On connaît l'argument n°1 qui prétend réponde à cette question, à savoir que dans la dictée le moment le plus important serait la correction. C'est oublier que l'élève, qui a dû imaginer tout seul l'orthographe d'un mot qu'il ignorait, et qui s'est évidemment trompé — car il est impossible de la déduire d'une réflexion logique — lui, ne l'oublie jamais.

L'orthographe est un système qui s'est progressivement installé en France à partir du treizième siècle, pour assurer les échanges commerciaux, alors en plein essor, mais entre des individus ne parlant pas vraiment la même langue parlée. Si bien que, pour se faire comprendre, ils ont utilisé, mêlé, plus ou moins, à leur parler, personnel, le seul "outil langagier" à peu près commun alors, le latin. D'où cet aspect, abondamment critiqué, de l'orthographe française, qui mélange plusieurs origines, donnant un ensemble assez hétéroclite, il faut en convenir.
Mais cet ensemble EST, et il est devenu un usage de masse, si bien qu'on ne peut plus rien en modifier. Il faut donc que chacun l'adopte pour communiquer à distance.
Il s'ensuit qu'il faut par conséquent l'enseigner aux élèves, malgré cet aspect hétéroclite, ce qui n'est pas sans poser un gros problème pédagogique.

Toutes sortes d'études ont démontré que, pour un enfant, l'écriture d'un mot doit correspondre à sa signification, et, si un travail approfondi n'a pas été mené sur l'arbitraire du lien qui unit la forme du mot et son sens (voir Ferdinand de Saussure), cette idée têtue persiste longtemps chez les enfants.
C'est pourquoi on ne peut en déduire d'autre conclusion que, pour maîtriser l'orthographe, il faut éviter à tout prix d'être contraint de l'inventer, et qu'il est nécessaire, au contraire, de chercher à résoudre chacune des difficultés, rencontrées dans l'écriture, non par la réflexion, ici peu utile et très peu fiable, car il ne peut s'agir en fait que de mémoire, mais par la vérification dans un dictionnaire d'orthographe.

Contrairement à ce qui est parfois entendu, la mémoire est ce qu'on possède de moins sérieux, de moins fidèle, et l'on doit apprendre aux enfants à s'en méfier, pour vérifier encore et toujours, par le retour aux documents écrits, notamment aux dictionnaires. Cela se nomme "l'honnêteté intellectuelle", voire l'honnêteté tout court.
On notera que la tradition scolaire, — suivie sur ce point par les Ministres de l'Education Nationale — qui, on le sait, se place, souvent et résolument, aux antipodes du bon sens, interdit habituellement cette pratique, notamment durant les dictées — ce qui fait dire aux mauvais esprits dont je suis, que la dictée handicape fortement la maîtrise de l'orthographe, en provoquant des erreurs d'écriture, qui, comme toute invention personnelle, restent solidement dans les souvenirs.

Voilà pourquoi, depuis des années, je crois indispensable de se battre contre une pratique scolaire, qui, animée de bons sentiments, veut que les enfants maîtrisent l'orthographe, ce qui est proprement impossible. Quelques adultes y parviennent, mais les enfants, eux, sont en apprentissage jusqu'à la fin de leur scolarité : il ne faut jamais l'oublier.
Ils ont donc besoin du dictionnaire, dont on notera que c'est un formidable moyen d'apprendre et de confirmer la connaissance de l'orthographe, et pas seulement : la richesse du vocabulaire et l'aisance de la documentation s'y enrichissent. Et l'on commet une lourde erreur en valorisant ceux qui ne cherchent pas, sous prétexte qu'ils savent, ou plutôt croient savoir...
Du reste bien des adultes (dont je suis) continuent de vérifier dans les dictionnaires ce qu'ils pensent savoir : c'est une question de prudence.
Rappelons qu'aujourd'hui, c'est encore plus facile, avec Internet ! Il est donc nécessaire d'installer plusieurs pratiques essentielles :

1- que des dictionnaires soient à leur disposition de façon permanente, en classe et, si possible, chez eux.
2- qu'un apprentissage de son utilisation soit mis en place dès le CE2, c'est-à-dire dès que les enfants ont acquis leur autonomie de lecture. Un apprentissage en étroite liaison avec celui de la documentation : apprendre à se documenter ne va pas de soi et il doit commencer dès cet âge.
3- que les enfants apprennent à trouver ce qu'ils cherchent sur Internet : tout le monde peut y avoir accès, au moins par le biais des cyber-cafés.
4- qu'une autre manière de travailler soit également mise en place : que les enfants bénéficient d'une large autonomie dans leur travail et qu'ils puissent se déplacer librement à la recherche de la documentation. Là aussi, on notera que la tradition scolaire fait, et depuis toujours, l'inverse.
5- Et surtout qu'on cesse de faire constamment appel à leur mémoire. Outre que celle-ci peut être fort différemment présente chez les enfants, elle n'est jamais fiable à cent pour cent, et doit faire l'objet de vérification, même quand elle donne l'impression de l'être.
N'oublions pas que "savoir", ce n'est pas "se rappeler"; c'est avoir en soi, presque naturellement. Pour y parvenir, il faut passer par la pratique d'une documentation sans cesse recommencée.
6- Et enfin, qu'on cesse de faire des dictées, ces machines à enregistrer des erreurs, inutiles et dangereuses, et qu'à la place on travaille l'orthographe des textes qu'on lit, en regardant comment ils sont écrits et pourquoi, ils s'écrivent comme cela.
C'est par des activités de justification de graphies, — et non par des dictées, qu'on finit par comprendre et maîtriser l'orthographe française.

Souhaitons à la nouvelle année d'avoir l'audace de favoriser l'école qui mettra en œuvre ces données...