En dépit des apparences, ce personnage n'est pas totalement nouveau : pour certains d'entre nous — les moins jeunes — il réveille même quelques souvenirs.
C'est un "haut fonctionnaire" qui a, dans son CV, les titres d'inspecteur d'académie, et d'inspecteur général, ainsi que celui de conseiller des ministres de l'Education Gilles de Robien et François Fillon : voilà de quoi convaincre ceux qui ne le connaissent pas, qu'avec lui, toute crainte d'une révolution prochaine du fonctionnement de l'école est à écarter d'emblée. Il se dit, du reste, ardent défenseur de la transmission verticale des savoirs : le maître parle et l'élève écoute, voilà la définition d'une école efficace, et les prétendus chercheurs qui osent affirmer qu'une autre manière d'enseigner serait préférable, sont à renvoyer à leurs chères études.

On découvre aussi, dans ses propos que les diverses disciplines scolaires ne sont pas à égalité : outre la lecture et l'écriture, c'est l'histoire qu'il importe d'enseigner convenablement : la formulation qu'il utilise pour le dire, ne manque pas d'intérêt : " (il faut) que nos petites têtes blondes — ou plutôt brunes (??) — comprennent qu'on est en république, et qu'ils sont des citoyens français avant d'être des citoyens du monde..."
Pourquoi la France avant le monde ? Il y aurait beaucoup à dire sur cet ordre... et sur le reste des propos.

Pour ce qui est de la formation des enseignants, elle devrait, selon cet excellent ministre, être largement allégée, confiée à des collègues chevronnés, acquis aux"bonnes pratiques" : malheureusement, celles-ci ne sont point précisées. En revanche, on apprend que, pour un CM2, un savoir minimum est largement suffisant.

Quant aux élèves, ils seront triés avec soin, soumis à un examen à la fin du primaire, pour l'entrée au collège, et, monsieur Chudeau d'ajouter que cela permettra d'être sûr que "la culture minimale d'un jeune citoyen a bien été acquise". A noter, l'adjectif "minimale" qui en dit plus long que le mot : pas trop de savoirs à l'école primaire ; ça pourrait devenir dangereux. On se croirait revenu au début du XXième siècle, et même avant, où un Révérent Père, le père Art, expliquait que trop de savoir rendait l'ouvrier moins travailleur.

Donc, ce monsieur semble ignorer beaucoup de choses, connues pourtant depuis longtemps, à savoir que enseigner à de jeunes enfants est infiniment plus difficile, qu'à des élèves de terminale, et demande beaucoup plus de connaissances pédagogiques. De nombreux travaux ont démontré, en effet, que la difficulté n'est pas d'enseigner — tout le monde peut le faire ! —, c'est d'obtenir que les enfants apprennent, petit détail fréquemment oublié, notamment de monsieur Chudeau.

Mais ce n'est pas là le seul oubli de ce monsieur, qui en est encore à l'image d'un enseignement consistant à verser des savoirs dans les têtes des élèves, comme on remplit une bombonne.
Il faudrait lui expliquer, et au parti auquel il appartient, qu'enseigner et apprendre ne sont point un couple inséparable, que le premier n'entraîne pas forcément le second, et que, pour qu'un enseignement débouche sur des apprentissages chez les enfants, un très grand nombre de conditions doivent être remplies, celles, précisément qu'il ose nommer les "billevesées pédagogistes".
Enseigner pour que les enfants apprennent, exige une formation approfondie, d'abord théorique, sur la transmission des savoirs, et ce qu'on nomme l'apprentissage, avec tout les obstacles qu'il faut savoir franchir pour que les élèves apprennent. Toutes choses que des "collègues chevronnés" seront bien incapables de donner, et que, de toute manière, ils n'auront pas le temps de préparer, ayant leur propre classe à organiser.


Tout ça, c'est vraiment du n'importe quoi, et l'on pourrait en rire si ce n'était pas si grave.
C'est même plus que cela : gravissime et désolant, désolant par tout ce que cela dénote d'autoritarisme fermé, et d'ignorances, voire, de négation de tout le travail accompli depuis cinquante-cinq ans. En fait, il n'est pas remis en question, il est simplement nié, comme s'il n'avait jamais existé.
Nous vivons actuellement, pour ce qui est de l'école, comme si tout repartait de zéro : nos ministres de l'Education sont sans mémoire, et depuis Blanquer, l'école est sans passé : jamais la moindre évocation de ce qui a pu être tenté depuis mai 1968...
Il faut le savoir : rien n'est plus dangereux que cette attitude. Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous, les produits de ce qui s'est passé avant, et l'héritage ne peut pas être refusé : il est là — et bien là, comme disait une certaine grand-mère.
C'est un héritage du prodigieux mouvement en avant, amorcé dès 1968, et relancé périodiquement par la Gauche, seule à tenir le pari de permettre à tous les enfants de réussir, eux qui, comme, le rappelle joliment Philippe Meirieu, sont tous "éducables".
On voit bien que ce n'est, hélas, pas la conviction de monsieur Chudeau, pour qui le mérite des élèves tient dans les résultats de quelques chanceux, bien nés, évidemment, et non dans une amélioration de l'enseignement de tous. Du reste, la formation, pour lui, n'a pas grande importance : elle peut parfaitement être confiée à des "maîtres chevronnés"...

Et bien non, Monsieur Chudeau ! Si chevronnés qu'ils soient, les enseignants ne sont pas, et ne peuvent pas être, des formateurs d'enseignants, tout simplement parce que ce n'est pas le même métier. Contrairement à ce que vous croyez, ce n'est pas en montrant comment on fait, que l'on forme quelqu'un : c'est bien plus difficile que ça. Cela implique qu'on l'aide à se transformer lui-même, à découvrir que les évidences n'en sont pas, à secouer celles qui sont les siennes depuis pas mal de temps, et à se remettre en question, sans le blesser et en s'appuyant sur ce qu'il sait déjà... C'est tout un métier, qui requiert un apprentissage approfondi.

Je crois aussi que vous allez navrer un peu plus, les collègues qui vous lisent, en affirmant, comme vous le faites, qu'il suffit de soumettre les élèves à un examen, pour être sûr que la culture "minimale" (??) d'un jeune a bien été acquise. Vous semblez bien naïf, et peu au fait de ce que sont des enfants de dix ans et des ados de quinze. Et vous avez bien peu d'ambition pour les élèves, et bien peu d'amour de ce beau métier, pour oser utiliser un adjectif pareil — qui en dit plus long que le mot...
Vous devriez relire Alain, le philosophe qui avait coutume de dire que "rien n'est trop beau pour l'enfant", et qu'il faut lui offrir de "vraies graines et non du sable".
Vous en êtes loin, vous qui proposez de "trier les élèves avec soin", (selon quels critères ?)
Avez-vous conscience de la laideur de tels propos ? Il s'agit d'enfants : l'avez-vous oublié ? Pas de pommes ou autres légumes, des ENFANTS... des êtres humains comme vous... Non ! Infiniment mieux que vous.
Je ne vois qu'une seule personne, pour tenir des propos pareils : c'est le révérend Père Art, qui expliquait, sans rire, que le savoir rend l'ouvrier orgueilleux et paresseux...
Mais c'était en 1848. Seriez-vous une réincarnation de ce bon Père ?
Eh bien non ! Sachez que le savoir ne rend pas l'ouvrier paresseux : il lui ouvre les yeux, et lui permet de comprendre qu'il est manipulé, et grâce à quoi il l'est. Il fait pire encore, puisqu'il le pousse à oser protester et agir pour que ça change !

Et cela nous ramène au rôle de l'école.
Bien que l'école soit surtout conçue pour enfourner des savoirs dans la tête des élèves, elle est, d'abord, le lieu d'apprentissage d'un système, qui se veut "démocratique", demandant aux élèves responsabilité consciente, avec une grand liberté pour l'exercer, et des connaissances précises, sur son fonctionnement, avec une pédagogie orientée en ce sens.
Celle que pratique l'école loin de tout cela : conçue comme un "savoir scolaire", prudemment coupé des réalités, toujours inquiétantes, parce que politiques. Il reste coriace, l'adage qui veut que "en classe, on ne fasse pas de politique"...

Malheureusement, que cela plaise ou non, en classe, on ne fait que cela ! Et pas seulement durant le cours d'histoire ! Le moindre exercice de maths est un acte politique ! Le choix des exercices de grammaire aussi. Et le pire, c'est que plus on se croit "objectif", comme on dit, plus on en fait, et de manière d'autant plus dangereuse, qu'elle est inconsciente.
Du reste, il serait ridicule de vouloir le cacher, et il faut, au contraire, le dire parce qu'il faut que cela se sache, y compris des enfants. C'est à l'école, et par elle, que les enfants deviennent adultes, pas n'importe lesquels, des citoyens libres, capable de défendre la démocratie où ils ont la chance de vivre et qu'ils doivent en retour protéger contre toutes les menaces qui guettent les moyens de la détruire, avec toutes sortes de personnages, rêvant de dictature. La liberté, celle de penser et d'agir, la culture pour tous, à égalité, et la fraternité ont beau être inscrites au fronton de toutes les écoles, elles sont en danger permanent et perpétuel : les messieurs Chudeau sont là, partout, en embuscade, prêts à relancer l'infect passé des dictatures, en dispensant pour se maintenir au pouvoir, des savoirs les plus pauvres possibles, comme le bon Révérend le préconisait, et avec des arguments imparables... Non, jamais nous ne laisserons l'école, et les enseignants qui y travaillent, se faire mettre au pas. L'école, c'est le lieu de la libération, de l'émancipation des enfants vers l'adulte qu'ils vont devenir.
Quelles que soient les tentatives diverses, de tous les messieurs Chudeau, pour la neutraliser, et malgré ses propres insuffisances, ses erreurs et ses contradictions, elle restera toujours ce lieu écarté où brillent, en dépit de tout, les précieux savoirs de la vraie liberté.
Qu'on ne l'oublie jamais.