Cette "crise de l'école", c'est quoi ?
Pour moi, elle est d'abord, outre une impression d'ambiance morne, le constat qu'elle est faite essentiellement de déplorations, de démissions, sans rien de véritablement constructif, si l'on excepte quelques propositions discutables et dangereuses, du style "retour à l'autorité" prônée par G. Attal, jamais mis en application, ce qui alimente certaines "explications" actuelles de la crise.
On va même jusqu'à l'attribuer aux efforts de pédagogie innovantes des années 70, ce qui est à la fois ridicule, et de fort mauvaise foi : il suffirait de relire les travaux sur l'école de cette époque.
Il est vrai que c'est, là, une chose qui ne se fait plus aujourd'hui : comme je le dis souvent, avec tristesse, nous somme dirigés par des incultes, qui ne "relisent" rien, qui n'ont du reste rien lu, et croient pouvoir tout organiser à partir de leurs idées personnelles, à partir de zéro, le zéro où ils sont, et d'où ils risquent fort de ne pas sortir.
Résultat : une manière d'aborder l'action sans enthousiasme, dépourvue de toute ambition véritable de changement, des ministres sans projet personnel et sans ambition.
Dans une telle ambiance, il est normal que l'école n'avance guère.
Il nous faudrait une ministre à la Gisèle Halimi, une battante, une "Jean Zay" au féminin...
Hélas, on hérite d'une toubib et, circonstance aggravante, elle se présente comme « médecin, autoentrepreneure et blogueuse ». Vous voyez le lien avec l'Education Nationale ?

Evidemment, elle n'a aucun projet véritable pour l'école : ce qui la préoccupe, c'est la solitude à l'école.
Bon ! Je veux bien, mais... la pédagogie alors, elle est où dans sa conception de l'école ?
De toute évidence, nulle part. Il est vrai qu'il y a un bout de temps qu'on n'a plus fait appel à cette dernière, qui n'a jamais mérité aussi bien ce nom : dernière, elle est, dans les préoccupations de chacun et chacune, dans ce ministère.

Alors, expliquons pour elle et ses collègues, ce que pourrait être un vrai projet pour une école, qui aiderait la fois les élèves à grandir, et les enseignants à les y aider de façon efficace. Et tel un certain Martin Luther King, déroulons le rêve d'une école juste et qui aide les enfants à grandir.

Un grand ami de ce blog, l'ami Laurent, a raconté son rêve, pour l'école, un jour de printemps de l'année 2020. Il mérite d'être relu.

Je rêve et je souhaite que les enseignants dans leur ensemble (95%) prennent cette lettre à la lettre, par-delà l’effet attendu par son auteur. Jusqu’ici les milliers dont Annie Ernaux rappelle le dévouement ne sont en réalité qu’une poignée de dissidents. Que les autres se lèvent comme un seul homme, même les femmes, et déclarent :

« On attend de nous que nous entrainions chacun à prendre la place qui lui revient dans une société de la concurrence, en réussissant son destin personnel mieux que ses camarades.
Désormais nous ne préparerons plus des individus à perdre ou à gagner, chacun pour soi.
Nous travaillerons pour un avenir commun de l’humanité qui repose sur les enfants d’aujourd’hui.
Nous ne serons plus les gardiens de la rigueur morale et les reproducteurs de l’ordre social.
Désormais l’élève sera au centre des apprentissages, nous ne consacrerons plus notre temps et notre dévouement à ceux qui n’ont pas besoin de l’école pour apprendre à lire, écrire et compter.
L’école ne sera plus le Bureau d’homologation des savoirs acquis ailleurs, ni l’Office Central de la Fédération Française de Compétition Scolaire.

Nous sommes plusieurs centaines de milliers à refuser désormais de gaspiller notre temps sur les manuels de « lecture », sur les « méthodes » synthétiques, analytiques ou mixtes, syllabiques.
Nous ne serons plus les agents de transmission de la mise en bruit des lettres et syllabes, les vigiles du respect du « code de correspondance ».
Nous ne ferons plus la police de la lecture parce que lire n’est pas un devoir, c’est un droit, un acte libre. Même à la baguette, personne ne peut obliger personne à lire.
Nous ne ferons plus de dictées, ces parodies d’orthographe… Nous ne serons plus les agents de reproduction des inégalités sociales, les évangélistes de l’individualisme, du chacun pour soi et que le meilleur gagne. Au contraire, nous serons les éducateurs de la solidarité, de l’échange, de l’entraide, de la coopération, du socio-constructivisme, de la laïcité sociale, les militants de l’école pour tous. La réussite, ce n’est pas l’élévation par l’ascenseur social, c’est la culture pour tous, c’est l’œuvre collective pour le bien commun. »

Les enseignants n’ont pas besoin de la décision du Président pour faire entrer dans les classes la démocratie sociale et solidaire à la place de la gestion loyale de la guerre des classes. Sans le consentement et le concours discipliné des enseignants, le président des ultra riches ne peut pas détourner l’argent de la république et le pouvoir du peuple au profit des classes dominantes. S’ils n’étaient plus éduqués à la concurrence libre et non faussée, depuis toujours organisée et arbitrée par les enseignants, qui croient en une école juste dans un monde juste, où chacun reçoit ce qu’il mérite, les écoliers devenus adultes ne se laisseraient pas tromper par les politiciens qui leur promettent la fortune par l’auto entreprenariat. Ils sauraient avec évidence qu’un agneau n’a aucun intérêt à voter pour le loup.

Les gagnants de la concurrence libre et non faussée ne sont pas les meilleurs. Ce sont les plus riches, les plus gros qui absorbent les petits et démultiplient leurs revenus en exploitant la misère des continents pauvres après avoir «délocalisé» leur outil de production, détruisant au passage la planète qui abrite l’humanité toute entière et eux-mêmes.
En économie néo-libérale, la concurrence libre et non faussée, affranchie des lois sociales, c’est la liberté de faire rouler, dans la ville, à leurs risques et périls, des cyclistes-livreurs, « auto-entrepreneurs », pour quelques dollars la course.
En école du mérite, c’est le droit de collectionner comme trophées les « bons points », quand on est né de parents lecteurs, ou d’aller faire soigner sa « dyslexie » avec la « gestuelle phonomimique » de Borel-Maisonny, chez l’orthophoniste, si l’on grandit dans une famille d’illettrés.

Pour l’Etat, c’est l’obligation de se désengager, de déréguler, de privatiser les services publics, de vendre les bijoux de famille acquis après la guerre, pour éviter de taxer les riches. Comme l’orientation libérale de la gestion politique que nous connaissons, le choix didactique du recours aux méthodes « qui ont fait leurs preuves » ne participe pas du simple pragmatisme du « faire avec ». Il relève d’une stratégie, apparemment inoffensive, de priorité incontestable accordée aux non « défavorisés ».

En triant selon les « résultats », on croit participer à la sélection des compétences pour les postes de responsabilité. En fait, on ne fait que de la maintenance en reproduisant les inégalités de naissance pour mettre à disposition des dominants, les « défavorisés » de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Les pauvres n’échouent pas parce qu’ils ne « suivent » pas, on les fait échouer à coups de syllabation et de dictée à fautes sanctionnées, « pour leur bien ».

Cette idéologie néolibérale au service des vainqueurs guide l’enseignement depuis des lustres derrière une « pédagogie de l’efficacité » exposée en vitrine. La vocation de l’état républicain moderne est d’améliorer le confort fiscal et financier de la bourgeoisie. C’est l’état-providence des dominants. La mission du système scolaire est de préserver la perpétuation de la différence entre les classes, sous la bannière d’une idéologie commune, celle de la collaboration.

L’arbitrage impartial de la compétition scolaire n’est pas une vocation. C’est du fonctionnariat, voire du mercenariat dont la solde n’est jamais à la hauteur des services rendus aux dominant

Si mon rêve ne se réalise pas, cette lettre au président restera dans les mémoires pour sa beauté littéraire. Un moment d’émotion pure. Une remarquable création de plus.
Ma prière est dite. Ainsi soit-on !