Notre Ministre a dit : "En français, il y a des règles. Il faut les apprendre par cœur".
Mais non, monsieur le Ministre, vous êtes dans l'erreur — plurielle de surcroît :

* D'abord parce qu'il n'y pas de "règles" à appliquer, mais des "usages" dont le rôle est essentiellement social, qu'on n'a aucune raison de devoir "appliquer", mais qu'il faut connaître, évidemment.
* Ensuite parce que ces usages se sont socialement installés, en devenant des pratiques de masse, qu'aucune intervention humaine ne peut plus modifier, sinon pour d'infimes détails : si cette orthographe a pu évoluer et même être modifiée à l'époque (16ème, 17ème, et dix-huitième siècle) où elle a commencé à s'installer, pour ne se stabiliser qu'au 19ème, c'est parce qu'elle était jusque là, le fait du petit nombre de personnes capables d'écrire. Mais, avec l'arrivée de l'école obligatoire, devenue ainsi un usage de masse, elle s'est obligatoirement stabilisée, puisque devenue matière d'enseignement.
* Enfin parce qu'ils ne sont ni logiques, ni évidents, et que, comme tout "usage", ils sont là, et qu'il faut faire avec : l'orthographe est une pratique de masse, et comme toute pratique de ce type, aucune intervention humaine ne peut la modifier : dès lors, tout emploi ne respectant pas les caractéristiques de cet usage devient une faute — non pas linguistique, mais une erreur sociale.

Donc l'affirmation en forme d'ordre, du Ministre, et qui se présente comme un devoir moral, se trompe de présentation.
Du reste, d'où pourraient provenir ces règles prétendument présentées comme obligatoires ? Qui les aurait déclarées ? Au nom de quoi faudrait-il les apprendre par cœur ? Notre ministre oublierait-il que nous sommes en démocratie, et que le public ne doit obéir qu'à des ordres dûment justifiés, à l"élaboration desquels, il a participé ?

Les seules raisons qui justifient cette invitation, sont d'ordre social : ne pas les suivre n'est pas une "faute" morale, c'est une imprudence sociale qui va mettre en difficulté toute communication langagière, et même faire courir à celui qui commet cette imprudence, le risque d'être au ban, sinon de la société tout entière, du moins d'une grande partie d'entre elle, celle des personnes un peu cultivées...
On oublie trop que la vie en société, est comme un jeu à règles : les règles évoquées sont des règles de jeu, sans plus. La seule caractéristique de ce jeu, c'est qu'il est obligatoire, pour tous, et qu'ignorer comment on y joue, c'est, comme pour n'importe quel jeu, se couvrir de ridicule.
Comme le ridicule risque toujours de tuer, il est préférable d'éviter ce type de problème, en prenant un maximum de précautions.

Aussi, plutôt que de vouloir que tout le monde maîtrise l'orthographe — projet irréalisable — s'agit-il d'équiper tous les élèves d'une maîtrise de la recherche des aides orthographiques : maîtrise des dictionnaires, celui d'orthographe d'abord, mais aussi des autres dictionnaires, — notamment celui des verbes : absolument indispensable, le système verbal étant de loin le plus difficile et la cause des erreurs les plus graves — avec la capacité à trouver en quelques seconde ce qu'on y cherche, par un entraînement serré de cette technique.
Nombreux sont du reste les jeux qui favorisent un tel entraînement.
Evidemment, cela implique, entre autres, que ce travail de vérification orthographique soit toujours autorisé, conseillé même, et accessible pendant toute activité d'écriture. Il ne faut pas se tromper d'objectif : celui-ci n'est pas que tout le mode maîtrise l'orthographe (absurde), mais que tout le monde écrive sans erreur ce qui est un tout autre objectif, beaucoup plus aisé à atteindre, si l'on met en place des systèmes efficaces d'aide à l'écriture.
La culture n'est pas de tout savoir, mais de savoir où se trouvent les informations, et d'être capable de les trouver rapidement.
C'est cela qu'il faut dire et redire aux élèves, au lieu de faire ce que je vois trop souvent dans les classes, culpabiliser ceux qui cherchent, en valorisant sans cesse ceux qui savent sans chercher. Ceux qui ne cherchent pas sont souvent des imprudents, fatigués d'avance, qui préfèrent le risque d'erreur à la recherche. Tout au contraire, je souhaite qu'on félicite ceux qui cherchent, notamment quand ils croient savoir, car c'est là, la vraie prudence intelligente.

Ceci dit, il ne faut pas oublier que beaucoup d'adultes, surtout cultivés, assument joyeusement les erreurs et autres coquilles de leurs écrits, y compris écrivains et journalistes, ou se laissent corriger leurs manuscrits chez l'éditeur. Je pense qu'il faut le dire aux jeunes, mais comme une faiblesse d'adultes, se croyant tout permis : vérifier son orthographe est une forme de politesse à l'égard des lecteurs et je trouve important de présenter les choses ainsi à nos élèves : sur bien des points les jeunes ont à en remontrer aux adultes.
La politesse, comme beaucoup d'autres petites choses, si elle revenait à la mode, aurait des conséquences plus que positives, et qui dépassent de beaucoup les problèmes d'orthographe...