Gide, du haut d'un bon sens sans défaut, affirmait : " Tout est dit, mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer".
Recommençons donc.

En avril dernier, sous un titre un peu grandiloquent, je l'admets, ce blog demandait que l'on sauvât l'école, pour sauver la démocratie, dont nous savons, tous, combien elle est en danger, sous l'indifférence résignée du public.
Il y était proposé un certain nombre de modifications des pratiques, susceptibles d'entraîner, derrière elles, des décisions plus importantes.
Il ne semble pas inutile de les rappeler ici, n'ayant, malheureusement pas le sentiment que les choses aient beaucoup changé depuis avril. Je reprends donc ce qui était proposé en avril dernier, et j'y apporte quelques précisions, pour aider les collègues, dès la rentrée :

Sil'on se met à chercher ce qui ne va pas dans un système donné, on découvre que ce sont souvent des interdictions : c'est en les remettant en question que commencent en général les grandes libérations.
Or, on découvre que l'école est bardée d'interdits... Cela en dit long sur les liens entre démocratie et école ! (Voir l'ouvrage "Pour que la démocratie entre à l'école" Ed. du Croquant 2021)
Pour se libérer, ce sont donc ces interdictions qu'il faut d'abord supprimer. par exemple :

* Pourquoi est-il interdit de "copier" sur son voisin ? Où est le crime ?
Il est qu'il dérange le principe abominable et sacré de la sélection scolaire : les "bons", ceux qui savent répondre, ceux qui ont le bonne réponse, il faut qu'on puisse les reconnaître, qu'ils puissent rester les bons, face à ceux qui ne le sont pas : il faut que ça se voie. Sinon, comment saurait-on qu'ils le sont ? Si on se met à installer une entr'aide mutuelle permanente, tout va être mélangé et on ne saura plus où sont les mauvais, ceux qui ne savent pas répondre, pour les punir.
Or, on sait bien, dès qu'on réfléchit, tant soit peu, que la différence entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, n'est qu'une différence de "chances", rien d'autre : le premier est né au bon endroit, et l'autre, là où il aurait fallu éviter.
La seule solution, c'est de mélanger les deux, pour que chacun s'enrichisse de l'autre, car chacun a des richesses qui manquent évidemment à l'autre : donc travailler toujours en équipe, ce qui implique que l'on se défasse de cette manie de toujours vouloir savoir qui a fait quoi...
Il n'y a pas si longtemps, j'ai encore entendu cette remarque "avec le travail de groupe, on ne peut pas savoir qui a eu les bonnes idées". Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire, puisque maintenant, c'est tout le groupe qui les a ?

* Pourquoi n'a-t-on généralement pas le droit de se documenter pour faire un devoir en classe ? Notamment quand il s'agit d'une "évaluation" ?
Il me semble que la documentation est là pour ça, non ?
Savoir se servir de la documentation, — ce qui n'est pas si facile que ça ! — fait partie des savoirs nécessaires et il n'est jamais prudent de s'en passer. Exiger que les élèves travaillent "de mémoire" — alors qu'aucun enseignant ne le fait ! — est, à la fois, une attente scandaleuse et une ahurissante contradiction : le risque de commettre une erreur est considérablement augmenté, sans qu'on puisse y voir le moindre intérêt, si ce n'est le plaisir, particulièrement malsain, de mettre les enfants devant une difficulté supplémentaire.

Autre question : pourquoi les enseignants s'obstinent-ils à féliciter celui qui ne se documente pas ? Parce qu'il "sait" et que cela mérite des félicitations ? Je dirais plutôt, parce qu'il a la flemme de vérifier ce qu'il croit savoir... Et, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas prudent !
Ah ! Les idées reçues, si absurdes soient-elles, ont la vie dure !
Même si, empêtrés dans nos habitudes, nous avons du mal à l'admettre, solliciter et trouver de l'aide devant une difficulté, car cela fait partie du savoir-faire, et aussi de l'honnêteté ; se fier à sa mémoire est une tentation paresseuse, assez malhonnête, très souvent.

Tout ceci nous conduit à la certitude qu'il faut faire disparaître certaines de nos pratiques habituelles :

* Le fait de lancer les élèves dans une tâche, individuelle, sans avoir préparé ce travail avec eux d'abord.
Etant bien entendu que des "tâches individuelles" ne peuvent être que rarissimes : seules quelques tâches de production d'écrits — et encore, seulement si c'est le souhait d'un élève : elles sont toujours infiniment plus efficaces à plusieurs.
* le fait d'évaluer avec des notes chiffrées, forcément de pure pifométrie (c'est prouvé depuis des lustre).
Ce qui entraîne évidemment la question évaluer ?
Il faut surtout rappeler ici que l'évaluation, dont je pense qu'elle préoccupe un peu trop les collègues (ils ne sont pas seuls !) est loin d'être l'essentiel du travail, même s'il ne saurait être question d'en nier l'utilité : utile ? Oui ; indispensable ? Non.
Il faudra bien finir par admettre qu'il vaut mieux travailler sans évaluer, qu'évaluer ce qui n'a pas vraiment été travaillé. C'est une erreur commise beaucoup trop souvent dans les classes, aggravée encore par les évaluations dites "officielles", aux prétentions scientifiques totalement usurpées, dont s'est targué monsieur Blanquer. De telles évaluations, qui reposent sur des présupposés erronés, sont des impostures, des abus didactiques, dont l'école française a le secret, même, si elle est, sur ce point, bien accompagnée dans le monde.
* Le fait d'évaluer les élèves dans leur dos, sans qu’ils n’aient aucun droit à donner leur avis, ce qui, dès qu'on y réfléchit un peu, apparaît proprement monstrueux : les élèves sont, en droit, les égaux des enseignants, et doivent participer, en tant que tels, aux évaluations qui les concernent. On n'évalue pas des gens sans eux. C'est contraire au respect qu'on doit à des égaux.

On remarquera ici que ces modifications consistent en fait à réinstaller la fraternité dans l'école, aux frontons de laquelle se trouve l'annonce de sa présence dans l'école.
Le vrai progrès serait que cette présence de la devise républicaine au dit-fronton de l'école — présence en fait, purement théorique — devienne effective à l'intérieur de celle-ci.
En plus, cela ne coûtera pas un centime, et rien d'officiel ne s'y oppose...
Alors, qu'est-ce qu'on attend ?