Le titre est une véritable trouvaille, à la fois, jeu sur les mots, et forte invitation à réfléchir aux jugements émis en classe.
1- Le jeu sur les mots.
Erreur et "faute", sont deux mots, souvent associés, et trop souvent confondus, notamment en classe, Or, le titre du billet affirme sans ambiguïté à distinguer leur signification, distinction capitale : chacun s'accorde, en général, à considérer que la faute est, évidemment, chose pénalisante, appartenant à ce qu'on appelle la "morale" ; tandis que l'erreur, est souvent objet de débat, pouvant être différemment interprétée, facilement corrigée, et tout aussi facilement contestée. Et pourtant, nombreux, encore aujourd'hui, notamment à l'école, sont ceux qui voient mal la différence.

2- Raisons et conséquences de cette confusion.
Elle vient tout droit des habitudes scolaires, du moins celles d'une école, qu'on aimerait bien voir changer. Une école dont on voit aujourd'hui encore trop d'exemples, une école "totalitaire", où le doute est ignoré, où le savoir dispensé est sans discussion, et qui ne s'embarrasse pas de finesses : une école du "2+2=4", qui oublie que cette vérité n'en est une, qu'à certaines conditions — c'est-à-dire qui enseigne de l'inexact — une école que les gens de ma génération ont bien connue, et qu'ils ont vue évoluer, et même, se transformer totalement, lors du foisonnement prodigieux d'intelligences, des vingt glorieuses, 1966 et suivantes, pour sombrer tristement, dès 1985 dans les vieilles habitudes d'avant, redevenues, hélas, la norme aujourd'hui. Résultat : je ne suis pas sûre que, pour les ministres actuels, la différence "erreur/faute" soit si claire que cela, quand on les écoute.
En tout cas, il est évident qu'aujourd'hui, on a pas mal oublié ces finesses, pour revenir dans le brut de décoffrage, en matière d'analyses sur l'école.
Tentons donc de clarifier les choses : pourquoi est-il si nécessaire de faire cette distinction, erreur/faute ?

D'abord, bien que le mot "faute" soit souvent utilisé, à la place "d'erreur" ce sont des problèmes radicalement différents, qui demandent des traitements spécifiques : avec les enfants, il importe de ne pas confondre les valeurs, ce que, malheureusement l'école fait parfois, en réagissant avec la même colère pour l'une et pour l'autre de ces pratiques.
L'erreur n'est jamais très grave, du moins à l'école : dans la vie, il peut arriver que l'erreur cause des drames terribles. Mais à l'école, il suffit seulement de l'analyser pour faire réfléchir les élèves sur son origine : quel mot, quelle notion, a été mal comprise, confondue avec quelle autre, et pourquoi.
Pour la faute, qui ne se "rectifie" pas, parce qu'elle touche à la morale, la situation est plus complexe : elle remet souvent en cause des valeurs, elle bafoue des principes, autant de faits difficile à admettre.
Comment la traiter ? La sanctionner ? La pardonner ?

La sanctionner ? Comme toute punition, cela ne peut qu'aggraver les choses en installant une rancune, un besoin de "vengeance", qui sera, tôt ou tard, mise en œuvre, avec les conséquences qu'on imagine.
La pardonner ? D'abord, le pardon est une de cs notions ambigües qui ne saurait faire oublier quoi que ce soit, et beaucoup (dont je suis) vont jusqu'à dire qu'il est, en fait, sans doute, la pire des punitions, car, non seulement il n'efface en rien la faute, mais il oblige celui, qui l'a commise, à dire merci !
Je n'aime pas cette notion, vaguement religieuse, et floue, qui me paraît avant tout humiliante. Et je pense qu'humilier des enfants, ou des plus grands, est chose, à la fois, inefficace, du point de vue éducatif, et moralement, assez vilaine.
Les amoureux de Corneille songent ici à ce que dit Auguste dans le Cinna de cet auteur, découvrant que ce pardon le grandit encore, tout en rendant plus grave, la faute commise — au point de transformer un choix politique, de grande qualité, celui de Cinna, en un comportement bassement humain. Pardonner un choix politique, c'est le rabaisser au rang des conduites de morale quotidienne.
Donc, l'évidence semble s'imposer : le pardon n'est pas une notion à défendre, en matière d'éducation : contrairement à ce qu'on pense parfois, elle est dépourvue de toute vraie mansuétude, et c'est un moyen, pas très joli, de rabaisser encore le "fautif", sans apport constructif, pour personne, ni pour lui, ni pour celui qui pardonne.

Alors, que faire, en classe, ou à la maison, devant un comportement d'enfant, très "déviant" ?
Punir ou pardonner ?

Ce n'est pas ainsi qu'il faut poser le problème : il est évident que ce n'est ni l'un ni l'autre : punir est chose laide, qui ne peut que générer des désirs malsains de vengeance, et, le pardon est comme une espèce d'enveloppe molle et finalement assez désagréable, à laquelle on ne sait comment réagir, qui provoque, chez le "pardonné", comme un vague malaise, où se mêlent à la fois la honte de la faute et l'humiliation d'avoir à remercier, qui alourdit encore la faute.
Rien de tout cela n'est vraiment formateur pour l'enfant.

Ce qu'il faut, comme toujours, c'est chercher à comprendre, en discutant avec le fautif, des raisons de son comportement, et surtout ne pas tomber dans le travers si souvent commis, de "pénaliser" l'erreur.

Et c'est ici que le titre du billet, prend tout son sens : ce comportement déviant, est-il le résultat d'un raisonnement insuffisamment approfondi, facile à rectifier, appelé erreur, ou celui d'un choix délibéré, visant la remise en question, non dépourvue de danger, d'une pratique reconnue, correspondant à des valeurs morales ? En d'autres termes, est-il une erreur ou une faute ?

Une différence loin d'être secondaire.
Seule chose à faire, pour y voir plus clair : discuter pour réfléchir et faire réfléchir l'autre, en évitant surtout le ton de reproche. Les reproches sont toujours à proscrire : rien n'est plus toxique qu'eux pour la communication, qu'ils coupent aussitôt, car personne ne discute sous une pluie de reproches et il est impossible de réfléchir pendant une dispute.
Donc, se calmer — avant tout — et, pour cela, au besoin, quitter le débat pour essayer, en petits groupes, de revoir autrement la question, et retrouver les raisons, qui ont pu pousser à dire ce qui a été dit, et les premiers arguments, qui ont fait dévier le comportement en ce sens.

Personnellement, je suis profondément convaincue, qu'en tout domaine, le conflit est chose à éviter à tout prix, et tant pis pour les égos de chacun et les blessures d'orgueil : il faut avoir appris à supporter ce genre de petites blessures, douloureuses, parfois, c'est vrai, mais, reconnaissons-le, tout de même, supportable.
Et justement, quand on réfléchit, on découvre que la différence effective entre ces deux notions, au plan de sa réception, est beaucoup plus mince qu'on ne le croit. Et la gravité de chacune peut s'inverser : admettre qu'on s'est trompé, ce n'est pas facile : comment, moi qui suis si intelligent(e), ai-je pu ne pas voir cette erreur ? C'est très vexant, surtout si on est le seul coupable...
La faute, au contraire, n'a souvent rien de vexant, car elle est presque toujours le résultat d'un projet voulu — qui se trouve souvent être lui-même une erreur, au démarrage, mais qui n'apparaît telle que si l'on analyse un peu la situation. Certes, et le vrai problème est là : celui des conséquences, qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, où le risque de catastrophe est aussi grand, parce que l'auteur de la faute en est, par un réflexe de survie, généralement fier. Pour lui, le forfait en est rarement un, si bien que reconnaître la faute est, pour beaucoup, quasi impossible, ce qui fait s'envoler le besoin de la réparer.
C'est pourquoi, je pense qu'en classe, ces questions doivent être étudiées, en petits groupes, puis débattues tous ensemble, avec l'enseignant, moment au cours duquel vont s'effectuer divers apprentissages : l'importance d'avoir une échelle de valeurs, et comment l'organiser, réfléchir pour trouver où se place l'urgence, et surtout apprendre à déplacer le curseur de l'orgueil un peu plus loin, en découvrant qu'une bonne partie des blessures reçues ne sont que des malentendus, des propos maladroits, envoyés trop vite, avec ou sans intention de blesser, des "erreurs", qui sont reçues comme des blessures, donc des "fautes" alors qu'ils n'en sont sans doute pas, et qui ne méritent pas qu'on en fasse une affaire d'état

Grâce à cette réflexion collective (seul, elle serait impossible) on peut enfin passer à autre chose, comme, d'abord, la remise en question de l'admiration que suscitent très souvent ceux qui ne cèdent jamais.
Il est vrai que céder, c'est s'avouer vaincu : on aime rarement cela.
Et pourtant il faut apprendre à le faire. C'est un acte difficile, qui met à mal l'orgueil personnel — on dit même "se déculotter", pour cela, et c'est plus qu'humiliant — et qui va à l'encontre des admirations généralement affirmées : on aime les têtus qui ne cèdent jamais...

Parce que céder est chose difficile, qui demande de bousculer les petites fiertés personnelles, il est important d'apprendre à le faire, notamment quand on est ensemble : rétablir des vérités essentielles, et remettre les choses à leur place, dans l'ordre des priorités, chacun reconnait que c'est souvent mal vu, et refusé, parce que contraire aux admirations généralement affirmées, donc difficile à faire, seul.
Ce n'est qu'en discutant ensemble, qu'on découvre que c'est le contraire qui voit juste, avec une belle somme d'arguments à la clé, qui militent en sa faveur : céder apporte la paix, le respect des autres, même fautifs, avec, en prime, ce présupposé, cher à Philippe Meirieu, que tout être humain est éducable, et donc ré-éducable, surtout à plusieurs.

Aussi faut-il concevoir, en ce sens l'éducation des enfants : leur permettre de prendre conscience de leurs actes, et de les analyser, pour n'être jamais dupe de leurs élans, qui ne sont jamais aussi nécessaires que ce qu'ils ont pu croire sur le moment ; leur apprendre à différer leurs réactions, à procrastiner leurs réponses vengeresses, à remettre à demain le petit plaisir, si délicieux, d'accabler l'autre, en lui répondant tout de suite...
Remettre à demain jugements et décisions, voilà la sagesse : demain, on y verra plus clair et les choses auront une autre couleur.
Et c'est vrai : quiconque l'a essayé, en est convaincu. C'est du reste, pour ça, qu'on résiste souvent à le faire : on aime bien garder sa propre colère, dont en est généralement fier.
Là encore, le groupe est précieux, qui éclaire les choses, toujours embrouillées si l'on est seul, par la brulure, petite, mais très douloureuse, du renoncement, qu'il aide à dépasser.
Donc, nulle réponse valable et universelle à notre question : le débat reste éternellement ouvert, comme une source de réflexions intarissables. Dire que l'erreur est une faute est peut-être, parfois une vérité. Mais on peut dire aussi qu'elle est ce qui conduit à avancer et progresser et donc qu'elle est indispensable à la construction des savoirs. A l'école, loin d'être est un danger, l'erreur, bien gérée, est même souvent nécessaire, car elle relance l'analyse, qui pousse plus loin, la réflexion et la connaissance... Alors on peut aller un peu plus plus loin encore que Françoise, et dire que l'erreur, au moins en classe, ne peut jamais être une faute.