Comme disait Charles de Gaulle, les Français n'ont pas la mémoire de leur passé. On peut ajouter : surtout celui de leur école. Et notre Ministre de celle-ci, Gabriel, bat tous les records sur ce point.
C'est un reproche grave : ça ne se fait pas d'occuper un poste dont on ignore le passé. Comment peut-on oser prendre des décisions sur un domaine si l'on ignore ce qui y a été fait avant ?
Ce sont malheureusement des scrupules qui ne dérangent point nos ministres.

Alors, à propos des groupes de niveaux, faisons un peu d'histoire de l'école, en même temps que deux sous de psychopédagogie : Gabriel Attal, et même sa compagne-remplaçante au ministère, quoique légèrement moins ignare, en ont grand besoin.
A commencer par une notion qui semble bien oubliée aujourd'hui, celle du "rythme d'apprentissage", qui a été mise en lumière par les travaux de Jean-Pierre Changeux, dans les années 70-80.
Ça ne date pas d'aujourd'hui !
Et non, et c'est bien dommage, car cela permettrait un optimisme pour l'avenir de l'école, qu'on est loin d'avoir...
C'est lui, en effet, qui nous a permis, alors, de découvrir des vérités, dont l'ignorance actuelle est responsable de décisions aberrantes. Par exemple, le fait que les enfants n'ont pas tous le même rythme d'apprentissage, et que, pour chacun d'eux, ce rythme varie d'un moment à un autre, avec des périodes de progrès, procédant par bonds, suivis de périodes de repos et même de régression, parfaitement normales.
Il s'ensuit de ce constat, entre autres, que, si l'on veut éviter les injustices que ces différences entraîneraient, en cas de traitement uniforme des élèves, force est d'admettre que l'année est une durée beaucoup trop courte, pour couvrir les besoins de tous les enfants. C'est pourquoi, à partir de ces travaux, il parut évident à l'époque, que, puisque l'année est une durée trop courte pour être l'unité de "période" de travail, il devient nécessaire de porter la durée de chaque "période" à trois années, laissant la liberté aux écoles, et groupes d'enseignants, de les organiser en fonction des besoins qui apparaissaient.
Ainsi étaient respectées les différences de vitesse des enfants, et une grande souplesse installée dans l'organisation de ces périodes, avec une liberté importante accordée aux enseignants, sur ce point.
On aimerait bien que ce respect revienne, aujourd'hui...
On en est loin.
Du reste, un tel respect du fonctionnement des élèves, comme la liberté accordée aux enseignants, en ces années de recherche et d'expérimentations, tout cela parut vite excessif, notamment aux yeux myopes du Ministre de l'Education Nationale de l'époque, J.P. Chevènement, qui annonça, en 1985, "la fin de la récré" (!!) et mit un point final à tous les efforts menés, depuis 1968, pour plus d'intelligence dans la manière de fonctionner de l'école : la marche arrière était lancée, et rien ne pouvait plus l'arrêter, ni alors, ni aujourd'hui.

Le seul progrès qui manquait encore aux excellentes propositions soixante-huitardes, c'était l'implication effective des élèves dans leur organisation du travail. Hélas ! Celle-ci n'était pas près d'arriver : elle ne l'est toujours pas ! Et ce n'est pas Gabriel Attal, qui va y songer...
Non seulement on n'a pas avancé, mais, depuis Blanquer et compagnie on a reculé de cinquante ans et plus.
D'une part, les élèves ne sont toujours pas impliqués directement dans l'organisation de leur vie scolaire, mais, en plus, chacun trouve normal de prendre, de l'extérieur, et sans eux, toutes les décisions qui les concernent.
Pas de doute : l'école n'est pas démocratique.

C'est ainsi que la notion et l'organisation des fameux "groupes de niveau" s'est à nouveau réinstallée, sous le nom plus "présentable" de "groupes de besoin", organisés bien sûr sans les principaux intéressés.
Comme hypocrisie, il est difficile de trouver mieux. Comme danger, aussi.
Besoins ou non, tous ces qualificatifs sont déplacés et blessants : le respect des élèves exige qu'on s'en tienne à des "groupes d'affinité" : ce sont les enfants, et personne d'autre, qui ont à les organiser.
Rien n'est plus dangereux pour les enfants, que tout ce qui ressemble à des étiquettes, des classements et des jugements, venus du dehors. Et qu'on ne vienne pas dire que les enfants ignorent les critères de classement retenus : même très jeune, un enfant sait tout ce qui se passe autour de lui, et pourquoi. Il suffit de se rappeler l'enfant qu'on était, pour en être convaincu. Celui qui sait le mieux de quelles aides pédagogiques il a besoin, c'est l'enfant.
Problème : depuis toujours, ce sont les enseignants qui prennent la décision, et les fameux "besoins" ont été définis par eux.
Donc, si les enfants n'ont pas eu leur mot à dire sur ces décisions, — pire, si elles n'ont pas été prises AVEC eux — nous sommes dans un système autoritaire inacceptable.
C'est pourtant ce qui se passe...
Décidément, on n'en sortira jamais ?

Eh bien si ! Il faut qu'on en sorte ! Il faut que l'école ouvre un peu sa porte à la démocratie, et qu'elle n'oublie pas que les enfants, étant partie prenante des événements qui s'y déroulent, sont parfaitement capables de participer à leur installation : ils ont leur mot à dire sur ce qu'on leur propose. Il faut qu'existent, à l'emploi du temps, des moments de régulation collective, permettant de faire le point, avec les enfants — et non de prétendues "évaluations", aussi inutiles et stressantes que consommatrices d'un temps précieux ainsi gâché.
L'organisation du travail en groupes — sans aucun qualificatif à "groupe" surtout — doit être proposée aux élèves, et organisée avec eux ainsi que leur mise en œuvre, non pas, parce que le ministre l'a dit, mais parce que c'est ainsi que le travail a plus de chances d'être efficace et aussi plus agréable, d'ailleurs.
Il faut que les enfants le voient comme un accord, étonnant et bienvenu, et non comme une "obéissance": de toute façon, avec ou sans le ministre, on aurait travaillé ainsi. Personne n'a à "obéir" à qui que ce soit. Surtout pas à un ministre : on est d'accord ou non avec lui, et on a décidé librement de suivre, ou non, sa proposition, telle quelle, ou avec des modifications. Un point, c'est tout.
Il est capital que les enfants apprennent cette distinction : le verbe "obéir" est incompatible avec la notion de démocratie.
Cette incompatibilité est même ce qui la caractérise.
Les mots sont importants.