Ce matin, le Café Pédagogique a donné la parole à Jean-Pierre Jaffré, chercheur bien connu sur cette question, qui propose "une vraie pédagogie de l'orthographe".
Ce qu'il propose, en lieu et place de la dictée, dont il conteste l'efficacité, — avec raison, me semble -t-il ! — en tant que pédagogie orthographique, est un travail approfondi à partir des textes produits par les élèves : C’est en effet à partir de ces textes que les enseignants pourront organiser des détours didactiques, des « décrochages » inspirés par les points fautifs des dites productions.

Proposition intéressante, intelligente, infiniment plus que la fameuse dictée, mais qui me laisse quand même sur ma faim. Pourquoi ? Parce que, une fois de plus, et comme pour la dictée, on va s'appuyer sur les erreurs des élèves. Travailler sur les erreurs, moi, ça me chiffonne. Et pour au moins trois raisons.

* La première, c'est que des erreurs, c'est négatif et que, les corriger c'est enfoncer le clou négatif. Entendons-nous bien : la correction d'une erreur venant d'un mauvais raisonnement, et qui invite ainsi à revenir sur ce raisonnement pour repérer où il a trébuché, c'est excellent. Mais corriger une erreur venant d'une mémoire défaillante, ou d'une connaissance insuffisante, c'est largement inefficace : on n'oublie pas ce qu'on a été contraint d'inventer.

* On va me rétorquer que l'orthographe grammaticale, elle, au moins, pose peu de problèmes car elle s'obtient par un raisonnement : les enfants jouent. Soit ! Les enfants, c'est au pluriel, donc [jou] doit l'être aussi...
En fait, ce n'est différent qu'en apparence : le raisonnement me rappelle que le sujet étant pluriel, le verbe doit porter les marques de pluriel. Bon ! Mais quelles elles sont, et pourquoi elles ne sont pas les mêmes sur le verbe et sur son sujet, la règle apprise ne me dit absolument rien, sur des détails, essentiels au demeurant.
Donc, même là, on se heurte à l'arbitraire de l'orthographe lexicale.
Force est d'admettre que TOUTE l'orthographe est arbitraire : dans l'orthographe grammaticale, ce qui est grammatical, c'est la grammaire ! Mais l'orthographe, elle, est arbitraire, elle se traduit par des marques qui ne vont pas de soi, qu'il faut connaître et dont il faut se souvenir.

* C'est pourquoi, ces marques spécifiques, que seule, l'habitude de les voir ainsi sur les mots, va me permettre de retenir, il ne faut pas qu'elles soient brouillées par d'autres images de ces mêmes mots, écrits autrement.
C'est la raison pour laquelle je considère que la première exigence d'une pédagogie efficace de l'orthographe, c'est d'être une pédagogie de la prévention des erreurs, pour éviter que les élèves n'en voient, dans toute activité d'écriture.
Il faut, à tout prix, protéger le regard orthographique des enfants.
D'où la nécessité de pouvoir vérifier facilement et donc rectifier rapidement les erreurs, pour qu'on les oublie au plus vite.

* C'est aussi pourquoi, je n'apprécie pas le travail d'analyse des erreurs que beaucoup pensent utile. Voir des mots écrits de travers, c'est toxique pour le regard orthographique des enfants. Je préfère, de beaucoup, le travail sur les textes lus dont on analyse les choix orthographiques pour les justifier.
Autant je trouve inutile et dangereux de contempler des erreurs, même si c'est pour expliquer en quoi elles en sont, autant je suis persuadée que, justifier des graphies satisfaisantes et expliquer pourquoi elles le sont, est bénéfique, à la fois, sur l'image que les enfants vont garder des mots et textes ainsi commentés, et sur leur maîtrise de l'orthographe. C'est ainsi, je le pense vraiment pour y avoir travaillé énormément (en fait depuis 1979, date de mon premier ouvrage sur ce thème "L'orthographe à l'école" Ed. Nathan), qu'on peut apprendre l'orthographe, sans dictées et sans pleurs.

On a noté que de telles pratiques ne nécessitent ni évaluation, ni notes.
Pour les enfants, reconnaissons que c'est tout bénéfice !