque de notre collègue :
Sinon, je vous assure que les élèves comprenaient ce qu’ils lisaient. Peut-être parce qu’on les sécurisait en leur épargnant la moindre devinette, le moindre recours à un contexte n’ayant aucune existence objective (puisque variant avec chaque lecteur).

J'aime infiniment la notion de sécurisation des élèves, mais j'avoue moins bien suivre l'idée que le déchiffrage serait ce qui les sécurise. Pour moi, c'est une grave supercherie que de le leur faire croire. Ce qui les sécurise, c'est de lire des écrits où ils se reconnaissent, de permettre l'entraide pour y entrer, et de déculpabiliser l'erreur.
Pour ce qui est de la compréhension, les choses sont délicates : comprendre est un verbe qu'on a du mal à comprendre. Les seules preuves qu'on puisse avoir de la "compréhension" des élèves, c'est leur capacité à reformuler ce qu'ils ont lu, tout en justifiant cette reformulation — entre autres, par le recours au contexte, indispensable à la compréhension — ainsi que leur capacité à formuler un jugement d'accord ou non avec les affirmations lues.
Quant à la phrase "en leur épargnant la moindre devinette", elle fait sourire, oubliant que "comprendre" un message, n'est pas en reconnaître les mots; mais repose sur un raisonnement, qui, vu de loin, et non accompagné d'une justification, ressemble fort à une "devinette".
Une devinette que l'élève est capable de justifier, c'est un bonheur sans mélange pour le maître...

Encore bien des sujets de débats...
Et c'est un grand plaisir, dont nous remercions l'ami Charles de nous l'avoir offert.